Diaspora – Fati Niang : « Je veux valoriser la gastronomie africaine »

Fati Niang Gérante de Black Spoon

Sa cuisine, à l’enseigne de Black Spoon, fait le tour de la région parisienne à bord du premier food truck à proposer des saveurs africaines. Pour Fati Niang, au-delà du goût, il y a tout un symbole.

Sont-ce les baraques à frites qui ont inspiré Fati Niang, la trentaine bien engagée, à mettre son projet dans un camion ? « En réalité, je me suis inspirée du Camion qui fume, le premier food truck parisien. J’ai adapté le concept à la gastronomie africaine », explique-t-elle simplement. Son projet, elle l’a baptisé Black Spoon et c’est le premier food truck africain identifié dans la région parisienne. Le concept de food truck a, lui, été importé des États-Unis. Il tourne autour de la notion de camion-cantine ou de restaurant ambulant. Avec Black Spoon, Fati Niang initie, depuis décembre 2013, les gourmands d’Ile-de-France à la cuisine made in Africa.

Un départ dans une famille immigrée originaire du Sénégal
« Mon père est arrivé en France dans les années 1960 où il a travaillé comme ouvrier chez Renault et ma mère nous a élevés, moi l’aînée et mes six frères et sœurs. » Aînesse oblige, Fati doit mettre la main à la pâte et dès la sortie de l’école aider aux tâches domestiques. Y compris la cuisine. « C’était militaire, chacun avait son rôle. On en voulait à notre mère parce qu’on ne pouvait pas sortir comme on voulait, mais, avec le recul, on a beaucoup appris. Dès 12 ans, j’étais entièrement autonome », indique-t-elle. Fati Niang s’initie surtout à la cuisine traditionnelle sénégalaise qu’elle redécouvre au pays, quand la famille, à la suite d’un drame, le décès de son frère, part pour le Sénégal. « J’avais cinq ans et on n’y est resté qu’un an, mais je m’en souviens très bien. Des souvenirs très précis avec ma grand-mère, une piqûre parce que j’avais chopé je ne sais plus quoi… », poursuit-elle. Le premier d’une série de voyages qui marquent son enfance, et finalement le parcours de Fati. « On voyageait énormément parce notre famille était éparpillée, en Suisse, en Allemagne, en France aussi. Et en voiture. Ça m’a aidé à m’ouvrir à d’autres cultures », ponctue-t-elle.

Une adolescence pas de tout repos
Mais cette enfance « heureuse » est suivie une adolescence plus difficile. « J’étais un peu révoltée, je voulais m’affirmer », dit-elle. Et c’est contre l’avis de ses parents qu’elle va faire du mannequinat pendant cinq ans. « Ça n’a pas vraiment marché. Il n’y avait pas encore de blacks dans les agences de casting », explique-t-elle. D’une nature rêveuse conjuguée avec un minimum de pragmatisme, Fati pousse ses études jusqu’en terminale STT et décroche son bac. « Je ne savais pas forcément ce que je voulais faire, mais j’étais focalisée sur les métiers artistiques. Je faisais de la danse, du chant, la mode… C’est ça qui me boostait à l’époque », dit-elle. Sans réelle perspective d’avenir, Fati, qui apprécie ses cours d’économie, va tester l’expérience universitaire.

La révélation du goût de l’entrepreneuriat
« À peine sortie du lycée, ça ne me convenait pas, j’avais besoin d’être plus cadrée », confie-t-elle. Fati va alors s’orienter vers une formation plus pratique de marketing et commerce. Et créer, à 20 ans, sa première société ! « Pour notre sujet de mémoire, on devait réaliser une étude de marché complète. À l’époque, Hapsatou Sy montait en flèche, c’était aussi l’époque où la question des cosmétiques éclaircissants était au-devant de la scène. Avec une copine, on a créé un institut de beauté en partenariat avec des dermatologues pour sensibiliser les femmes sur les spécificités de la femme noire et importer des produits des États-Unis ». C’est le déclic : Fati a le goût de l’entrepreneuriat. « Faire du sourcing, le côté marketing, inventer et créer une marque de zéro… J’adorais ! » déclare-t-elle. En plus d’apprécier l’exercice, Fati semble en avoir le potentiel : son projet obtient la meilleure note.

Une formation solide avant de se lancer
De manière surprenante, plutôt que de poursuivre, Fati décide de reprendre des études. « Je manquais de bagages », dit-elle. En réalité, Fati n’aime pas l’improvisation et préfère s’armer de tous les outils nécessaires avant de monter sa structure. Ce qu’elle fera. Elle s’inscrit en BTS action-commerciale en alternance. Cela l’a conduite à entrer en stage dans un cabinet d’architecture. « Je suis entrée en tant qu’assistante commerciale. J’ai décroché un premier contrat de 500 000 euros.

Ils étaient contents et petit à petit m’ont laissé la main. » Ainsi en dix ans, elle évoluera à différentes postes, pour finir comme chargée d’affaires grands comptes. « C’était très stimulant comme expérience, s’imprégner des valeurs de l’entreprise, travailler avec des architectes très doués… » c’est alors qu’elle est débauchée par Suez Environnement, mais l’expérience tourne court.

« Là, je me suis dit, maintenant je suis prête à me lancer, mais après une formation à l’AFPA sur la création et gestion d’entreprise. » « J’aime bien maîtriser les choses », confirme-t-elle. « Surtout, cette formation a été l’élément déclencheur : c’est là que j’ai découvert le food truck.

Je me suis dit que je vais commencer par ça, plutôt que d’ouvrir un restaurant, ce qui est assez lourd. Le food truck, c’est quelque chose de jeune, nomade, ça me correspond bien. » L’idée ayant été trouvée, reste à la vendre. Là, les choses se compliquent. « Les banquiers me disaient : On n’a pas de retour sur la gastronomie africaine, on ne sait pas si ça va marcher, c’est ethnique, c’est compliqué. J’expliquais que mon public, c’était avant tout les Européens… » À force de pugnacité, Fati va réussir à convaincre un banquier de la suivre. Enfin, les choses démarrent.

Le déclic d’un MasterChef au Sénégal

« L’idée est de valoriser la gastronomie africaine dans le monde. J’avais participé à un événement au Sénégal qui m’avait beaucoup marquée : des chefs africains avaient été réunis pour une sorte de MasterChef. Je ne savais même pas qu’on avait des chefs africains ! Valoriser la gastronomie, c’est aussi valoriser nos cultures. En fait, Black Spoon, c’est moi, le métissage de la France et de l’Afrique. Ce que m’a appris ma mère petite. Je mange africain, je parle africain, ça fait partie de moi. » Tout de suite, elle joue la carte de l’originalité en proposant des produits bio. « J’ai conclu un partenariat avec le traiteur Moriba, qui fournit toute une gamme de produits bio.

C’était un plus. Pas juste de la nourriture africaine. » Autre plus, la touche com. Fati, qui n’aime pas laisser les choses aller au hasard, on l’aura compris, passe par des professionnels. Logo, visuels, la marque est lancée… et le concept, relayé par les réseaux sociaux, séduit très vite. « On a eu 100 personnes le premier jour, c’était super. Puis, ça a fait le buzz. On a enchaîné les contrats, de gros contrats, ce qui nous a lancé très vite. » La Foire de Paris, Sciences Po pour la semaine africaine, Castorama, Solidays, Rock en Seine … « On a aussi fait le concert de Beyonce et Jay Z. C’est la première fois que l’on proposait de la nourriture africaine au Stade de France. On s’est dit, OK, on commence à changer les esprits. »
Son ambition : valoriser la gastronomie africaine

En deux ans, Black Spoon, qui, au passage, a lancé son application en ligne, a nourri plus de 15 000 personnes. Et le calendrier de commandes pour 2016 est déjà rempli. Des débuts prometteurs qui nourrissent les ambitions de Fati. « On s’aperçoit que le food truck a ses limites. Il fonctionne essentiellement pour l’événementiel. Dans la rue, on reste tributaire du temps. Donc, on s’oriente vers la privatisation. Avec un minimum de 100 à 150 clients par jour, on fait notre chiffre d’affaires de la semaine. » Cela, pour le court terme. Pour la suite, Fati a déjà des plans. « Je veux vraiment mettre la cuisine africaine à un haut niveau. Grâce à la franchise, on peut ouvrir des restaurants en dur à Paris, ensuite Dakar, Abidjan, et Casablanca dans un premier temps.

On veut faire de Black Spoon une marque pour valoriser la gastronomie africaine. » Et de conclure : « On voit que l’on crée des émules. Je suis contente d’avoir pu inspirer d’autres personnes. D’autant que le marché de la restauration africaine est vierge, donc il en faut plus. »

Par Dounia Ben Mohamed

lepoint.fr

1 COMMENTAIRE

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