Au Mali, le droit à l’alimentation reste un défi, comme la sécurité et le droit à l’eau potable. Cette problématique est généralement perçue comme une affaire de couches défavorisées.
Or, cette préoccupation nationale date de la nuit des temps. Selon une étude de l’USAID, au Mali, un quart des ménages souffrent d’une insécurité alimentaire modérée.
Afin de lutter contre cette question cruciale, l’Association des jeunes pour la citoyenneté active et la démocratie (AJCAD), en partenariat avec Action contre la faim, a initié le projet « Right to Grow». Selon les initiateurs, il a pour objectif de mener une vaste campagne d’information et de sensibilisation autour des thématiques WASH et Nutrition au bénéfice de la population, tout en impliquant les médias communautaires.
Selon le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, « le droit à l’alimentation est le droit d’avoir un accès régulier, permanent et libre, soit directement, soit au moyen d’achats monétaires, à une nourriture quantitativement et qualitativement adéquate et suffisante, correspondant aux traditions culturelles du peuple dont est issu le consommateur, et qui assure une vie psychique, individuelle et collective, libre d’angoisse, satisfaisante et digne. »
Partant de cette définition et malgré l’engagement des Etats parties au Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Mali demeure confronté à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle. Ce, malgré une augmentation régulière de la production céréalière au cours des dernières années. Cette situation s’explique en partie par les baisses plus ou moins importantes de la pluviométrie et d’autres catastrophes naturelles, notamment la maladie à coronavirus et les inondations.
La problématique du droit à l’alimentation des enfants, selon plusieurs études menées par de nombreuses ONG telle que World vision, se pose essentiellement en termes d’accès économique à l’alimentation, c’est-à-dire en termes de revenus, donc le pouvoir d’achat. L’augmentation de la production céréalière est certes profitable pour les enfants de paysans dont les revenus augmentent relativement, mais il se trouve que cette abondance relative pose avec d’autant plus d’acuité la question du droit à l’alimentation pour les enfants des plus pauvres. Ce qui fait logiquement que le pouvoir d’achat conditionne l’accès à une alimentation minimum, mais également la diversité alimentaire pour une très grande proportion de la population malienne. A cet effet, on considère que le niveau de transformation des produits augmente avec les revenus, affectant ainsi directement l’équilibre nutritionnel des populations les plus pauvres. Or, certaines études ont montré c’est la dévaluation du franc CFA opérée en 1993 qui a entraîné une forte baisse du pouvoir d’achat de l’ordre de 20 à 30% pour les couches aux revenus fixes notamment les salariés. Et que l’ajustement des budgets des ménages pour préserver le niveau de consommation a entraîné une réduction du rafraîchissement du riz et des produits non céréaliers (viande, lait, poissons, œufs) au profit des céréales sèches.
A Bamako, l’une des zones d’intervention du projet Right to Grow de l’AJCAD et ses partenaires, la question du droit à une meilleure alimentation des enfants demeure préoccupante dans les prisons et sur les sites des déplacés. En ces lieux, rares sont les enfants qui trouvent les trois repas journaliers. Si le Mali a ratifié la convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant en 1989, force est de constater que la situation des enfants demeure une réalité nationale.
Pour confirmer cette situation de malnutrition des enfants, le rapport de l’UNICEF de l’année écoulée soutient qu’au Mali, la malnutrition chronique ou le retard de croissance touche plus de 26% des enfants. Ce retard de croissance, poursuit le rapport, a des effets à long terme sur le développement physique et cognitif des enfants et les rend plus vulnérables aux maladies. Ce qui entraîne de mauvais résultats scolaires.
Cette malnutrition dite chronique a diminué au niveau national de 26,6% à 23,1%, mais a presque doublé dans la région de Kayes (une zone d’intervention du projet), passant de 11% en 2016 à 20% en 2017 à cause de la dégradation de la situation alimentaire dans certaines localités. Toujours selon le rapport, les cas de malnutrition aiguë sévère (MAS) attendus en 2018 sont passés au niveau national de près de 163 000 en début d’année à 274 000 et les cas de malnutrition aiguë modérée (MAM) de 470 000 à 582 000.
Dans un rapport d’OCHA rendu public cette année, de juin à août 2022, 1,8 million de personnes dont des centaines milliers d’enfants seront en insécurité alimentaire, contre 1,3 million en 2021.
Dans les prisons du district de Bamako, la situation de plusieurs milliers d’enfants reste préoccupante, puisque certains d’entre eux ne sont pas traités conformément à la loi en la matière.
Pourtant, la disposition 37 des Règles des Nations unies pour la protection des mineurs privés de liberté (REMPL) prévoit que les mineurs détenus doivent recevoir une alimentation saine et bien préparée, distribuée en quantité suffisante aux heures des repas, respectant en outre les exigences religieuses de chaque enfant. Selon la même disposition, les enfants doivent pouvoir avoir accès à de l’eau potable en permanence.
A cela s’ajoutent les cas des mendiants, appelés aussi « Talibés ». Le cas de ces enfants est aussi plus difficile que les deux précités, puisque ceux-ci ne mangent dans la journée qu’à la merci des personnes de bonne volonté. Leurs maîtres coraniques qui les poussent à la mendicité ne leur donnent à manger que dans la soirée. Et malheureusement, les repas que ces enfants mangent ne sont pas des aliments de qualité et de quantité.
Pour confirmer cet état de fait, nous nous sommes intéressés à deux jeunes talibés de Niamakoro kourani, âgés respectivement de 12 et13 ans. Sous le couvert de l’anonymat, ils nous relatent les conditions dans lesquelles ils vivent. Il est 6 heures 47 minutes lorsque ces deux enfants se dirigent vers le centre-ville de la capitale, Bamako. Nous leur avons tendu notre dictaphone pour savoir s’ils mangent à leur faim. Leur réponse a été immédiate et sans équivoque : « Nous ne mangeons que le déjeuner et notre maître s’en fout du reste », déplorent-ils.
Au regard de toutes ces difficultés, l’Etat doit emboiter le pas des associations telle que l’AJCAD et ses partenaires en prenant des dispositifs pour changer la donne. Le 1% du budget national que l’Etat alloue à ce secteur semble être insuffisant. L’Etat doit également faire face à la problématique du droit d’accès à l’eau potable, car une politique en matière de sécurité alimentaire peut difficilement atteindre ses objectifs si le droit d’accès à l’eau potable n’est pas garanti.
Lamine BAGAYOGO