Les Maliens qui vont étudié à l’étranger ne désespèrent pas tous d’un avenir épanoui de la mère patrie. Depuis leurs pays d’accueil, certains d’entre eux se soucient du développement du Mali. Malgré les opportunités d’emplois de leurs pays d’accueil, ils acceptent, guidés par leur patriotisme, de revenir servir le Mali et réussissent dans leurs domaines d’activités. Dia Sacko, en est un exemple. Après dix ans en France où elle a fait des hautes études universitaires et obtenu la nationalité française par naturalisation, la Franco-malienne a regagnée la mère patrie en août 2017 pour apporter sa pierre à la construction de l’édifice nationale. En France, elle a quitté un emploi et accepté de s’éloigner des soins d’un mari français qu’elle aime tant pour se lancer dans une aventure professionnelle dans son pays d’origine, le Mali.
Qui est-elle ? Qu’est-ce qui a motivé sa décision de revenir le bercail ? Comment se passe sa réinsertion socio-économique au Mali ? Comment a-t-elle préparé ce retour ? Qu’est-ce qu’elle a vécu durant son long séjour en France ? Quelles sont ses ambitions pour le Mali ? Ressent-elle des regrets ?
Sur ces questions, Dia Sacko, a bien voulu donner des éléments de réponses à votre site d’informations sur la diaspora malienne : « www.diasporaction.fr » lors une interview exclusive. Lisez l’intégralité de l’entretien!
- Pouvez-vous, vous présentez à nos lecteurs ?
Bonjour, tout d’abord mes meilleurs voeux, de santé de bonheur, de paix, surtout d’un Mali uni. Je m’appelle Dia SACKO, je suis diplômée d’une maîtrise de lettres modernes de l’université de Bamako ; d’une Licence de Sciences de l’éducation, ingénierie formation-emploi : conseil, accompagnement, enfin d’un Master II de lettres Recherche, spécialisé en littérature féminine. Tous deux, obtenus à l’Université de Toulouse le Mirail (Jean Jaurès)
J’ai accédé à la nationalité française par naturalisation. J’en ai fait la demande, la France m’a honorée.
Je suis d’abord Professeure de Lettres, aussi, consultante en édition et communication. J’ai dernièrement occupé le poste de Chargée de communication de la 11e édition des Rencontres africaines de la photographie de Bamako. Je contribue à la presse malienne depuis 2015 à travers des contributions telles que, -Mali : La révision de la constitution, pour un Mali nouveau-, – Billet d’indignation L’empire Bolloré : l’Afrique, 80% de ses bénéfices-, – 8 mars : et si on parlait politique au féminin-, -Modibo Keïta : Le Géant du Mali- etc…. Cette aventure s’est imposée quand j’ai pris conscience du rôle de tout un chacun des maliens, de l’intra comme de la Diaspora, dans la sortie de crise au Mali. Je peux quelque part dire que le Mali a motivé mon retour. Je voulais venir me rendre compte par moi-même que mon pays d’origine n’était pas foutu, comme présagé. M’en rendre compte et tracer les contours de ma contribution.
2) Vous écrivez aussi ?
L’écriture est une source de vie, je tiens cela de mon père, je l’ai toujours vu écrire. J’écris à mes heures perdues depuis mes 13 ans. Un recueil de poésie est en cours d’édition, et d’autres écrits attendent une correction finale. Ce recueil est emprunt de ma double culture, multiple cultures, car mon histoire, comme beaucoup de maliens, est faite de mouvement et de métissage. En effet, je suis originaire de la région de Kayes, région au long du fleuve Sénégal. Née d’une métisse sénégalo-malienne, dont la mère vient de Ziguinchor, et dont la famille paternelle, vient du Boundou, région orientale du Sénégal. Sans compter les origines Khasonké aux lianes tissées par le métissage peulh, madingue, bamabara et soninké, du côté de mon père. Et justement ma physionomie naît de la collision de tous ces peuples, les traits négroïdes posés sur un petit corps svelte aux apparences peulhes. (Rire)
3) Combien de temps êtes-vous restées en France ?
Je rentre d’une dizaine d’année de séjour en France, marquée par une riche expérience humaine, familiale, universitaire et professionnelle. Je trouve que j’ai eu beaucoup de chance en France. Je n’ai jamais été au chômage, j’ai même travaillé à temps plein en étudiant et eu aucun problème d’intégration administrative et sociale. Je ne peux objectivement me plaindre de ce pays. Et pourtant je l’ai quitté. J’y ai une famille, une sœur (toubab). Plusieurs sœurs d’ailleurs, une maman, des personnes extraordinaires qui m’ont ouverte leur cœur et leur maison.
4) Comment la famille a accueilli votre décision de retour ?
Le retour me sonnait comme une évidence, l’appel de la mère matrice, l’appel du Mali. J’étais comme poussée de l’intérieur vers la terre natale. Je ne saurai l’expliquer. La sensation que sait se vit, ne se raconte pas. Il y’a juste quatre mois, je décidais de reposer mes bagages à Bamako, cette ville qui m’a vue naître, grandir et m’a tant donnée.
Pour revenir à votre question. L’annonce d’un retour au pays peut être source d’angoisse pour la famille. Le spectre de l’échec planant, et parce qu’aussi la France est toujours considérée dans l’imaginaire malien comme la terre d’accueil, de réussite par excellence pour ses anciennes colonies, surtout un eldorado en puissance. Au vue de cette réalité, nous sommes confrontés à la toute première réaction interrogatoire : « Qu’est ce que tu viens faire au Mali ? ».
En effet, l’idée du retour peut être mal accueillie. Ne sommes-nous pas des maudits aux yeux de certains quand pleins d’autres préfèrent risquer leur vie pour tenter de franchir la méditerranée ?
Oui ma famille a d’abord paniqué. Mais s’est tout de suite armée d’une confiance en moi. Ayant également une mère adorable de qui je tire mon énergie, elle l’a plutôt bien accueilli après les appréhensions. A ses yeux, seuls comptait mon bonheur. Je ne sais pas d’où lui vient sa confiance sur les capacités de sa fille, mais sa confiance m’a aidée. Et à mon retour j’ai fait confiance à son instinct de mère. Et voilà, le saut dans le vide dans le sens inverse qu’il y a dix ans. Plus question de reculer.
5) Après dix années de vie en France, vous avez décidé de revenir vous installer au Mali, la mère patrie. Qu’est-ce qui motive une telle décision ? Ce retour est-il lié à des difficultés d’emploi en France? Est-ce par manque de débouchée ?
Nullement pas ! Aucune difficulté d’ordre d’emploi ou de manque de débouchée ne m’a faite revenir au Mali. Je vivais dans un milieu très épanouissant, aisé, plus-que confortable, bien au contraire. J’ai renoncé à un confort de vie. Dans mon cas c’était différent, je travaillais dans la fonction publique comme contractuelle au bout de laquelle, la titularisation est une débouchée naturelle.
Néanmoins, il est d’une réalité incontestable qui veut, qu’il existe plus de chance d’espérer atteindre des objectifs professionnels plus ambitieux en Afrique. Aujourd’hui, les horizons se bouchent en Europe quand tout devient possible ici. Ne dit-on pas que l’Afrique est le nouvel Eldorado, soyons les premiers en être convaincus et de faire en sorte que cela soit.
6) Il y a un paradoxe dans le fait qu’au moment où vous, vous regagnez le Mali après dix années en France, des milliers d’autres jeunes maliens mettent en danger leur vie en tentant de rentrer clandestinement dans ce pays. A votre avis, comment cela s’explique-t-il ? Est-ce à dire qu’on peut réussir mieux au Mali qu’en France ?
Effectivement, vous pointez du doigt le dit paradoxe qui voudrait que plus rien ne soit possible en Afrique, alors que justement tout est à faire, construire. Dans lequel demeure le fait que le monde soit en perpétuel mouvement depuis que l’homme marche, on se dirige toujours, vers des terres où on pense que l’herbe est plus verte. Cela s’appelle l’ESPOIR. Quoi que cet espoir qui fait déplacer certains est miné de danger, de danger de mort. L’Afrique ne compte plus ses morts dans la méditerranée.
En même temps, qui revient, qui part? Ceux qui reviennent ont, pour la plus part le choix de revenir, une initiative, portée par des compétences, des diplômes, un savoir-faire technique à faire valoir. Cela ne veut pas dire que ceux qui partent au péril de leur âme, n’ont pas de savoir-faire. Ils ont du potentiel qu’eux-même ignorent. Ne serait-ce que la confiance en soi. Mais quand la vie harassante pousse hors du ventre de son pays, cela peut s’expliquer. Des raisons évidentes, montre de l’incapacité des gouvernants à fixer leur population, lié à plusieurs facteurs socio-environnementaux et économiques, manque de formation, le chômage, le manque d’emploi. Le manque de tout pour certains. La vie est très dure au Mali quand les ressources premières viennent à manquer.
Mais en soi, cela n’excuse aucunement pas, le fait de prendre, vendre tout bien, celui de la famille, pour ensuite vivre des situations plus que dégradante pour l’humain, tel l’esclavage. Tenez une malienne m’expliquait il n’y a pas longtemps que son frère est parti du Mali avec 3000 euros en poche en Libye. Par le désert. Bon sang 3000 euros ! C’est beaucoup d’argent. On peut entreprendre avec moins que cette somme au Mali et réussir. Encore faut-il en avoir l’idée.
C’est très révoltant quand on sait que certains ont mieux réussi leur vie qu’avec moins de 50 000 francs cfa investi. Je citerai en exemple Bakorê Sylla et Bakary Togola., le marché de Bamako en est rempli Les exemples ne finissent pas. Notre jeunesse est en carence d’orientation sur leur vie. C’est cela son drame. Il y’a beaucoup à faire à ce niveau. D’abord, éduquer, éduquer, éduquer.
7) Vous êtes de retour au Mali depuis 4 mois maintenant. Comment se passe la réinsertion dans la société après tant d’années d’absence ?
Depuis quatre mois, je n’ai jamais autant travaillé dans ma vie, pas de week-end, pas de vacances , je sors de chez moi à 7 h du matin et ne rentre qu’à 22 h parfois, c’est le prix à payer. Je ne me pourfendrais jamais de l’indignité qui voudrait que je m’en plaigne. Bien au contraire, je prends plaisir dans toute entreprise menée depuis mon retour. Tel était son but principal. Impacter à mon échelle.
J’ai été très bien accueillie, ce qui me donne le courage de rester et de continuer les chantiers entamés. Dans ma vingtaine d’année, j’étais investie dans le monde associatif et culturel, ce monde m’a ouvert sa porte à bras accueillants. C’est comme si j’avais quitté Bamako, seulement hier. J’ai fait des nouvelles rencontres qui me donne la force d’avancer.
8) Est-ce à dire que vos attentes (en venant) ont été comblées à votre arrivée ?
Très vite, ma première action à Bamako a été en aval de la mobilisation qui avait été menée autour de l’otage malien, agent de paie de l’INPS Amadou Ndjoum, pour lequel on a avait mis en place un comité de soutien aux otages maliens, mené une série de campagne sur les réseaux sociaux, notamment un point de presse. L’effet ayant été la permission de la libération d’Amadou Ndjoum quelques jours après. La prise de poste dans une école française, la proposition de collaboration d’un éditeur malien, la consultation, la création d’une association, d’autres collaborations en vue dans les médias, notamment TV5 monde, sont-ce là des attentes plus parfaitement comblées. Oui au vue des points cités, je suis assez satisfaite.
Par conséquent, je reste prudente, j’ai plusieurs projets à conduire, dont la création d’un média dans un domaine qui me tient très à cœur, j’en dirai un peu plus dans quelques mois. Et je remercie du fond du cœur toutes les rencontres qui ont permises cet accomplissement. Le défis est majeur. Et seul le travail anoblit.
9) Faut-il comprendre que ce sont les économies ramenées de la France qui sont à la base de ce retour réussi au Mali?
Non pas du tout, je suis revenue de France avec quelques mille euros en poche, aujourd’hui dépensés. Ce fonds a permis une installation matérielle confortable. J’ai un petit chez moi, un travail qui me fait vivre convenablement, je ne vis pas dans le même confort, certes, mais je suis heureuse d’être ici. Je me ressource c’est l’essentiel.
10) Vous avez préféré le Mali à la France après avoir obtenu la nationalité française dans le seul but de participer à la construction de l’édifice nationale. Quels sont vos projets phares pour le Mali ?
Je n’ai pas préféré le Mali à la France, j’ai écouté le battement de cœur de celui qui avait le plus besoin de moi. Ai seulement répondu à l’APPEL. Il se trouve que le Mali a aujourd’hui besoin de tous ses enfants. Les maliens de France et d’ailleurs détiennent des compétences dont à besoin notre patrie. Et nous pouvons chacun à notre niveau contribuer à la dynamique à amorcer pour son rayonnement.
Et puis, je suis profondément française, (rire) et parfois même un peu franchouarde (sourire). Je partage et vit nombre des valeurs de ce pays. J’aime la gastronomie, la fête, la culture et j’adore le fromage. Il me tarde d’ailleurs mon prochain séjour, à Toulouse chez moi. Je suis pleine de reconnaissance pour mon autre mère patrie, qui a complété l’être en formation que j’étais. Et d’ailleurs en formation.
Je suis sur beaucoup de fronts, les projets phares sont l’engagement citoyen à travers la plume et les actions. Dans le cadre de l’observatoire national pour les bonnes pratiques de la justice au Mali, ONBPJ-Mali, nous implantons bientôt, à Bamako et dans les régions du Mali, le forum pour la justice au Mali. Une rencontre informelle entre acteurs et usagers de la justice pour enfin réconcilier les deux pôles au bout de la chaîne judiciaire. Avancer dans mon travail de consultation aux éditions Prince du Sahel. Honorer les autres propositions de collaborations avec d’autres médias. La création très prochaine d’un site d’information spécialisé.
11) Quel appel avez-vous à lancer aux Maliens diplômés en France qui hésitent encore à venir travailler au Mali ?
De revenir. Le Mali a besoin de nous, répondons massivement à l’appel par des idées novatrices, explorons les domaines inexplorés, relevons ensemble le défis du développement de notre Maliba, en mettant à sa disposition ces compétences et expériences riches acquises ailleurs dans l’exigence, en parfaite adéquations avec les compétences locales toutes aussi riches.
J’ai rencontré depuis mon retour, beaucoup de jeunes maliens issus de la diaspora, pour certains, nés et grandi là bas, ils ont franchi le cap et ne semblent pas se plaindre de leur retour.
Tous nous avons appréhendé le retour, tous je crois, nous sentons épanouis dans nos secteurs d’activités respectifs. La diaspora malienne est très innovante. Comme souvent j’ai coutume de le dire et j’en suis convaincue, la diaspora est une chance pour la nouvelle Afrique. Chiche, Yalah, relevons le défi du Mali nouveau Mali à sortir de nos mains. Nous pouvons faire rêver.
propos recueillispar Youssouf Z keita
www.diasporaction.fr