Embargo de la CEDEAO sur le Mali : punition ou opportunité ?

La CEDEAO vient d’imposer un embargo économique à notre pays, pour sanctionner le Coup d’Etat du 18 Août 2020. La majorité des maliens soutiennent la nécessité d’une transition d’au moins 2 ans pour permettre une reconstruction institutionnelle de notre pays. Cependant la CEDEAO exige une transition de 1 année. De plus ces exigences de la CEDEAO sont perçues par les maliens comme une ingérence dans les affaires intérieure de notre pays. Dans cet article, nous analysons les impacts économiques potentiels d’un embargo économique de la CEDEAO sur le Mali à travers une analyse des données du commerce extérieur du Mali et de quelques pays de la CEDEAO.

  1. Le commerce extérieur du Mali

La figure ci-dessous présente les partenaires d’exportation du Mali en 2019, avec la contribution proportionnelle de chaque pays aux recettes d’exportation du Mali.

Figure 1 : La part des différents pays dans les recettes d’exportation du Mali

  Source : https://tradingeconomics.com

Nos principaux partenaires commerciaux sont l’Afrique du Sud (41%), la Suisse (21%) et le Burkina Faso (6.1%). Les pays de la CEDEAO comptent pour environ 17% de nos recettes d’exportation (dont les principaux sont : le Burkina Faso (6.1%), la Cote d’Ivoire (4.9%), le Sénégal (4.7%) et la Guinée (0.91%)). Ainsi un embargo de la CEDEAO aurait pour conséquence de nous priver d’environ 17% de nos recettes d’exportation.

Figure 2 : La part des différents pays dans les importations du Mali

Source : https://tradingeconomics.com

Le Mali importe beaucoup de chez ses voisins. Le Sénégal est le principal partenaire à l’importation et compte pour 21% de nos importations, la Cote d’Ivoire quant à elle est le 3ième partenaire avec 9.7%, après la Chine. Globalement, nos importations en provenance des pays membres de la CEDEAO comptent pour environ 40% de nos importations. Un embargo sera très ressenti par la population malienne, car il nous priverait de 40% de nos produits d’importation. Cependant, dépendant du produit, ceci pourrait encourager notre économie à trouver des substituts et à stimuler une relance de la production locale. Nous analysons avec la figure suivante les principaux produits d’importation du Mali.

Figure 3 : Produits d’importation du Mali

Source : https://tradingeconomics.com

Les hydrocarbures constituent l’essentiel de nos produits d’importation (24%), suivis des machines (8,4%), les véhicules (6.9%), les équipements électroniques (6.6%). L’essentiel de ces produits ne sont produits dans les pays de la CEDEAO. Cependant ces derniers servent parfois de pays de transit et de revente. C’est par exemple le cas des hydrocarbures dont le Mali s’approvisionne à travers le Sénégal. Ainsi, bien que n’étant pas producteur de pétrole, le Sénégal arrive à exporter le pétrole en direction du Mali, bénéficiant ainsi dans les termes de l’échange. D’autres produits tels que le poisson, la banane plantain, le ciment, le bois, etc. sont directement produits par nos voisins de la CEDEAO. Dans l’optique d’un embargo, plusieurs options pourraient s’offrir au Mali : accroitre la production locale de ces denrées, substituer ces denrées à d’autres denrées produites localement, se rabattre sur le port de Nouakchott pour nous approvisionner en produits pour lesquelles nous n’avons pas encore la capacité de production locale (avec une vision future de les produire), faire une pression pour réduire nos importations au strict nécessaire et réduire le train de vie de la nation toute entière.

  1. Quel sera l’impact de l’embargo sur nos voisins de la CEDEAO ?

Le Mali ne sera pas le seul pays à subir les effets de l’embargo. Nous analysons dans cette section l’impact sur trois pays de la CEDEAO : Le Sénégal, la Cote d’Ivoire et la Guinée.

  1. Le Sénégal

La figure ci-dessous présente les partenaires d’exportation du Sénégal.

Figure 4 : La part des différents pays dans les recettes d’exportation du Sénégal

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Comme on peut le voir, le Mali est le premier partenaire contributeur aux recettes d’exportation du Sénégal. 24% des recettes d’exportation du Sénégal proviennent du Mali, soit un total de
$959.12 millions. Donc un embargo sur le Mali pourrait priver le Sénégal d’un partenaire clé avec un impact non négligeable sur l’économie Sénégalaise.

Cependant le Sénégal importe très peu du Mali (Figure 5). La part de notre pays dans les importations du Sénégal représente moins de 0.01%. Le Sénégal va beaucoup moins être affecté par l’acquisition de biens sur le Mali en cas d’embargo.

Figure 5 : La part des différents pays dans les importations du Sénégal

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  1. La Côte d’Ivoire

La même analyse est faite ici pour la Côte d’Ivoire.

Figure 6 : La part des différents pays dans les recettes d’exportation de la Cote d’Ivoire

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Notre pays contribue de 4.9% aux recettes d’exportation de la Côte d’Ivoire. Nous sommes de ce fait le 6ième plus important partenaire commercial de ce pays. Un embargo sur le Mali priverait la Côte d’Ivoire de son 6ième plus important partenaire d’exportation, avec une réduction de 4.9% de ses recettes. Ceci n’est pas très négligeable, en revanche la Côte d’Ivoire serait beaucoup moins affectée que le Sénégal par un embargo sur le Mali.

Figure 7 : La part des différents pays dans les importations de la Cote d’Ivoire

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S’agissant des importations (figure 7), notre pays est presque insignifiant dans les importations de la Côte d’Ivoire (moins de 0.09% dans les importations de la Côte d’Ivoire). Donc contrairement à plusieurs assertions disant que l’embargo va priver la Cote d’Ivoire du bétail en provenance du Mali, ceci cependant aura un impact presque insignifiant sur leur économie et le ressenti de la population de façon globale sera négligeable.

  1. La Guinée

Cette fois ci analysons le cas de la Guinée.

Figure 8 : La part des différents pays dans les recettes d’exportation de la Guinée

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La Chine est incontestablement de loin le premier partenaire commercial de la Guinée, avec 87% des recettes d’exportation du pays. Dans ce schéma le Mali contribue à moins de 0.05% dans les recettes d’exportation de la Guinée, donc presque insignifiant. Donc l’embargo sur le Mali aura un impact presque insignifiant sur l’économie de la Guinée.

S’agissant des importations (figure 9), le Mali représente 0.44% dans les importations de la Guinée. Ceci indique que le ressenti de la population Guinéenne dans le cadre d’un embargo sur le Mali sera presque insignifiant.

Figure 9 : La part des différents pays dans les importations de la Guinée

Source: https://tradingeconomics.com

En conclusion

L’embargo aura certes des effets sur notre économie, mais surtout sur le ressenti des populations. Ce ressenti se manifestera par un accroissement du prix des denrées et des produits manufacturés à cause de leur rareté sur le marché et une baisse des recettes de nos opérateurs économiques. Ces derniers, verront leurs biens stockés au niveau des différents ports, ce qui peut avoir des contraintes de coûts de stockage, et même affecter certaines denrées périssables. Dans le moyens termes, ils se verront contraints de recourir au port de Nouakchott. Ceci pose toutes les questions de la capacité de ce port, du coût, de la logistique, etc. L’économie Mauritanienne sera la plus grande gagnante de cet embargo si ce pays arrive à se positionner de façon stratégique.

En revanche, l’impact de l’embargo sur les recettes d’exportations du Mali pourrait être moindre. Comme nous l’avons vu dans l’article, les pays de la CEDEAO contribuent à 17% aux recettes d’exportation du Mali. Ces produits exportés vers la sous-région sont essentiellement : le bétail, les noix de karité, les denrées agricoles (pomme de terre, mangue, etc.). Par ailleurs, nos principaux produits d’exportation : l’or et le coton sont exporté vers d’autres pays hors de la zone CEDEAO. Le Mali devrait trouver d’autres destination pour le bétail et envisager l’exportation de la viande plutôt que du bétail sur pied. Notre pays pourrait envisager exporter la viande vers les pays de l’Afrique Centrale. D’où une vraie opportunité de maximiser les revenus dans ce secteur.

Quels pourraient être les retombées positives et que devrait faire le Mali ?

  • Dans la mesure ou nos recettes d’exportation seront moins affectées, l’embargo pourrait ne pas avoir une incidence drastique sur notre économie. Cependant si les intrants agricoles (notamment les engrais, les pesticides, etc.) qui sont utilisée dans la production agricole (incluant le coton et autres denrée) sont affectés par l’embargo, ceci pourrait avoir une répercussion sur la production cotonnière des années prochaines. Comme palliatif, le Mali pourrait s’engager dans la production locale des intrants agricoles pour mitiger ces effets.
  • Notre pays devrait accroitre sa capacité de production nationale. Ceci nous permettra de faire de l’import substitution, en d’autres termes une substitution des produits importés par une production locale ; surtout les produits agricoles en encourageant et supportant une production locale dans différents domaines. Aujourd’hui avec l’enthousiasme suscité par le changement on pourra faire appel au patriotisme de la population pour cet effet et l’Etat pourra soutenir leurs efforts.
  • Un appel à une solidarité des maliens de l’extérieur : Les maliens de l’extérieur sont plus que jamais mobilisés pour soutenir notre pays. Selon les statistiques de la Banque Mondiale la diaspora malienne envoie un peu plus de $1milliard par an. De plus, avec le mouvement M5-RFP, la diaspora malienne s’est fortement mobilisée et a procédé à un envoi de fonds pour soutenir le pays. Le Mali pourrait profiter de l’enthousiasme généré par le changement en mettant en place un mécanisme plus formel d’envoi de la contribution des maliens de l’extérieur pour soutenir l’économie nationale. Ces fonds pourraient par exemple être utilisés pour compenser les pertes des recettes d’exportation et soutenir les producteurs locaux, les entrepreneurs et la mise en place d’unités de production et de transformation.
  • Le Franc CFA constitue un réel blocage pour le décollage économique de notre pays. Les mécanismes de la zone avec toutes les contraintes, privent le Mali d’une politique monétaire nécessaire à une planification économique efficiente. Le Mali devrait envisager à court ou moyen termes de se retirer du FCFA et avoir sa propre monnaie. De façon plus pragmatique, ceci donnera toute la possibilité de création d’emploi pour une transformation économique. Ce sujet pourrait faire l’objet d’un autre débat, les pages sont limitées ici pour l’aborder en profondeur.
  • Le Mali pourrait faire un plaidoyer auprès du Sénégal pour une levée de l’embargo. Le Sénégal sera comme nous l’avons vu le pays le plus affecté par cet embargo avec le risque de perdre 24% de ses recettes d’exportation.

L’histoire montre que les embargos économiques bien qu’ayant des impacts négatifs sur l’économie d’un pays et surtout sur les populations ont aussi un côté positif dans le renforcement de la résilience et la capacité de production d’un peuple. Nous avons l’exemple de Cuba, de l’Iran, de la Russie avec l’Union Européenne. Avec la chute de l’Union Soviétique, Cuba s’est vu privé d’un partenaire clé et a dû adapter sa structure de production. L’union Soviétique approvisionnait Cuba en hydrocarbure, machines agricoles en contrepartie de la canne à sucre. Cuba est ainsi devenu leader dans la production organique et se rabattant sur les moyens locaux. Les sanctions de l’Union Européenne sur la Russie ont eu plus d’incidence sur les pays de l’UE que sur la Russie elle-même avec des pertes estimées à €100 milliards (source : wikipedia). Cette dernière a su adapter ses systèmes de production pour faire face aux sanctions. Ainsi la production agricole Russe s’est accrue en devenant la seconde source d’exportation du pays. Avec l’embargo des USA, l’Iran a développé sa capacité de production locale dans plusieurs secteurs. L’embargo sur le Mali pourrait aussi être une opportunité pour que le pays transforme son système de production, rationalise ses importations et se projette dans le futur si le peuple est patient, résilient et solidaire.

Auteur : Abdoul Karim Coulibaly

Date : 30 Août 2020