Téléphone tueur, sorcellerie, djinns… Ces canulars partagés en Afrique finissent souvent sur le Whatsapp des jeunes des diasporas à travers des partages massifs au sein de la sphère familiale.
« Une fille a jeté le Coran par terre et s’est transformée en chèvre », « Le gingembre guérit le covid et les Africains ne peuvent pas attraper le virus »… Les canulars et rumeurs que reçoivent les jeunes issus des diasporas maghrébines et afro-descendantes sur Whatsapp sont nombreux. Sous la forme d’audios, d’images, de vidéos ou de simples textes, ces messages sont dans la majorité des cas envoyés par les parents ou des membres de la famille en France ou en Afrique.
« Je reçois des messages Whatsapp de mes tantes au Sénégal alors que j’habite en France, explique Yacine, franco-sénégalaise de 25 ans. Comme quoi le riz vendu à Dakar serait en plastique venu de Chine ». La jeune femme avoue avoir cru à certaines choses plus jeune, mais aujourd’hui, elle préfère en rire. Pareil pour Elias, franco-algérien de 24 ans, qui a également reçu cette chaîne qui raconte qu’une femme s’est « transformée en chèvre » pour avoir jeté le Coran dans les toilettes. Une histoire à laquelle il croyait encore dur comme fer, jusqu’à ce qu’il découvre que la photo était en réalité une sculpture. Adriana, 29 ans, d’origine congolaise, a même fini par bloquer son oncle sur Whatsapp, qui lui avait envoyé un message expliquant que « le Covid est un démon » et qu’il fallait « boire son urine pour en guérir ».
Ces messages, qui paraissent invraisemblables, s’inscrivent dans un contexte culturel non-occidental situé en Afrique de l’Ouest et au Maghreb, où surnaturel, spiritualité et médecine alternative sont beaucoup plus ancrés. Mais pourquoi la diaspora et ses jeunes, nés pour la plupart en France, sont touchés par ces messages massivement diffusés alors qu’ils ne vivent pas sur le continent ? En réalité, un pont existe des deux côtés de la Méditerranée : « Qu’on soit né ou qu’on soit venu en France, on est toujours enraciné sur le continent et on se sent concerné par les affaires noires et maghrébines, explique Valdez Onanina, rédacteur en chef adjoint du bureau dakarois d’Africa Check, organisme de fact-checking d’Afrique subsaharienne. Un jeune de la diaspora, même s’il est né en France, sera soumis à des croyances similaires. »
Ces rumeurs s’appuient tout de même sur « des événements de la vie courante, souligne Julien Bonhomme, chercheur spécialisé en rumeurs sur le continent africain. Quand on parle d’une coupure de courant, qu’il faut se boucher les oreilles et prier parce que le diable arrive, on peut très bien faire référence aux nombreuses coupures de courant qui ont lieu au Gabon et au Sénégal ».
Finalement, WhatsApp n’est qu’un prolongement naturel de ce qui se passe sur le continent africain. « L’application permet une démultiplication de l’audience de ces rumeurs et une accélération de leur diffusion », poursuit Julien Bonhomme. Le bouche à oreilles est décuplé et même instantané. Les utilisateurs se retrouvent à échanger dans plusieurs groupes de discussion thématiques différents (santé, voyages, cuisine) qui constituent une aubaine pour le relais de fausses informations. En un envoi, rumeurs surnaturelles et remèdes miracles en tous genres font souvent leur chemin auprès de milliers de personnes à la fois.
« LA DIASPORA AFRICAINE EST UNE COMMUNAUTÉ TRÈS FRACTIONNÉE GÉOGRAPHIQUEMENT MAIS UNIE PAR WHATSAPP »
Et c’est sans limite. Sur WhatsApp, la régulation très minime en vigueur ne permet pas de faire un tri entre les informations vraies et vérifiées et le reste. Résultat : « les utilisateurs se retrouvent face à une information à flux tendu, une surenchère qui rend difficile de tirer le vrai du faux », explique Nawel Chaouni, chercheuse à l’université de Toulouse, spécialisée dans l’impact des médias sociaux sur les pratiques culturelles des diasporas. Une heure après qu’un message est envoyé sur un groupe ou dans une discussion, il est impossible pour son utilisateur de le supprimer. Il pourra alors être copié, relayé ou transféré par n’importe qui. L’application a récemment limité le transfert de messages à 5 transferts en simultané. « C’est un début, mais il suffit à l’utilisateur d’attendre et de relancer un deuxième transfert, puis un troisième. Ou bien de l’envoyer directement sur un groupe pour toucher plus de monde à la fois », regrette la chercheuse.
Outre ce manque de régulation, la prolifération de ces fausses informations peut également trouver son origine dans ce que représente l’application pour ses utilisateurs. Selon Nawel Chaouni, WhatsApp représente un « média de refuge » pour les diasporas africaines. Alors qu’au quotidien, elles souffrent parfois de se retrouver avec des personnes qui ne les comprennent pas et ne partagent pas les mêmes valeurs qu’elles, l’application de messagerie devient un lieu familier, où elles peuvent échanger plus facilement, avec des codes et références qui leurs sont propres. « La diaspora africaine est une communauté très fractionnée géographiquement mais unie par WhatsApp », affirme-t-elle alors.
Le lien de confiance est ainsi vite établi. Car au sein d’une communauté à laquelle on se sent appartenir, la remise en question est loin d’être naturelle. « Nous allons donner plus de crédit aux informations provenant de notre communauté et ainsi plus difficilement les questionner ». De plus, « si on n’est pas ou peu lettré en français, on est plus réceptif si on reçoit un audio dans un dialecte », ajoute Valdez Onanina. Parler darija (dialecte arabe maghrébin), le wolof ou le bambara ajoute alors plus de crédibilité aux messages transférés.
« QUAND IL S’AGIT DE RUMEURS SURNATURELLES, NOTRE REGARD OCCIDENTAL VA PRENDRE LE DESSUS. ET PUIS, LA DOUBLE CULTURE FRANCO-AFRICAINE JOUE AUSSI DANS LA DÉTECTION D’HISTOIRES QUI PEUVENT PARAÎTRE INVRAISEMBLABLES »
De leur côté, les personnes qui diffusent ces fausses informations ont aussi leurs propres stratégies et objectifs. Africa Check a d’ailleurs commencé à enquêter sur les motifs qui pousseraient des utilisateurs à publier ce genre de rumeurs. « Il y a d’abord les fins économiques : certaines personnes souhaitent tout simplement se faire de l’argent », explique Valdez Onanina, évoquant notamment la tendance récente à remettre en question la médecine classique au profit d’autres remèdes tels que la pharmacopée (vertus thérapeutiques de certaines plantes). « De nombreuses personnes s’improvisent médecins sur WhatsApp pour vendre leurs services et proposent ensuite à leurs clients de basculer sur un autre réseau pour commercer », ajoute Nawel Chaouni.
Sur Twitter, nombreux sont les jeunes issus de la diaspora qui préfèrent tourner en dérision ces messages à coups de tweets comme « le FC Daronnes », « ne montrez pas ça à ma mère » ou encore « désinstallez le whatsapp de vos daronnes ».
Ces messages en provenance du continent africain interpellent une jeunesse partagée entre deux cultures. « Quand il s’agit de rumeurs surnaturelles, notre regard occidental va prendre le dessus. Et puis, la double culture franco-africaine joue aussi dans la détection d’histoires qui peuvent paraître invraisemblables », poursuit Elias. L’Afrique est loin d’être un cas unique dans la diffusion de rumeurs, comme le rappelle Julien Bonhomme avec l’exemple de la légende urbaine française de la camionnette blanche qui enlèverait des enfants. « C’est quelque chose qu’il faut “dés-exotiser”. Il ne faut pas qu’on croit que ce phénomène renvoie à une Afrique engluée dans des superstitions, abonde le chercheur. D’ailleurs, le partage massif de ces messages ne signifie pas que les gens y croient fermement, il y a une part de doute ».
Derrière cet humour, les enfants d’immigrés issus de la diaspora africaine gardent un recul sur ces rumeurs et fausses informations. Ils vont même jusqu’à combler le manque d’éducation aux médias sociaux de leur famille. Elias, Yacine et Adriana se transforment alors en professeurs et n’hésitent pas à expliquer à leurs proches que le message transféré à l’instant n’est rien d’autre qu’un canular. « La nouvelle génération a l’œil pour voir les montages et les fausses informations », conclut Elias.
Par Anas Daif, Rachel Rodrigues
Illustrations Audrey Couppé de Kermadec