Au Mali, la réalisatrice a pu filmer une bien curieuse journée d’études. Quatre cents élèves d’une école, du CP à la 3e, effectuent une sortie dans les champs des environs, encadrés par les enseignants. « Cela n’a rien à voir avec le cadre scolaire », reconnaît le directeur un peu gêné qui tente de présenter la « sortie » comme exceptionnelle. Sauf que les enfants précisent venir deux fois par semaine dans les champs pour des journées de 8 à 17 heures où ils travaillent, pressés par leurs enseignants transformés en contremaîtres. Le soir, pour tout salaire, ils reçoivent un bonbon. « C’est pour aider le propriétaire », finit par confier le directeur. Riche, influent, celui-ci se fait appeler « le président » et « fait beaucoup pour l’école » de son village. Il donne des fournitures pour un montant annuel de 300 euros et empocherait un bénéfice net de 13.000 euros avec ses cultures de coton. Contacté, il fait mine de s’indigner: « On ne peut pas interdire le travail des enfants de la brousse quand même… »
Soleil de plomb et coups de cravache
D’autres travaillent six jours sur sept et n’ont même pas droit à une journée d’école. Ainsi ces quatre ados de 12 à 14 ans, qui s’activent sous le soleil de plomb pour 6 ou 7 euros par an et des paiements en nature de riz ou d’orge pour aider leur famille. Mais il existe aussi de vraies filières de jeunes esclaves, lucratives pour les trafiquants comme pour les exploitants. Vanina Kanban a filmé un groupe d’une quinzaine d’enfants au Burkina. Ils viennent de villages distants de plusieurs centaines de kilomètres, travaillent pour 12 euros mensuels depuis plus de trois mois. Le propriétaire nie: ce sont d’abord « ses enfants », puis des jeunes « venus s’amuser dans les champs » affirme-t-il en montant le ton avant de mettre fin à l’entretien. Un enfant travailleur, majeur aujourd’hui, raconte comment il est rentré après trois ans de travail sans un sou. Il évoque l’alimentation limitée à un peu de manioc et les coups de cravache.
Selon le BIT (Bureau international du travail, qui dépend de l’ONU), il existerait à peu près 3 millions de ces enfants travailleurs sur la zone Mali-Burkina-Côte d’Ivoire. De tels effectifs et pratiques ne peuvent passer inaperçus. Les entreprises françaises de négoce du coton se font discrètes. Les responsables se disent mal informés. « Cette réalité ne m’enchante pas, avoue l’un. Mais ce sont des pays en voie de développement, ils ont d’autres soucis. » Il n’en demeure pas moins que ce sont ces enfants qui paient avec leur santé les faibles coûts d’une filière profitable aux industries du textile et du prêt-à-porter des pays riches.
Source Le JDD 27/04/2011