L’Energie du Mali (EDM-SA), mis à part le tout début de création sous la première république, n’a jamais réussi une fourniture correcte du courant nécessaire au bon fonctionnement du pays. Des crises énergétiques à n’en pas finir, jalonnées de coupures intempestives d’électricité, plongeant des quartiers entiers dans le noir, pendant de longues heures, voire des jours entiers, voilà la marque visible d’une société pourtant unique opérateur de son secteur. A qui la faute ? Au-delà de la mauvaise gestion, la gangrène d’une corruption endémique et des rivalités de chefs, minant la compagnie nationale d’électricité, c’est aussi et surtout le modèle économique, qui y est développé, non adapté, qui est à refaire.
Modèle économique obsolète
Comme d’habitude, durant les grandes crises énergétiques répétées, le gouvernement vient d’injecter six milliards de nos francs dans EDM-SA. L’objectif est d’atténuer les délestages sauvages, affectant les ménages et les activités économiques, auxquels la société a recours, en ces temps de grande chaleur, correspondant à la pointe contre laquelle elle est tout simplement incapable. Ce geste est devenu récurrent, se muant en un rituel de gestion par les autorités successives du pays d’une compagnie nationale d’électricité complètement dépassée par l’ampleur des difficultés. Financement sur refinancement, inlassablement repris mais avec des résultats dérisoires sur le modèle économique, en vigueur au sein des sociétés nationales de type, comme l’EDM, à haut risque.
Historiquement parlant, on peut tout reprocher à la première république, sauf qu’elle n’avait pas de vision économique. C’est à cette époque-là que le Mali est classée parmi les premiers pays industriels de la sous-région (TUB, EDM, Usines Céramiques, SOGEMORK, etc.). Malheureusement, toutes ces entreprises publiques vitales sont mortes, à l’exception notable de rares survivantes, comme EDM-SA, la vache laitière dont tout le monde se sert en continuant à lui administrer la thérapie inadaptée et superflue des subventions publiques.
Pendant ce temps, l’Etat s’occupe de tout à l’énergie, sans pourtant avoir réussi jusqu’ici à faire évoluer le schéma technique d’une production électrique, toujours basée sur le thermique. C’est l’Etat qui fixe les prix, c’est lui qui gouverne par procuration EDM, à travers un DG sans pouvoir réel de gestion. C’est encore et toujours l’Etat qui organise la production et décide de l’option énergétique, en même temps qu’il contrôle les cadres de l’opérateur public d’électricité, du modèle de gouvernance et de gestion économique et commercial, suivant l’humeur des dirigeants des régimes successifs. Pis, le patrimoine national, concédé et exploité abusivement par EDM, n’est pas accompagné de compensation adéquate. En somme, un bien commun détourné de ses objectifs sociaux et consommé sans contrepartie par EDM, sans qu’aucune mesure sérieuse de correction n’en résulte.
Gestion erratique
Engluée qu’elle est dans des dysfonctionnements structurels chroniques, les différentes directions sont en compétition permanente et pernicieuse, engagées dans une rivalité entre les divers responsables des différents départements plombant les performances d’une société qui peine à honorer ses ardoises fiscales auprès de l’Etat. A ce jour, EDM-SA ne dispose toujours pas de plan de carrière en matière de gestion des ressources humaines. Chaque nouveau DG commence par élaborer son propre organigramme, le plus souvent conçu comme un outil d’exclusion des cadres ayant eu des promotions sous la direction précédente qui n’aura d’ailleurs duré, le plus souvent, que moins de vingt mois !
La société fait un usage immodéré du bénévolat de façon indécente, avec de prétendus stages professionnels aux termes indéfinis, consistant plutôt à une exploitation cynique de jeunes diplômés en quête d’emplois sécurisés, dans une pratique frisant les pires atteintes à la dignité humaine et le droit du travail. Sans aucune rémunération, ces ‘’stagiaires’’ et bénévoles, abusés, taillables et corvéables à souhait, font presque tout le boulot et n’ont d’autre choix, en raison de la hantise du chômage endémique, que de s’y soumettre.
Dans tous les cas, il faut qu’ils vivent. Résultat ? Des frustrations de toutes sortes émaillent le quotidien des consommateurs, impuissants et réduits à se soumettre aux humeurs, voire aux actes et pratiques parfois délictuels, de ces jeunes bénévoles ou ces stagiaires endurcis, pris au piège d’une exploitation effrénée, dont certains ont pourtant fini par y trouver leurs voies, en dehors de tout statut juridique.
La corruption gangreneuse et la mauvaise gestion endémique, ayant annihilé depuis des lustres les performances commerciales de la société énergétique nationale. Il est donc évident qu’au plan énergétique comme facteur majeur de production, le Mali ne peut pas soutenir la compétition avec les autres nations, voisines ou dans la sous-région, pour attirer les investisseurs privés, nécessaires à une relance vigoureuse, paradoxalement du secteur même de l’énergie.
Dans un espace aussi grand, comme la superficie du Mali, nous ne disposons même pas d’une soixantaine d’entreprises d’envergure, dignes de ce nom, à cause certainement d’un déficit chronique d’électricité, une situation obérant durablement tout projet économique futuriste.
Impératif d’en sortir
A travers les exemples des pays qui ont réussi à réaliser de grandes performances énergétiques, les solutions économiques, techniques et commerciales envisagées, n’ont rien de fatalistes. Les options économiques pour la performance et le développement sont des choix résolument politiques, vers lesquels le Mali se doit d’orienter très rapidement ses politiques publiques, si nous voulons être un pays compétitif, comptant parmi les autres. Le temps presse, les énormes défis économiques auxquels le pays est confronté, pour assurer son plein développement, nous y contraignent.
Pourtant, le rêve pourrait s’avérer une illusion si l’Etat continue, comme c’est le cas chez nous, d’utiliser des consommables onéreux, en l’occurrence le recours principalement aux hydrocarbures, pour faire fonctionner des centrales thermiques lourdes, désuètes et pratiquement peu productives. Un choix et un modèle constituant une énorme saignée en termes de devises.
Après plus de soixante (60) ans d’une option ou d’une expérimentation aux résultats désastreux à la fois sur le plan de la productivité que celui de la prestation du service social et économique de l’électricité, il est impératif d’orienter les efforts vers un modèle économique, d’ailleurs universel et mieux adapté à notre situation. La nouvelle orientation, vers la production énergétique à partir d’autres sources (hydraulique, rayonnement solaire, hydrogène…) pourrait nous garantir plus rapidement, et plus durablement, les moyens de sortir de la trop grande dépendance aux centrales thermiques, dont la durée de vie ne perdure pas au-delà de 2050, de l’avis des experts.
En matière de capacité énergétique renforcée, en Afrique ou ailleurs dans le monde, des solutions alternatives existent, qui sont devenues des options développées par des pays qui en ont fait des choix énergétiques, bien meilleurs leur ayant permis de réaliser des bonds prodigieux.
La performance énergétique, nécessaire pour un réel recollage économique, n’est pas fortuite, pour le cas du Mali. Bien au contraire, elle est possible à réaliser, en mieux organisant l’interconnexion, le transport d’électricité, de distribution et de commercialisation de l’électricité.
Pour cela, il convient, comme beaucoup d’autres pays l’ont fait déjà, de libéraliser le secteur énergétique, avec ou sans la privatisation de EDM, même si un désengagement de l’Etat est inévitable à moyen terme. Le sous-secteur de l’énergie a aujourd’hui un besoin vital de financement pour la modernisation des différentes chaînes du circuit énergétique, depuis la production jusqu’à la consommation. L’Etat, défaillant et attendu sur les secteurs sociaux de base de plus en plus exigeants en matière d’investissements publics, ne peut persister à demeurer le principal acteur économique d’une activité où la compétitivité garantit la performance économique.
L’ouverture aux privés, gage de redécollage économique
Il s’agit donc d’ouvrir le marché de l’électricité, aux investisseurs privés, qu’ils soient nationaux ou internationaux, depuis les installations, de la production à la commercialisation, en passant par le transport. Plus proche de chez nous, beaucoup de pays, comme la Côte d’Ivoire l’ont fait, en faisant le bon choix de confier, dès 1990, au secteur privé le sort de la Compagnie ivoirienne énergétique (CIE). Un choix stratégique payant qui a permis à ce pays d’avoir une meilleure performance énergétique au contraire de plusieurs autres pays de son proche voisinage. Devenu pays exportateur net d’électricité, la Côte d’Ivoire a établi une interconnexion de son réseau électrique avec le Mali, lancée depuis plusieurs années à Sikasso. Cette première liaison est devenue un maillon important, dans le cadre du projet d’interconnexion électrique sous-régionale des pays de la CEDEAO, au-delà des impondérables politiques, signe d’intégration économique et de compétitivité par la diversification d’acquisition de l’électricité.
L’ouverture aux capitaux privés de la production énergétique va booster l’économie, diversifier les emplois et va aussi nécessiter la création d’un bureau de régulateur indépendant du secteur énergétique davantage adapté et capable de garantir à la fois performance économique et les missions de service public de l’électricité. Ce schéma est actuellement adopté un peu partout, là où le coût de l’électricité est plus bas.
L’interconnexion énergétique peut transformer le Mali en un hub d’électricité dans la sous-région. A partir de ce hub énergétique, qui se construira sur la position géographique centrale du Mali, nous pouvons alors bénéficier des avantages comparatifs, résultant du transit de ressources énergétiques de pays tiers, sur ce vaste réseau national de transport d’électricité, vers d’autres nouvelles destinations.
Pour réussir un tel challenge, il nous faut une vraie et réelle organisation du système énergétique, économique et commercial, comme celle pratiquée dans les pays qui ont réussi à se faire une réputation dans ce domaine stratégique. La condition du décollage énergétique est bien évidemment l’ouverture à l’investissement privé, susceptible de générer des solutions alternatives, bâties sur le rayonnement solaire, la force du vent, la biomasse et en renforçant le parc hydraulique, tout en réduisant la prépondérance du fossile avec le pétrole, le gaz naturel dans la production.
C’est la seule garantie pour disposer d’une source d’énergie durable et moins coûteuse, permettant de couvrir largement les besoins sociaux (domestiques) et économiques en électricité et surtout nous permettre d’assumer nos ambitions de développement.
Mamadou Sinsy Coulibaly, Président du Groupe Kledu
Source: Alternance