Dr Abderhamane Cissé, Président de la Croix Rouge malienne : «80 à 90% de nos dons sont arrivés à bon port»

Dr Abderhamane Cissé: Effectivement, comme vous l’avez dit, notre pays est toujours en crise. Cette crise a fait de nombreux déplacés parmi nos populations. Progressivement, elles sont en train de revenir et nous encourageons leur retour. Mais nous n’obligeons personne à revenir. Quand les déplacés reviennent, nous les encourageons à reprendre du service pour redémarrer l’activité économique et afin qu’ils redeviennent comme ils étaient  avant et qu’ils puissent vivrede façon décente. Dès les débuts de la crise, nous nous sommes organisés pour apporter notre soutien aux victimes.

Est-ce que l’aide est arrivée à bon port?

Je peux dire aujourd’hui que tout ce qui a été donné est arrivé à bon port. Parce que ce sont des volontaires de ces communautés qui sont chargés de distribuer ce que nous apportons. Des rapports nous sont parvenus par rapport à ce qui a été fait et nous-mêmes nous sommes allés sur le terrain vérifier. A part de petites pertes, qui sont dus à la manutention et souvent au transport des dons, nous pouvons dire que 80 à 90% de nos dons sont arrivés aux populations que nous avons recensées. Parce que notre principe, c’est que nous délivrons des cartes aux gens et qu’en retour c’est à eux que nous livrons les dons.

Combien de personnes avez-vous recensées?

Au départ, à l’intérieur, nous en étions à 220 000 personnes et, à l’extérieur, ce sont à peu près les mêmes chiffres. Nous n’intervenons pas tellement à l’extérieur. Nous avons des pays amis qui nous aident et les sociétés nationales de ces pays nous donnent la situation et se chargent des réfugiés à notre place, comme nous le ferions aussi pour eux aussi s’ils étaient dans notre situation. C’est cela aussi le principe du mouvement de la Croix Rouge et du Croissant Rouge international. On ne peut pas évaluer le nombre exact, parce qu’il y a des gens qui arrivent et d’autres qui repartent. Grosso modo, c’est de l’ordre de 220 à 225 000 personnes.

Dans votre mission d’acheminement des aides, quelles ont été vos principales difficultés?

Les difficultés, comme vous pouvez l’imager, c’était des difficultés d’accès au départ,  cela pour des raisons d’incompréhension. Car nous avions affaire à des intégristes qui posaient le problème de la foi. Mais, à force de persévérance, nous sommes arrivés à nous faire accepter et nous avons repris service de façon de plus en plus correcte et efficace. Le deuxième problème, c’est celui de la logistique. La Croix Rouge est une société malienne et, comme le pays, nous avons des difficultés financières. Ce qui fait que le matériel pour transporter nos dons nous a souvent posé de petits problèmes, pour lesquels nous avons souvent été obligés de faire appel aux partenaires. Cela a causé une petite lenteur dans la distribution, mais, aujourd’hui, nous avons pu évacuer tout ce que nous avions. Le troisième problème  était celui de la coordination avec les autres organisations humanitaires de circonstance. Vous savez, avec la crise, il y a beaucoup d’organisations qui se sont crées. Et le problème de coordination s’était posé à un moment. On voulait bien faire et chacun voulait faire la même chose au même moment, ce qui fait que, des fois,  nous avons observé un phénomène de redondance et des lacunes de part et d’autre. Mais, nous, notre objectif était que tout le monde soit logé à la même enseigne.

Quel est l’impact de  vos dons aujourd’hui?

Un impact certain. Il suffit de tourner avec un micro dans Bamako et vous saurez que la Croix Rouge a été, dès les premières heures, présente. Et nous continuons, parce que c’est notre raison d’être. C’est la mission régalienne de la Croix Rouge. On ne fait que cela et on ne peut faire que cela. Notre cible, c’est malheureusement les personnes vulnérables. Après Coca Cola, il parait que nous sommes la marque la plus connue. Maintenant, nous sommes en train de discuter la suprématie à Coca Cola.

Revenons aux déplacés. Avez-vous eu des contacts avec nos compatriotes qui sont refugiés dans la sous-région?

On a eu des contacts, comme je vous l’ai dit. Nous sommes dans un mouvement pionnier, qu’on appelle la Croix Rouge et le Croissant Rouge, qui compte toutes les sociétés nationales des pays. Nous sommes aujourd’hui 190 sociétés nationales dans le monde, avec le CICR et la Fédération internationale. Ce qui fait que nous sommes représentés partout. Chaque fois que les intérêts de la société nationale malienne sont menacés dans un pays, l’autre société nationale qui est là-bas fait son boulot en son lieu et place et lui rend compte. C’est ainsi que nous avons des informations régulières dans la plupart de ces pays où nos populations sont refugiées, comme au Burkina Faso, en Mauritanie et au Niger. Les sociétés nationales qui sont dans ces pays nous donnent la situation  de ce qu’elles sont en train de faire. Nous nous réunissons au niveau de la        Fédération pour parler de la coordination d’action par rapport à ce que nous faisons au niveau sous-régional.

Maintenant que la situation s’est nettement améliorée, la Croix Rouge a-t-elle encore  sa  raison d’être au Mali?

La Croix Rouge continuera toujours d’exister. Parce que c’est sa raison d’être, sa mission régalienne. Elle a été créée pour cela. Les Conventions de Genève, c’est cela. Nous restons donc dans notre domaine. Bien que souhaitions que la situation se calme, parce qu’on ne souhaite pas le malheur. Chez nous, il y a un adage qui dit «si tu aides la Croix Rouge un jour, elle t’aidera tous les jour». Donc, c’est cela notre mission et on va continuer.

Au Sud, on voit actuellement des sinistres, notamment des incendies et des inondations. Peut-on savoir les efforts que la Croix Rouge fait à ce niveau?

La Croix Rouge est l’une des premières organisations à être sur place pour apporter son soutien. Peut être parce que nous sommes dans ce qu’on appelle chez nous la préparation aux  catastrophes. C’est-à-dire que nous avons un volet apporte une réponse rapide aux catastrophes. Dès qu’il y a une catastrophe, nous sommes obligés d’être là, pour apporter les premiers secours, les secours d’urgence, pour réorganiser les populations, pour qu’ensemble on fasse quelque chose vite, pour minimiser les pertes. Ensuite, la prévention secondaire évalue les besoins qui sont les plus urgents. La troisième phase, c’est d’être aux côtés des populations, pour qu’elles se reconstruisent un autre avenir, meilleur. C’est ce que nous avons fait à Bamako. Aujourd’hui, le problème des secours en vivres et en non vivres est satisfait, mais le gros problème, c’est de trouver des sites d’hébergement. C’est une autre autorité qui en a la charge. Nous l’accompagnons en tant qu’auxiliaire du Gouvernement.

Pouvez-vous rappeler les principales missions de la Croix Rouge?

La mission et la vision de la Croix Rouge, c’est d’atténuer les souffrances des personnes vulnérables, par la stratégie de la sécuritaire alimentaire, de la santé communautaire, et la diffusion du droit international humanitaire, par la communication. C’est ce que nous nous sommes assigné au vu des Conventions de Genève. La Croix Rouge est une société bénévole, reconnue d’utilité publique par la République du Mali. Cela veut dire que chaque fois qu’il y a des problèmes humanitaires, elle vient en appoint de l’Etat. Elle est auxiliaire des pouvoirs publics en matière humanitaire. Nous sommes aux côtés du Gouvernement, dans l’indépendance d’action.

Peut-on savoir qui sont vos généreux donateurs ?

En fait, ce sont nos partenaires. Parce que, si on veut évaluer cela en termes de  don, il y a un partenariat incommensurable avec l’Etat, qui nous accepte et nous exonère de beaucoup de choses par rapport à ce que nous faisons. En matière de sécurité alimentaire, il nous donne beaucoup. Ensuit, il y a le CICR, qui est un autre volet du mouvement et les sociétés nationales des autres pays, qu’on appelle sociétés nationales partenaires. Au Mali, nous avons essentiellement 9 pays qui nous aident. La France, la Belgique, Monaco, la Suisse, le Canada, l’Espagne, le Danemark, et j’en passe, sont avec nous. D’autres sont annoncés, l’Allemagne par exemple. Nous avons un champ de partenariat assez large. Les pays arabes commencent à venir, les Emirats, le Qatar. Nous avons aussi une politique de sensibilisation des donateurs au niveau national, notamment le secteur privé malien, qui nous a donné cette année 200 tonnes de mil.

Interview réalisée par Youssouf Diallo

22Septembre

24/09/2013