Accusée par les autorités de la Transition d’être responsable de violences meurtrières dans le milieu scolaire et universitaire, l’Association des élèves et étudiants du Mali a été dissoute mercredi dernier (13 mars 2024) par le conseil des ministres. Elle fait ainsi les frais de sa déviation de la trajectoire des objectifs ayant motivé sa création le 27 octobre 1990 par des étudiants en médecine (majoritairement) menés par Oumar Mariko et Kassoum Barry. Considérée comme un socle du Mouvement démocratique malien, l’association est très vite devenue une marionnette entre les mains des leaders politiques qui manipulent ses dirigeants préoccupés par tout sauf par les intérêts des élèves et étudiants.
Oser refonder, c’est oser prendre des décisions courageuses voir audacieuses et les assumer contre vents et marées ! Tel semble être le leitmotiv des autorités maliennes de transition qui, ces derniers mois, multiplient la dissolution des organisations politiques en conflit avec leurs propres statuts. L’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM) est la dernière en date. Elle a été dissoute par le conseil des ministres de mercredi dernier (13 mars 2024). Une dissolution qui intervient quelques semaines après la suspension immédiate par le gouvernement de toutes ses activités (le 29 février 2024) dans l’espace universitaire et jusqu’à nouvel ordre. Et cela après des affrontements violents entre bandes rivales qui ont fait un mort (un jeune étudiant de la Faculté des sciences économiques et de gestion) et des blessés graves le 28 février 2024.
Depuis plusieurs années, a souligné le communiqué du gouvernement malien, «force est de constater que l’AEEM ne défend plus les nobles causes des élèves et étudiants conformément à ses objectifs». Et cela d’autant plus que, a-t-on précisé, elle a été «plusieurs fois accusée d’être responsable de violences et d’affrontements dans le milieu scolaire et universitaire, caractérisés par de nombreux accrochages à main armée entre les différents clans de ladite association». Des violences similaires à celles du 28 février dernier ont en effet eu lieu en décembre 2017 entre des «factions rivales» du comité Aeem de la Faculté des sciences et des techniques en faisant un mort.
En octobre 2018, des affrontements à coup d’armes à feu et de machettes ont également opposé des clans rivaux du comité Aeem de la Faculté de droit privé, faisant 9 blessés, dont 2 graves. Selon le gouvernement, ces agissements en cause sèment des troubles au sein de l’espace scolaire et universitaire et provoquent des perturbations des cours, des assassinats, des meurtres et des destructions de biens publics et privés par des manifestations violentes de rue et des ports illégaux d’armes. D’où sa décision de dissoudre l’Aeem. Cette dissolution est aussi l’une des recommandations des Assises nationales de la refondation (ANR).
Une décision que presque tous les régimes précédents ont envisagée sans jamais avoir le courage de franchir le rubicond. Et cela d’autant plus que cette association, dont les manifestations et la violente répression qui en a résulté ont ébranlé le régime de feu le Général Moussa Traoré, a été longtemps considérée comme un symbole de la démocratie malienne. A la base de l’insurrection populaire entre janvier et mars 1991, l’Aeem a en effet joué un rôle important dans la chute du régime de feu le Général Moussa Traoré et dans l’avènement de la démocratie malienne. C’est d’ailleurs à ce titre qu’elle a siégé au sein du Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP) qui a gouverné le Mali entre le 26 mars 1991 et le 8 juin 1992 sous la direction de feu le Général Amadou Toumani Touré dit ATT. Elle était presque intouchable depuis parce que n’hésitant pas décréter des interminables grèves et de violentes manifestations pouvant trouver l’ordre public.
Mais, pour de nombreux observateurs, l’Aeem a cessé d’être ce symbole en sombrant dans la violence et le chantage pour soutenir son cahier de doléance. Mais, personne n’est dupe pour croire que les débrayages décrétés par des comités et le bureau de coordination étaient seulement motivés par la défense des intérêts des élèves et étudiants, la prise en charge de leurs préoccupations. «Nous avions toujours refusé d’être manipulés par des politiciens… qui nous rendaient visite la nuit. Cette tradition continue de nos jours. Aujourd’hui, je dis au ministre de rester sur sa bonne décision de suspendre l’Aeem qui est devenue cet animal ignoble et criminel», avait souhaité un ancien dirigeant de l’association au lendemain de la suspension de ses activités de l’espace universitaire jusqu’à nouvel ordre.
Le juteux business de la gestion de l’espace scolaire et universitaire
Autrement, il y a belle lurette que l’Aeem a cessé d’être ce symbole de la démocratie. Et cela d’autant plus que, pour les dirigeants politiques maliens, elle est vite devenue comme le crocodile ayant surgit de leur propre urne pour les menacer. Ils ont été régulièrement terrorisés par le monstre qu’ils en ont fait. En effet, ils ont tous, un moment ou l’autre, utilisé cette organisation contre un régime auquel ils sont opposés. Ayant sacrifié la vraie lutte estudiantine pour un meilleur confort des élèves et étudiants, l’association est rapidement devenue un moyen de pression convoité par la classe politique pour faire plier leurs adversaires au pouvoir.
Sans compter la mainmise sur la gestion de l’espace scolaire et universitaire devenu un juteux fonds de commerce pour les responsables des comités des différentes facultés et des responsables du bureau de coordination. Ces comités géraient presque tout, y compris l’attribution et le paiement des bourses. Le témoignage de notre jeune confrère Malick Konaté l’atteste éloquemment. «Je me souviens de ce jour où je me suis réveillé à 4h du matin pour me rendre à la faculté afin de toucher ma bourse… En arrivant, une vingtaine de personnes étaient déjà devant moi et je pensais récupérer mon argent avant midi. Nous avons commencé à faire la queue à 6h du matin et cela a duré jusqu’à 15h sans succès, car j’ai refusé de payer 25 000 F Cfa aux membres de l’Aeem. Imaginez ma souffrance : pas de petit-déjeuner, ni de déjeuner, ni d’eau à boire car je n’avais rien sur moi, comptant fortement sur ma bourse. Les agents de l’ Aeem laissaient passer ceux qui payaient les 25 000 F Cfa devant nous et nous répétaient sans cesse que c’était à eux de décider. Si nous n’étions pas d’accord, nous pouvions rentrer ou suivre la file d’attente», a-t-il témoigné sur son compte «X» le lendemain de la dissolution de l’association.
«Lorsque mon tour est enfin arrivé au guichet, la dame m’a informé qu’elle avait épuisé les fonds. Incrédule, elle m’a montré la caisse contenant seulement un billet de 1000 F Cfa et quelques jetons. Après avoir expliqué ma situation, elle m’a donné les 1000 F Cfa pour rentrer chez moi et m’a promis de m’assister en premier le lendemain matin. Elle m’a conseillé de la rejoindre dans son bureau à 7h30 le lendemain. Comme convenu, elle m’a remis mon argent. En rentrant, certains membres de l’ Aeem m’ont averti que si je ne payais pas ce jour-là, je rentrerais sans ma bourse aussi. J’ai seulement souri et continué mon chemin», a-t-il ajouté.
Et le jeune confrère de conclure, «je pourrais raconter plusieurs histoires similaires impliquant l’Aeem. C’est pourquoi j’approuve la décision de dissolution du gouvernement et je la soutiens pleinement». Un autre a réagi à son témoignage en rappelant, «une caissière m’avait assisté, alors que j’étais dans une situation quasi similaire. Mais, j’ai tout de même été rattrapé par les membres de l’ Aeem qui ont finalement pu prélever leur taxe. Oui à cette dissolution».
Un instrument de terreur contrôlé par des «étudiants de carrière»
La gestion de cette manne financière est en partie la raison des affrontements violents et souvent meurtriers entre fractions rivales pour le contrôle des Comités puis du bureau de coordination. «En dehors des questions relatives aux bourses et au stationnement (parking), quels autres combats l’Aeem a-t-elle mené ces dernières décennies ? Les grèves sont déclarées sans concertation avec les élèves et étudiants lorsque les intérêts de ses dirigeants sont menacés», a déploré un interlocuteur sur la «Colline du Savoir» (campus universitaire de Badalabougou). Ils sont nombreux les étudiants rencontrés qui sont de cet avis.
Tout comme ils sont nombreux à souhaiter que cette dissolution ne soit pas une fin en soi. «Elle doit servir de point de départ pour une nouvelle dynamique, donner naissance à une nouvelle association authentique et réellement dévouée à la défense des intérêts des élèves et étudiants, à la résolution des problèmes des apprenants», souhaite Farima, une étudiante en gestion. «C’est une décision responsable, courageuse et salutaire botter la violence hors de l’espace universitaire. Mais, il ne faut pas dissoudre pour dissoudre. J’espère voir émerger une nouvelle organisation qui s’engagera réellement à soutenir les élèves et étudiants, plutôt que de les exploiter pour des basses besognes politiques», espère un enseignant à la retraite.
De l’avis de nos interlocuteurs, il est indispensable de doter le domaine universitaire d’une plateforme propice à «l’émergence d’une jeunesse responsable et citoyenne». Et cela est indispensable pour ne pas donner raison à ceux qui nourrissent l’intime conviction que cette décision est un véritable coup de semonce des «héritiers de feu le Général Moussa Traoré» au mouvement démocratique. Le gouvernement a intérêt à aller dans ce sens car, comme le dit le jeune avocat Alassane Diop (un ancien dirigeant d’un comité Aeem), «rien ni personne ne pourra empêcher une jeunesse consciente et responsable de s’exprimer quand elle sera prête à se battre pour ses droits et non pour des prébendes» !
Le mieux, c’est alors de lui créer un cadre d’expression dans l’ordre et la discipline !
Hamady Tamba
Le règne sans fin des «étudiants de carrière» sur un instrument de terreur
Selon de nombreux témoignages, prise en otage pas des «étudiants de carrière», l’Aeem était devenue un instrument de terreur. Une terreur dont les étudiants étaient malheureusement les premières victimes. «J’ai failli être handicapé à cause de l’Aeem. Quand j’étais dans le rang (pour percevoir la bourse), ils se sont bagarrés entre eux avec machettes, cailloux…et j’ai été atteint au niveau de mes cuisses…», nous a confié un étudiant en Master. Les témoignages de ce genre sont légion dans l’espace universitaire.
Pour de nombreux étudiants, l’Aeem était devenue «une association des malfaiteurs manipulés dans l’ombre par des gens aux desseins inavouables». Selon eux, ces dernières années, les étudiants font face à des défis découlant du système LMD (Licence-Master-Doctorat). Sans compter qu’ils sont encore nombreux les étudiants de l’ancien système (Maîtrise) qui n’ont pas pu soutenir leurs Mémoires de fin d’études à temps pour diverses raisons indépendantes d’eux.
«Aujourd’hui, il n’y a plus de soutenance pour les maîtrisards alors que la faute incombe plutôt à l’administration scolaire et à nos encadreurs. Nous sommes aujourd’hui obligés de passer des concours pour nous inscrire en Master et c’est payant. Nous n’avons jamais senti l’Aeem à nos côtés quand nous nous battions pour avoir le droit de soutenir», raconte l’une d’entre eux.
«De nos jours, certains étudiants demeurent bloqués en première année tandis que leurs camarades plus fortunés fréquentant des universités privées en obtenant leur Master voire en entament leur carrière professionnelle. Ces étudiants restent bloqués en première année, sans progression ni redoublement. Certes, l’État est le principal responsable, mais en tant qu’organisation censée défendre les étudiants vulnérables, qu’a-t-elle fait ?», s’interroge un étudiant.
«Non, à cette Aeem car nous voulons une association des élèves et étudiants plus pacifique. Oui, nous les étudiants on a des droits, mais lorsqu’une association mène à la perte de vies humaines, plus rien ne compte, il faut sa refondation ou sa dissolution. La vie humaine est sacrée», a défendu un étudiant croisé sur le campus de Badalabougou. Il était donc temps que le gouvernement s’assume pour que cela change !
H.T