En avril 2012, dans 12 mois, quasiment jour pour jour, le peuple malien sera appelé devant les urnes pour élire un nouveau président de la République. Un président ou une présidente qui, par ses actes, pèsera lourdement sur le présent et l’avenir de notre pays. L’enjeu est de taille. Telle est la forte conviction formulée par le parti du bélier blanc, répétée d’ailleurs régulièrement depuis plusieurs mois par ses responsables au plus haut niveau. L’enjeu est même de telle taille que, rappelant fort à propos les fraudes massives dépassant toutes les limites qui ont entaché les élections passées, Tiébilé Dramé et ses camarades ont tenu un point minutieux des manquements à la vertu électorale dans notre pays, en tout cas en ce qui concerne les plus criards par ailleurs reconnus publiquement par des responsables de premier ordre de la gestion des scrutins.
Chat échaudé craint l’eau froide et ce qui profile à l’horizon n’est pas pour rassurer ni la classe politique nationale, ni le citoyen un tant soit peu averti de la vie politique. Le document de base produit par le Parena pour les discutions et qui a déjà été largement publié, à défaut d’être exhaustif dans son pointage, a le mérite de relever les cas les plus significatifs capables d’interppeler la conscience citoyenne de chaque acteur politique.
Ainsi, lors d’une réunion organisée par le NDI (National Democratic Institute) proche du parti démocrate des Etats-Unis, en janvier 2008 à l’Hôtel de l’Amitié, M. Boubacar Sow, qui était à l’époque directeur national de l’intérieur, aujourd’hui secrétaire général du ministère de l’Administration Territoriale et des Collectivités locales, a dit que « La fraude demeure la plus grosse plaie de notre dispositif électoral. Lors des élections 2007, elle a atteint, une ampleur jamais égalée dans notre pays. » Le président ATT ajoutera, dans son message à la Nation le 22 septembre 2009 : « …force est de reconnaître aujourd’hui l’ampleur d’un phénomène qui, si on n’y prend garde, risque de compromettre dangereusement notre jeune démocratie. Il s’agit du désintérêt croissant des électeurs que traduisent la faiblesse de la participation et la persistance, voire l’accentuation de la fraude et la corruption politique des électeurs et des agents électoraux. » Pour ce faire, cela va sans dire, il est vital que le choix de cet homme ou de cette femme (qui doit présider aux destinées de la République) s’opère à travers des élections transparentes et crédibles. I
l est donc temps d’épargner au Mali des élections contestées ; il est encore temps de mettre fin à des crises et à des crispations pré et postélectorales. Ce commande que non seulement ATT et son gouvernement doivent se le mettre en tête, mais aussi les acteurs politiques et l’ensemble des forces vives de notre pays pour une paix sociale et une cohésion nationale. Les 12 mois restants, seulement 12 mois, doivent être consacrés à la préparation de la prochaine élection présidentielle, celle de 2012. C’est cela l’insistante invite du Parena que Tiébilé Dramé a martelée avec force.
A l’analyse, que peut-on ajouter aux propos des autorités citées pointant du doigt l’ampleur de la fraude électorale chez nous ? Qu’importe qu’il n’existe pas au Mali de mécanisme régulier et transparent par lequel la volonté du peuple s’exprime ? Questions graves s’il en est dans la maturation démocratique au Mali. A propos, le Parena exhume une étude confidentielle de la DGE (Délégation générale aux élections) datée du 17 septembre 2008 et « relative à la qualité du fichier électoral ». Dans ce document, la Délégation Générale aux Elections analyse les faiblesses criardes du fichier, en parlant, sans fioritures, « d’augmentation fulgurante du nombre d’électeurs » et émettant, très certainement avec toute l’honnêteté que caractérise les responsables de la Dge, « des doutes sur le chiffre de 7 248 318 électeurs ». C’est pour dire que les dernières élections (les communales de mai 2009) se sont déroulées sur la base d’un fichier artificiellement gonflé avec un nombre correspondant de cartes d’électeurs et de bulletins de vote disproportionnés. Un mal impossible à masquer et à ignorer.
A la lumière des constats accablants établis par les plus hautes et compétentes autorités en matière d’élections- peu importe la chronologie des désormais fameuses déclarations- le Parena invite à une action urgente, résolue et sans atermoiement pour doter le Mali d’un fichier électoral et d’un système électoral crédibles et transparents.
Last but not least, suite au recensement à vocation d’Etat civil (RAVEC), le flou est entretenu sur les applications électorales qu’on était censé tirer du précieux document. Un paradoxe jugé « tout simplement incompréhensible » par le parti du bélier. Et Tiébilé Dramé de rappeler opportunément les déclarations solennelles du président de la République, toujours dans son message du 22 septembre 2009 : « … je proposerai… la suppression des structures actuelles d’organisation, l’annulation des listes électorales actuelles et la constitution d’un nouveau fichier électoral à partir des résultats du RAVEC ».
Une telle proposition, du reste aux allures d’injonction si ATT avait lié l’acte à la parole, fait encore froid dans le dos. Même pour les plus optimistes, le propos présidentiel notifie clairement que nous sommes solidement installés dans des structures d’organisations électorales inappropriées et des listes électorales gonflées de faussetés. Pour n’y avoir pas fait face à temps, la situation ne devient que plus compliquée aujourd’hui, et davantage au fur et à mesure que le temps passe.
Et le Parena de poser les questions utiles et incontournables. Pourquoi tant d’inaction depuis ? Pourquoi soudainement le silence autour du RAVEC ? Veut-on nous resservir les listes électorales actuelles ? Et avec un dispositif électoral aussi discrédité, qu’attend-on pour commencer à mettre au point un code électoral et un fichier électoral consensus ? De ce fait, tout Malien qui croit en son patriotisme doit se poser ces questions. Ce qui se passe autour de nous, en Côte d’Ivoire et, dans une moindre mesure au Bénin, doit inciter les pouvoirs publics à anticiper, à préparer rigoureusement les élections générales de 2012 afin de les mettre à l’abri du soupçon et de la contestation. Seules les autorités légitimes issues d’élections régulières, transparentes et crédibles en 2012 peuvent entreprendre les réformes hardies dont notre pays a un besoin urgent. Foi du bélier blanc.
C’est pourquoi le Parena, soucieux du problème, en appelle aux pouvoirs publics, aux partis politiques, aux organisations de la société civile, à la vigilante presse privée, aux organisations non gouvernementales de développement, aux centrales syndicales, aux confessions religieuses et à leurs respectés leaders, et aux partenaires bilatéraux et multilatéraux du Mali, pour agir, individuellement et collectivement, afin que l’on commence aujourd’hui et maintenant à préparer les élections de 2012. Gage pour chacun de jouer son rôle pour éviter à ce pays les tourments vécus ailleurs. Appel de bon sens ne peut être mieux formulé au sein d’une démocratie en déconfiture où déjà un magistrat de classe exceptionnelle à la retraite, Salif Kanouté, qui fut président de la Cour constitutionnelle et qui a déclaré en cette qualité en août 2007 à la télévision nationale à l’issue de la proclamation des résultats définitifs de l’élection législative : « J’ai lu avec beaucoup d’attention les 250 à 300 requêtes qui nous ont été présentées.
Je voudrais le dire avec beaucoup de sincérité qu’à travers cette lecture, j’ai eu le sentiment profond que beaucoup d’acteurs politiques, des candidats de tous ordres, de quelque bord que ce soit, se sont installés à demeure dans la fraude. »
Abdoulaye Kékoro Sissoko
Le National 26/04/2011