Dossier malien « Une disponibilité » tardive de l’Algérie ?


En effet, si la Mauritanie et la Niger continuent à voir en l’Algérie « un acteur clé incontournable » dans la résolution de la crise au nord du Mali et dans la sous-région du Sahel, en général, tel ne semble plus être le cas à Bamako où la délégation algérienne a été reçue avec « des vertes » et « des pas mûres » comme jamais il n’en avait été dans les relations entre les deux pays voisins.
Un adage malinké ne dit-il pas que « lorsque l’affamé attend en vain le plat de riz qui ne vient pas, il opte pour le premier plat qui lui tombe entre les mains ». Signes perceptibles des temps, le Mali n’est-il pas entrain de se soustraire du joug algérien ? Rien n’est moins sûr. En effet, de 1990 à ce jour, tous les conflits que le nord du Mali a connu, ont été débattus et « résolus » sous la coupe réglée de l’Algérie.

A l’analyse, le constat est amer et accablant pour l’Etat malien qui, à chaque fois, devait « renoncer » un peu plus à une portion de sa souveraineté au profit de groupes rebelles « fabriqués » et « entretenus » par le grand voisin pour les besoins de sa propre cause. Malgré tout, jamais les autorités de Bamako n’ont voulu « voir » cette réalité des rapports entre le Mali et son voisin.

Alger a toujours constitué « un passage obligé » pour les régimes successifs au Mali. C’est pourquoi, depuis le général Moussa Traoré à Amadou Toumani Touré en passant par Alpha Oumar Konaré, Bamako prenait toujours « ses instructions » auprès du grand voisin sur toutes les questions importantes, tant au plan national qu’international. Avec le premier régime de Modibo Kéita, les choses étaient naturellement bien différentes, car le souvenir du soutien et de l’appui du Mali à la guerre d’indépendance de l’Algérie était encore « vif » dans la mémoire collective des deux peuples.

Et puis, n’est pas Modibo Kéita qui veut. Le président des Etats Unis, J. F. Kennedy n’avait-il pas dit concernant l’homme que « c’était le seul président pour lequel il avait besoin de lever la tête pour le regarder dans les yeux ! ». Cela en dit long sur le charisme, l’aura, le respect et la considération que Modibo Kéita imposait aux autres. Malheureusement, son passage fut le plus court à la tête de l’Etat mais également le plus bénéfique pour le pays. C’est vrai que chaque président qui est passé a essayé de « gérer » le pays comme il pouvait conformément aux contextes et réalités environnementales du moment.

Ainsi, Modibo Keita a brillamment conduit les premiers pas de la toute nouvelle république du Mali née de la double crise de l’éclatement de la Fédération du Mali, d’une part et de « l’interdiction » faite à la France de disposer de bases militaires sur le territoire malien à compter du 20 janvier 1961, d’autre part.

Malgré cette farouche « hostilité » de l’ancienne puissance coloniale et de certains de ses voisins immédiats, le Mali de 1960 à 1968 était parmi les pays les plus avancés sur la voie du développement en Afrique subsaharienne. Les seules et uniques usines et sociétés et entreprises d’Etat que le Mali compte aujourd’hui encore, la majorité des armes dans nos garnisons, entre autres, sont pour la plupart les fruits de l’esprit patriotique de cette génération de Soudano-Maliens qui tend malheureusement à disparaitre de nos jours.

Quant à Moussa Traoré, en 23 ans de règne absolu et sans partage, en plus de la « guerre des pauvres » qu’il a honorablement livrée contre la Haute-Volta (actuel Burkina Faso), on peut retenir comme acquis de cette époque la route bitumée de la RN6 reliant Bamako à Ségou ; le barrage hydro-électrique de Sélingué ; le pont Fahd sur le fleuve Niger à Bamako ; le Palais de la culture Amadou Hampâté Bah de Bamako ainsi que les résidences « pied-à-terre » dans les capitales régionales du pays.

Alpha Oumar Konaré a beaucoup plus axé son action sur les infrastructures socio-sanitaires, éducatives, sportives et routières (les premiers échangeurs à Bamako et les feux tricolores dans les régions), notamment à la faveur de l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2002 dont la phase finale s’est jouée dans notre pays. L’ère démocratique s’est aussi matérialisée par la libéralisation de l’espace médiatique (prolifération de journaux privés, de radios libres et communautaires), liberté d’opinion et d’expression (multipartisme intégral et presque anarchique), rayonnement diplomatique sur la scène internationale, entre autres.

Quant à son successeur, Amadou Toumani Touré, il a poursuivi l’œuvre entreprise pas AOK en développant davantage les infrastructures socio-sanitaires, culturelles, sportives et routières, avec cependant un accent particulier sur le « Programme des logements sociaux » qu’il a contribué à vulgariser à l’échelle nationale.
Mais, chaque régime a connu également ses lacunes, ses insuffisances et ses tares. Espérons qu’un  jour les historiens feront ce travail de mémoire.

Le seul point commun à tous ses régimes est leur « indéfectible attachement à l’amitié et à la fraternité algéro-malienne ». Tous, sans exception, ont d’une manière ou d’une autre, tenu à respecter cette orientation « sacro-sainte » dans la diplomatie du pays. Aucun d’entre eux n’a voulu froisser le voisin du Nord. Ainsi, Alger et récemment Tripoli, étaient les deux destinations les plus prisées de nos dirigeants.

En la matière, les records de visites et de séjours en ces lieux sont incontestablement détenus par Alpha Oumar Konaré et Amadou Toumani Touré. En 20 ans de pouvoir, ces deux chefs d’Etat du Mali ont à leur actif une centaine de voyages à Alger et à Tripoli. Qu’est-ce qui peut bien expliquer une telle « mise sous tutelle » ? L’histoire nous donnera un jour la réponse exacte à cette question. Mais, ce qui est évident, le constat est que l’Algérie a fini par croire que le Mali était « sa chose ». Donc, qu’elle pouvait disposer de lui comme elle entend et à sa guise. C’était, en tout cas ainsi, jusqu’à l’avènement de la crise actuelle et surtout le coup d’Etat du 22 mars 2012, qui, en réalité, n’a surpris personne sauf les plus « naïfs » des observateurs.
Si l’événement en tant que tel n’a pas surpris grand monde, les auteurs et acteurs, par contre, eux n’étaient pas les plus attendus à ce niveau de l’Etat.

Voilà, en quelque sorte, les raisons qui expliquent la lenteur des « condamnations » aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il est établi que tous les signaux étaient au rouge dans un Mali gangréné par des maux tels que la corruption, la mal-gouvernance, l’injustice, le laisser-aller, le népotisme, le clientélisme, l’impunité érigée en système de gouvernance, la gabegie, j’en passe.
A la lumière des événements, on se rend compte le pire a été la conspiration et le complot fomentés contre l’Etat et le peuple à travers la compromission des élites avec les milieux mafieux, les groupes terroristes et les narcotrafiquants de tous les pays et de tous les horizons.

En un mot, l’Etat malien s’était effondré. Le Mali, en tant qu’Etat, n’existait réellement que dans la forme. Il ne contrôlait plus rien, ni à l’intérieur de ses frontières qu’à l’extérieur.

Le coup d’Etat du 22 mars 2012 est donc arrivé comme « un coup de semonce » sur la tête de tous, populations maliennes et partenaires du Mali. En pareille situation, les appréciations sont forcément diverses et fonctions des aspirations profondes et légitimes des uns contre « les intérêts » tout aussi légitimes des autres. La suite des événements et l’évolution de la situation démontrera qui en aurait véritablement tiré profit.
Quoiqu’il en soit, le Mali est aujourd’hui à la croisée des chemins. Non seulement il doit pouvoir s’assumer en tant qu’Etat indépendant et souverain, mais aussi, ne plus jamais admettre de « renier » ses intérêts et valeurs ancestrales qui ont autrefois fait sa grandeur et la fierté de son peuple.

Sur ce plan, si un référendum était organisé aujourd’hui sur la conduite à tenir vis-à-vis des groupes rebelles, la majorité des populations opteraient sans coup férir pour la méthode forte. Quant à nos relations avec certains de nos voisins, elles ont véritablement pris du plomb dans les ailes à la faveur de la crise actuelle et de la gestion qui en a été faite par les uns et les autres (Cédéao, Mauritanie, Niger, Algérie, Sénégal, Côte d’Ivoire, Guinée, etc.).

L’Algérie a particulièrement déçu par son attitude attentiste « ambigüe » depuis le début de cette crise. En effet, si le soutien de la Mauritanie au Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) n’a pas beaucoup intrigué les populations compte tenu de la débâcle de celui-ci sur le terrain, le peuple malien ne comprend pas et est « très choqué » d’apprendre par diverses sources que Iyad Ag Ali et son groupe Ançar dine, sont nourris, soignés et ravitaillés par l’Algérie. D’aucuns disent même que c’est une création des services secrets algériens pour avoir la main mise sur les ressources minières dont regorgerait le sous-sol de cette partie du territoire malien.

Il aurait fallu, ne serait-ce que pour démentir ou « mettre fin » à ces suspicions avérées ou fausses, que l’Algérie adopte une position claire dès le déclenchement des hostilités visant l’annexion de ces régions qui sont tombées aux mains des occupants les unes après les autres en trois mois. Ce temps aurait pu servir pour actionner véritablement le fameux Comité d’état-major opérationnel conjoint (Cémoc) basé justement à Tamanrasset dans le Sud algérien précisément à la frontière commune aux trois pays (Algérie, Mali, Niger). L’Algérie n’a pas bougé, ni à l’acheminement des armes lourdes venues de Libye et ayant transité forcément par son territoire avant d’atterrir aux mains des groupes rebelles dans le Nord du Mali, ni à travers une certaine pression qu’elle aurait pu exercer sur ces différents mouvements pour arrêter ou tout au moins ralentir l’annexion puis l’occupation totale de cette partie du territoire malien. Elle a attendu que d’autres, notamment la Cédéao, l’Union africaine et la France, n’affichent leur ferme détermination à  » libérer le Nord du Mali par tous les moyens appropriés » pour essayer de « se mouvoir » probablement pour ne pas « perdre » sa place et rôle de « tutelle » dans la région.

Ce sont tous ces questionnements qui fâchent aujourd’hui Bamako et les Maliens dans leur rapport avec « ce pays frère ».
Rarement pour ne pas dire jamais, les relations entre les deux pays (Mali-Algérie) n’avaient connu « une telle froideur » depuis les indépendances jusqu’à nos jours. En les matières, quelles que soient les griefs et autres reproches que les autorités algériennes ont ressenti par rapport au laxisme et à l’extrême passivité du pouvoir en place à Bamako, les Maliens ont aujourd’hui le sentiment d’avoir été « trahis » par leur ami algérien.

Le récent séjour du ministre algérien délégué aux Affaires africaines, Abdelkader Messahel, au Mali ainsi que dans les deux autres pays du champ, pourra-t-il faire changer la donne ? Rien n’est moins sûr. Car, aujourd’hui, le gouvernement et le peuple maliens sont décidés de mener la guerre, s’il le faut, (ce qui est de plus en plus évident et inévitable, en tout cas pour bon nombre de Maliens et de partenaires du Mali) avec ou sans l’Algérie, afin de « bouter définitivement hors du territoire national les groupes terroristes et leurs complices » comme cela vient d’être rappelé encore une fois par le président français, François Hollande, lorsqu’il recevait le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, à Paris.

Il y a également l’inhabituelle fermeté ou dureté du discours qui a accueilli le ministre algérien aussi bien du côté du Premier ministre Cheick Modibo Diarra, que des autres membres de son gouvernement que la délégation algérienne a rencontré durant son séjour malien.

A cette occasion, les autorités maliennes n’ont pas porté de gangs pour asséner « leurs parts de vérités » au partenaire algérien. Est-ce un simple signe des temps ou une réelle volonté de Bamako de se passer désormais « des bienveillants conseils » de son grand voisin ? Quoi qu’il en soit, l’Algérie doit se convaincre qu’il est très facile, pourvu qu’on le veuille et qu’on s’en donne les moyens, de nuire à autrui. En la matière, il n’y a ni de grands pays, ni de petits pays. Chaque pays traîne « ses renégats » que les autres peuvent facilement rechercher et activer. Seulement, de telles pratiques, le Mali n’en connait pas et n’en a jamais usé. Mais cela ne veut aucunement dire qu’il n’en a pas les moyens ou les capacités.

Le bon voisinage, comme cela a été défini et vécu par les illustres pères des indépendances de nos pays, voudrait que nous respections mutuellement dans nos différences. Hier, le Mali a aidé et soutenu l’Algérie et bien d’autres pays en Afrique et dans le monde. Le Mali voudrait continuer à entretenir les mêmes relations d’amitié et de fraternité avec tous les pays du monde et singulièrement ceux avec lesquels il est lié par un destin commun. A condition que tout le monde, sans exception et sans exclusive, soit dans les mêmes dispositions d’égalité, de justice, de solidarité et de fraternité, vraies.

L’Algérie, plus que tout autre pays, peut et doit travailler à la stabilité et à la consolidation de la paix aussi bien au Mali que dans toute la bande sahélo-saharienne aujourd’hui confrontée à de nombreux et divers défis.

Le Mali jouera sa partition et toute sa partition, dans cette quête permanente de la paix et du développement harmonieux pour chacun et pour tous les peuples d’Afrique et du monde. Mais, il le fera en tenant compte désormais de ses intérêts primordiaux en parfaite harmonie avec ses convictions profondes d’une Afrique unie et solidaire.

Ibrahima Sidibé
L’ Indicateur Du Renouveau 11/10/2012