D’un accord à un autre Alger colle à la peau d’IBK

Comme quelque chose dont il ne peut se défaire, donc, difficile pour lui de s’en séparer, les sommeils d’Ibrahim Boubacar Keïta devraient être  hantés  par Alger, la capitale de l’Algérie. Ici, devrait être scellé, dans les jours ou mois à venir, un accord entre l’Etat du Mali et la plate-forme des groupes politico-militaires du nord du Mali, nouvelle appellation politiquement correcte pour désigner ceux des Maliens, aidés par des narcotrafiquants, qui ont pris des armes contre leur propre pays.

Si le contexte est différent, à en juger aux années, la revendication principale de ces groupes reste identitaire et indépendantiste : indépendance de leur région désignée sous le vocable de l’Azawad, à défaut, une large autonomie pour leur permettre de présider aux destinées de leur «territoire». Ce faisant, force est de constater, même si la situation demeure floue, que ces groupes armés ne manquent pas d’arguments vis-à-vis du gouvernement malien, qui aura commis l’irréparable incurie de perdre ses positions militaires antérieures jusque-là où les velléités des groupes armés s’étendent. Et plus loin encore.

Sans vouloir s’attarder sur les événements malheureux ayant marqué ces dernières années cette partie nord de notre pays -qui sont encore vivaces dans la mémoire collective-, il est important de relever l’ironie de l’histoire qui semble rattraper l’actuel président de la République, élu à la magistrature suprême, avec une majorité écrasante et le préjugé favorable que lui seul peut nous sortir du guêpier qui perdure depuis l’accession de l’Etat du Mali à la souveraineté nationale et internationale. Il s’agit des Accords dits d’Alger.

Ces fameux Accords d’Alger pour la restauration de la paix, de la sécurité et du développement dans la région de Kidal, sont des accords fixant les modalités du développement du Nord du Mali. Ils ont permis un retour à une normalisation des rapports entre la 8ème région du Mali, la zone de Ménaka et l’État malien. Ils font suite au soulèvement touareg du 23 mai 2006 à Kidal et à Ménaka. Ils ont été conclus à Alger le 4 juillet 2006 et signés entre les représentants de l’État malien, les représentants de l’Alliance démocratique du 23 mai pour le changement. Ils ont été négociés sous la médiation de l’Algérie.

Sans vouloir être exhaustif, ces accords ont été contestés par des organisations non gouvernementales maliennes, regroupées au sein du Conseil de concertation et d’appui aux Ong du Mali (CCA-ONG), qui ont émis des critiques là-dessus. En clair, elles «estimaient qu’il y a un risque d’effritement de l’autorité de l’État, que les accords d’Alger constituent un moyen de déplacer le problème dans le temps et non une solution durable comme préconisée dans le préambule». Elles ont alors regretté que ces accords tournent le dos au Pacte national signé le11 avril 1992 entre le gouvernement de la République du Mali et les Mouvements et fronts unifiés de l’Azawad.

L’arroseur arrosé ?

Le Rassemblement pour le Mali (Rpm), parti politique de l’ancien Premier ministre et de l’alors président de l’Assemblée nationale Ibrahim Boubacar Keïta, et actuel président de la République, a rejeté également cet accord qui ne respectait pas, selon lui, le principe de l’unité nationale. Le Rpm avait même saisi la Cour constitutionnelle considérant que le texte de l’accord ne respectait pas la Constitution malienne.
Un petit brainstorming s’impose : «Personne ne souhaite jamais la guerre. Mais, s’agit-il de cela ? Nous disons non. Ne nous laissons pas abuser.

Il y avait simplement des responsabilités à assumer et rien d’autre. Traiter les problèmes aux véritables niveaux où ils se posent. C’est tout ! Les rodomontades n’y changent rien ! Dans un préambule volontiers amnésique sur le contexte et les événements du 23 mai 2006, on apaise le peuple, on le trompe en affirmant la fidélité aux principes fondamentaux de la République. C’est trop facile, mais le contenu du document édifie, dès l’abord, sur les abandons et la démission. Les mots sont aussi têtus que les faits. On dit que la parole s’envole, mais l’écrit reste. Chacun sait donc à quoi s’en tenir.

Tous les principes sacro-saints d’égalité, de justice et de solidarité sont malmenés. À terme, cet Accord pourrait desservir même ceux-là au profit desquels il est censé être signé. Le peuple malien est UN et INDIVISIBLE. II est dangereux pour la stabilité du pays et l’harmonie intercommunautaire, de donner à penser que telle communauté, ou telle région ou ethnie serait plus digne que d’autres de traitements au relent discriminatoire. Cela expose ladite communauté elle-même à une stigmatisation dangereuse et inutile. Tout le processus qui a conduit à l’Accord dit d’Alger s’est déroulé de façon monarchique. Le fait du prince n’est pas acceptable dans une démocratie. À moins que notre régime politique ait changé», avait noté le Rpm dans une déclaration qui avait fait grand bruit.

L’histoire lui a peut-être donné raison sans lui épargner la lourde responsabilité d’en trouver qui puisse respecter tout ce qu’il avait dénoncé par le passé. Très malheureusement, l’actualité dans cette zone ne semble pas donner beaucoup de marge de manœuvre à l’actuel président de la République. Et tout semble indiquer que le président de la République et son parti politique rééditeront en pire tout ce qu’ils avaient décrié. D’abord sur la conduite et le lieu du dialogue inter-malien : le processus est conduit de façon monarchique (pas de consultation de la classe politique, du moins, il a fallu que l’opposition dénonce cet état de fait pour que le haut représentant du président de la République daigne consulter les partis de l’opposition). Le fait du prince est toujours là. Et c’est toujours Alger, dont la neutralité a toujours irrigué les réflexions, qui devrait abriter ce dialogue inter-malien.

Pire, la partition du pays, du moins, ce qui n’a jamais été accordé par la République à cette partie du pays, pourrait l’être cette fois-ci d’autant que l’Etat n’a aucune autorité sur cette région occupée par les forces ennemies. Les faits corroborent cette tendance puisque, de plus en plus, les plus hautes autorités n’hésitent plus à parler de large autonomie, de régionalisation poussée et d’autres vocables pudiques pour préparer l’opinion nationale à ce qui semble être une évidence.

En d’autres termes, il y a une menace réelle sur ce qu’Ibrahim Boubacar Keïta appelait en 2006 «le peuple malien Un et Indivisible». Ce qui serait  dangereux pour la stabilité du pays et l’harmonie intercommunautaire, d’autant qu’on pourrait ainsi donner à penser que telle communauté, ou telle région ou ethnie serait plus digne que d’autres de traitements au relent discriminatoire.

Oui, monsieur le président, la parole s’envole, mais l’écrit reste ! Oui, monsieur le président, on sait maintenant à quoi s’en tenir, puisque tous les principes sacro-saints d’égalité, de justice et de solidarité seront malmenés à la faveur des accords qui sortiront des futures négociations, déjà mal emmanchées. Du fait que, du côté des mouvements du Nord, cette réunion du 16 juillet n’est pas considérée comme le premier round de négociations directes, mais comme une réunion technique qui doit permettre de définir le lieu et le calendrier des futurs pourparlers. Quand votre Haut représentant s’évertue à rassurer que les futures discussions d’Alger se feront en trois phases : l’adoption d’une feuille de route, l’adoption d’un préaccord et enfin la signature d’un accord. Ce qui laisse entrevoir un enlisement qui pourrait s’étendre sur le long de votre mandat.

Au final, votre mandat ne vous suffirait même pas à résorber ce problème, pour lequel beaucoup de Maliens auront voté pour vous. A fortiori, faire face aux autres défis de l’heure. Et dire que ce sont l’orgueil mal placé de votre Premier ministre et votre pilotage à vue qui risqueront de nous conduire à cette situation. Encore qu’il soit à craindre que l’arroseur ne soit arrosé à son tour ! Ce qui serait dramatique pour le peuple malien, mais rétablirait une certaine justice immanente.

Ibrahim Boubacar Keïta, Alger vous colle à la peau. Il faut espérer qu’elle ne vous dévore, au grand dam du peuple malien.

Issiaka SISSOKO

Le Reporter 2014-07-16 05:05:11