DESTABILISATION NORD-MALI: Le jeu trouble de la France.

Les faits : Le 24 novembre dernier, deux Français, Philippe Verdon et Serge Lazarevic sont enlevés à Hombori par des hommes armés. L’acte est aussitôt attribué à Aqmi. L’organisation salafiste vient de revendiquer ce double rapt, dans un communiqué publié le vendredi dernier.
« Nous revendiquons l’enlèvement, le 24 novembre, de deux Français travaillant pour les services de renseignement de la France, Philippe Verdon et Serge Lazarevic… ». Donc, il n’y a guère de doute sur l’identité de Verdon et Lazarevic. Ce sont deux barbouzes. Et ils étaient en mission (sécrètes ?), pas en tourisme, au nord Mali. Mais pour qui travailleraient-ils à Hombori ? Que cherchaient-ils exactement en se faisant embaucher comme géologues dans une société malienne ?
Les enquêtes sur ce kidnapping sont sur le point d’apporter assez de preuves sur la présence de ces deux barbouzes français à Hombori et leurs motivations. En attendant, Verdon, le plus célèbre du duo, avait été pris en otage au Soudan en 1991, par les rebelles soudanais. Il recouvre la liberté suite à une opération des services de renseignement français. Ce qui en dit long sur les activités de cet homme au passé sulfureux.
Par ailleurs, la veille de ce rapt, un autre ressortissant français était impliqué dans une affaire qui sent aussi l’espionnage. Cet homme avait été présenté comme étant un mandataire de la société Satom pour négocier la libération de quatre otages français enlevés au Niger le 16 septembre 2010 et encore détenus par Aqmi. En réalité, ce mandataire est un ex-colonel de l’armée française. Il s’agit de Jean-Marc Gadoullet, un ancien du service Action de la DGSE. Officiellement, cet officier, reconverti dans la sécurité privée, est basé à Bamako, où il superviserait la protection des installations de Satom, filiale du groupe Vinci.
L’on retrouve le nom du colonel Gadoullet en 2008, année au cours de laquelle il a été un proche conseiller du président tchadien Idriss Deby Itno, alors que ce dernier avait été accusé à l’époque, d’avoir fait disparaître un de ses opposants politiques. Des précisions sur le rôle de cet officier avaient été demandées en juillet 2010 au ministre français de la défense, Hervé Morin, lors d’une audition de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale française. Voilà que cet autre homme au passé trouble comme celui de Verdon, se retrouve presqu’au même moment à Kidal. Là, il a été blessé par un soldat. L’officier français qui était en compagnie d’un député de cette région, a tenté de franchir un check-point malgré les sommations de la sentinelle. Finalement, celle-ci ouvre le feu et atteint le Français aux épaules.
Mais le même jour, les autorités françaises dépêchent un avion pour évacuer l’ex-colonel vers la France où il est soigné dans un hôpital de la région parisienne. Tout comme l’affaire de Hombori, celle impliquant cet officier français ne fait guère de doute. Il s’agit d’une affaire d’espionnage, sous le fallacieux prétexte de mener des négociations avec Aqmi.

Que veut la France ?
Au lendemain de l’enlèvement des deux « géologues »-barbouzes, des militaires français ont été déployés dans le nord du Mali. Des hélicoptères ont apporté l’appui aérien dans le cadre des… recherches. Ces soldats français appartiennent à une unité basée dans un pays voisin. Mais 48h après, hommes, matériels et hélicos sont retirés du terrain, sur ordre des autorités françaises. Alors, pourquoi Paris a-t-il interrompu les recherches ? Aucune explication n’a été fournie. Et si c’était là un autre prétexte qui impliquerait cette fois-ci non pas des individus, mais l’armée française, qui a eu l’opportunité de sillonner une bonne partie du nord lors de ces (prétendues) recherches ?
A la lumière de ces évènements, une certitude se dégage : la France est en passe de s’ingérer dangereusement au Nord du Mali. Et aujourd’hui, nombreux sont les observateurs à s’interroger sur la vraie nature du jeu des Français dans cette partie du Mali. Ainsi, notre confrère sénégalais « Sud Online » écrivait à propos de l’insécurité au nord du Mali « une insécurité grandissante sur laquelle plusieurs pays greffent leurs calculs géostratégiques. A commencer par la France, qui sous, le parfait prétexte de voler au secours de ses ressortissants pris en otage, se met opportunément en quête de réaliser son rêve d’implantation militaire dans un Mali bordé par 7 pays… »

Règlement de comptes ?
Mais au-delà, la France de Nicolas Sarkozy semble progressivement entrer dans une logique de régler des comptes avec le Mali et le président Amadou Toumani Touré.
En effet, de grosses divergences opposent Bamako et Paris, notamment sur deux dossiers. Il s’agit de la gestion de la sécurité dans la bande sahélo-saharienne et la question de l’immigration.
S’agissant de la sécurité, la France, au lieu d’encourager et de soutenir la coopération entre les pays du Sahel dans leur lutte contre Aqmi, a tenté de pousser chaque pays, notamment le Mali, la Mauritanie et le Niger, à entreprendre des actions isolées contre Aqmi. Or, les deux fois où les Français eux-mêmes, sont intervenus directement, le résultat est le même : un fiasco.
Effectivement, la première intervention française est venue sous la forme d’une tentative des forces spéciales françaises en 2010, pour libérer l’otage Michel Germano. Ensuite, ce fut une autre tentative de libérer les 7 otages français kidnappés au Niger. Dans les deux cas, la France est intervenue sous couvert des armées mauritaniennes et nigériennes. Mais avec le Mali, jusqu’ici, aucune action conjointe n’a été menée dans le cadre de la lutte contre Aqmi. Et les autorités maliennes ont refusé toute intervention étrangère dans le nord Mali. Aussi, contrairement à des actions spectaculaires, sur fond de tapage médiatique, le président ATT a toujours défendu l’idée d’un engagement commun (dans un cadre sous-régional) pour combattre Aqmi et le terrorisme dans la bande sahélo saharienne. Cette position du président Amadou Toumani Touré lui a valu une certaine animosité française. Et pour faire « baver » le Mali, les experts du Quai D’Orsay ne cessent de « découper » notre pays en zones (rouge, orange etc.) avec les conséquences que l’on sait sur l’image du Mali et le tourisme malien.
Pour couronner le tout, le Mali est constamment indexé comme étant « le maillon faible » de la lutte contre le terrorisme au Sahel.
En réalité, il n’y a jamais eu de lutte, encore moins de guerre contre les Salafistes. Conséquence : Aqmi est toujours présente dans tous les pays du Sahel et elle agit partout. Aujourd’hui, au vu de tout ce qui est entrain de se passer dans le nord du Mali avec le tour des soldats libyens d’origine malienne, les rapts, les missions (sécrètes ?) de barbouzes, et autres actes de banditismes, l’on s’interroge sur le rôle exact des Français (via ses barbouzes) au Mali et dans le désert saharien.
Par ailleurs, entre Bamako et Paris, il existe à présent ce désaccord au sujet de la signature de l’accord bilatéral dit de gestion concertée des flux migratoires et de développement. Les autorités maliennes, à cause de leur refus de signer cet accord, ont mis en mal cette doctrine française dont le principe (édicté à Paris) est la soumission des Etats africains à la volonté de l’Elysée. En la matière, le Mali s’est distingué en refusant de s’engager dans ce « partenariat » qui ne prend pas en compte certaines préoccupations de ses ressortissants. Tout comme le refus d’obéir aux ordres d’attaquer Aqmi, celui de la signature de cet accord constitue également un point de divergence entre le Mali et la France. Autant de raisons qui font dire à certains observateurs que Sarkozy a pris ses distances avec le président Amadou Toumani Touré, s’il (Sarkozy) ne veut pas faire payer à Touré son « entêtement » à naviguer à contre courant…
D’ailleurs, le président français, à part un voyage éclair à Bamako en 2010, n’a jamais foulé le sol malien depuis qu’il est à l’Elysée. Mais, ce déplacement de deux heures, le président français (qui avait interrompu une visite au Gabon) ne l’a pas fait dans le cadre de la coopération entre les deux pays, mais plutôt pour ramener dans ses bagages son compatriote Pierre Camatte, qui venait d’être libéré après quelques mois passés aux mains des Salafistes. Une libération, obtenue grâce aux efforts personnels de ATT, mais très vite récupérée par l’Elysée pour soigner l’image de Sarkozy auprès d’une certaine opinion française. A l’époque, l’affaire Camatte avait, par contre, provoqué une forte tension entre le Mali et ses voisins mauritaniens et algériens.
Les relations franco maliennes ne sont plus ce qu’elles étaient. Ainsi, il semble que les Français pourront être tentés de souffler sur la tension naissante au nord du Mali pour des raisons à la fois stratégiques et de pression contre la président Amadou Toumani Touré.

CH Sylla

Le Républicain 13/12/2011