La société freine le développement du Mali en empêchant aux grosses unités industrielles d’utiliser son courant
Elles sont une quarantaine d’unités industrielles de la place à avoir reçu une demande de la société EDM SA leur «sommant» de s’effacer de son réseau d’électricité de 19 heures à 2 heures du matin. Et cela pour, dit-elle «dans l’intérêt de la population».
Pour en savoir davantage sur les tenants et les aboutissants d’une telle mesure que nous trouvons suicidaire pour l’industrialisation du pays, nous avons rencontré pour vous des responsables d’unités industrielles et le conseiller à la Communication d’EDM SA qui nous livrent ici leur point de vue sur cette mesure.
Il faut le rappeler, le secteur industriel malien souffre de plusieurs maux dont l’insuffisance et la cherté de l’électricité, avec des délestages intempestifs qui jouent un gros coup aux unités industrielles.
A ceux-ci, il faut ajouter de nos jours, le fait qu’EDM SA, en souffrance car ayant un déficit criard d’électricité, demande à plus d’une quarantaine d’unités industrielles de s’effacer de son réseau de distribution d’énergie durant les «heures de pointe».
Voici un extrait de cette demande d’effacement du réseau électrique: «depuis quelques jours, nous connaissons un déficit de production consécutif à l’arrêt de certains groupes de notre système de production. Cette situation devrait revenir à la normale vers fin mai 2016.
Afin d’éviter des perturbations, la Direction générale d’EDM SA sollicite votre accompagnement pour gérer au mieux ce déficit. A cet effet, nous vous serons gré de n’utiliser l’électricité que nous distribuons pour vos besoins de production industrielle pendant cette période de 19h à 02 heures». Ainsi, de Toguna Agro-Industries en passant par entre autres, la Confiserie Achcar, l’usine Bramali de Sénou, jusqu’à la société Diaby Lait ou à l’usine Diamond Cement Mali SA, cette «sommation» est tombée comme un couperet sur la tête des responsables de ces entreprises, qui est de fait un frein à la marche du pays vers son industrialisation.
Faut-il le souligner, sans une industrialisation, aucune politique ne pourra créer d’emplois et aboutir à un développement.
Le Mali qui est le premier importateur de produits industriels de la zone UEMOA avec une balance commerciale fortement déficitaire de plus de 380 milliards de FCFA, compte environ 80 industries.
Et, le poids de l’industrie manufacturée dans le PIB est de seulement 4%, contre plus de 10% dans certains pays de la sous-région.
Les problèmes dont souffre aujourd’hui le secteur industriel sont entre autres, relatifs à l’insuffisance d’infrastructures de base, l’accès difficile au financement, le coût élevé de certains facteurs de production, comme l’électricité, le taux élevé de l’impôt sur les sociétés et la vétusté des équipements et matériels de production.
Thiona Mathieu Koné, Conseiller à la Communication d’EDM SA, nous a expliqué que cette mesure d’effacement de certaines sociétés, est due au fait qu’en cette période de pointe, la société EDM SA voit tout son dispositif de production d’électricité en branle.
«Nous mettons tout en œuvre pour être à la hauteur des demandes de la population», mais pour lui, «il n’est un secret pour personne qu’actuellement nous connaissons un déficit de production d’électricité ». Ainsi, la demande est aujourd’hui entre 310 et 320 mégawatt. Or, EDM SA ne dispose actuellement que de 260 à 280 mégawatt.
Il avance en outre «être conscient de tous les désagréments possibles, mais, aussi que ces unités de production sont dotées de groupes électrogènes autonomes.
Si la situation est très tendue, nous leurs envoyons des correspondances leurs demandant de s’effacer sur notre réseau pour un certain temps». En réalité, cela leur entraine des coûts supplémentaires dans leur production. En acceptant de pratiquer l’effacement électrique, les industriels sont aussi dans la crainte de voir leur production brutalement interrompue.
Il y a aussi la baisse de la qualité des produits et la difficulté à évaluer les économies envisageables.
Ces mesures, pour M. Koné «sont dans l’intérêt de la population». Mais, le constat est clairement établi que, malgré le respect de ces mesures par les unités industrielles, EDM SA n’arrive toujours pas à satisfaire à la demande de la population. Alors, pourquoi, priver ces unités industrielles de ce précieux sésame sans aucune mesure d’accompagnement ? Ce comportement d’EDM SA occasionne, il faut le souligner beaucoup de manque à gagner pour les unités industrielles qui se battent chaque jour pour créer des emplois et produire pour les maliens.
Cette mesure, un frein au développement du pays
Pour M. Damien Baron, directeur général de BRAMALI, cette mesure s’explique par un manque d’électricité en ces périodes de fortes chaleurs. Il trouve que l’effacement d’électricité est très problématique dans la mesure où il leur engendre un surcoût dans la production. Ainsi, selon M. Baron, pour ce mois de mai, son usine dépensera pour le gasoil, une somme de plus de 50 millions de FCFA. L’énergie est un facteur déterminant, avec le coût et la qualité de la main d’œuvre. Et selon le premier responsable de BRAMALI, cette mesure d’EDM SA constitue sans nul doute un frein au développement du pays, mettant du coup un retard à son industrialisation. Comme mesures d’accompagnement à cette pratique d’effacement d’électricité, acceptée par les industriels, car n’ayant pas le choix, M. Baron souhaite qu’EDM SA leur accorde un avoir sur le surcoût et un décalage dans le paiement des factures d’électricité. Il indique par ailleurs que certaines unités industrielles seraient obligées d’interrompre leur production pendant la période indiquée car n’ayant pas les moyens d’y faire face.
Quant à ce chef industriel qui a souhaité garder l’anonymat, il trouve que cette mesure d’effacement montre à suffisance la faiblesse d’EDM SA à satisfaire les besoins de sa clientèle. Pour lui, par cette mesure qui est contre la marche vers l’industrialisation du pays, la société Energie du Mali provoque aussi chez les industriels d’énormes manques à gagner.
Manque d’investissements de l’EDM
La plus grande aberration est que l’EDM se cache derrière son manque d’investissement en dépit des énormes ressources qu’elle génère pour handicaper nos unités industrielles de fonctionner à plein temps en période de forte chaleur.
En somme, elle renvoie à cette image d’un commerçant qui refuse de vendre ses produits à un seul client quand elle aurait pu augmenter son chiffre d’affaires en investissant dans les infrastructures pour satisfaire sa clientèle.
La question que l’on est en droit de se poser est celle de savoir comment expliquer qu’en 56 ans d’Indépendance le Mali ne soit pas encore capable de satisfaire à la demande énergétique de sa population.
L’industrialisation du Mali est fortement tributaire de cette contrainte dont il faut forcement se défaire quitte à envisager la cassure du monopole d’EDM Sa sur l’électricité au Mali, comme on le voit du reste dans la sous-région, notamment en Côte d’Ivoire.
On se rappelle que l’AMADER bien que partie sur une idée novatrice n’a été finalement qu’une mauvaise expérience. La montagne des espoirs a accouché d’une souris. Partout où elle opère, le constat est le même : échec sur toute la ligne.
Les populations bénéficiaires se plaignent tant de la qualité de l’électricité qui n’atteint pas souvent la norme des 220 volts. Pire, elle n’est pas disponible à temps plein.
Les clients de l’AMADER, bien que payant leur facture à temps sont discriminés dans l’offre d’énergie. Elle n’est pas disponible au moment où les gens en ont le plus besoin, c’est-à-dire tard dans la nuit. Après l’échec de cette belle initiative dont il faut tirer les conséquences, deux solutions semblent être adaptées au contexte actuel : soit on lance des appels d’offres de fourniture d’énergie afin que chaque région du Mali se dote d’une société de fourniture autonome d’électricité, différente d’EDM. Soit, l’Etat par une politique volontariste prenne des mesures pour promouvoir le développement des énergies renouvelables telles que le solaire et l’éolienne.
Dans un pays qui abrita jadis le CRES, Centre Régional d’Energie Solaire, il est inconcevable que l’expertise de cette institution n’ait pas été suffisamment valorisée pour asseoir les bases de l’indépendance énergétique de ses pays membres. L’Afrique est le continent le plus ensoleillé dont les rayons brûlent plus qu’ils ne développent.
Vivement une EDM capable un jour de soutenir énergiquement l’industrialisation du pays.
Dieudonné Tembely
Source: Info@Sept 13/05/2016