Sous la menace d’une motion de censure déposée conjointement par des députés de la majorité et de l’opposition, le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga a démissionné jeudi soir (18 avril 2019). Il a rendu sa démission et celle de son gouvernement au président Ibrahim Boubacar Kéita quelques heures avant l’examen le lendemain (vendredi 19 avril 2019) de la motion de censure. Loin d’être une fuite en avant, le «Tigre» a sans doute effectué un repli stratégique afin de mieux rebondir comme il a toujours su le faire dans sa carrière politique.
Le Premier ministre malien Soumeylou Boubèye Maïga a rendu sa démission et celle de son gouvernement au président Ibrahim Boubacar Kéita le jeudi 18 avril 2019. Et cela conformément à l’article 38 de la Constitution.
«Le Premier ministre, dans sa lettre, a renouvelé au président de la République sa profonde reconnaissance et sa gratitude, ainsi que celles de l’ensemble du gouvernement, pour sa confiance et de lui avoir permis de servir notre pays et nos concitoyens, à un si haut niveau, à un moment crucial de notre histoire», a précisé le communiqué de la présidence malienne.
Le président de la République a accepté la démission du Premier ministre et celle du gouvernement, et «l’a remercié pour sa loyauté et son sens élevé du devoir». Le président Kéita a également adressé aux membres du gouvernement «ses vifs remerciements pour le travail accompli sous l’autorité du chef du gouvernement».
Acculé par l’opposition et des leaders religieux, menacé par une motion de censure de la majorité et de l’opposition, le «Tigre» (surnom de Soumeylou Boubèye Maïga) a fini par jeter l’éponge ce 18 avril 2019. Se sentant «trahi» par la majorité présidentielle (qui s’est alliée à l’opposition pour déposer une motion de censure contre son gouvernement) Soumeylou Boubèye Maïga a préféré prendre le devant en vieux renard politique.
Comme le rappelait un confrère (paraphrasant un penseur) «en politique, les héros ne périssent pas sous les coups de leurs ennemis mais par la démission de siens dans l’emprise de l’inaction, ou au pire de lâche traîtrise».
Pour de nombreux observateurs, SBM représentait «une certaine stabilité». Un équilibre maintenant «précaire» avec sa démission. Durant son bail à la Primature, il a incarné l’autorité de l’Etat tout en se positionnant comme «le défenseur le plus intransigeant de la laïcité de l’Etat au sein de la classe politique malienne».
Le Président IBK vient sans doute de perdre l’un de ses fervents soutiens qui s’est engagé avec constance et loyauté à ses côtés lorsque personne ne croyait en lui. «IBK gardera certainement en mémoire que son désormais ex Premier ministre aura démontré un grand exemple de courage et de persévérance…», souligne un observateur sur les réseaux sociaux.
A qui profite cette démission ?
Il n’est pas en tout cas évident que le Malien lambda tire un quelconque dividende de cette démission en termes de prises en charge de ses préoccupations. En effet, comme beaucoup d’observateurs, nous sommes convaincus que le malaise qui tire le Mali vers le précipice sociopolitique et sécuritaire n’est pas une question d’hommes, mais de système de gouvernance.
Il faut alors s’attaquer aux racines du mal en se battant pour un changement radical du système politique.
Sinon celui issu du mouvement démocratique des années 90-91 porte en lui les germes des fléaux (corruption, délinquance financière, népotisme..) incompatibles avec la bonne gouvernance. Et il ne faut pas miser aujourd’hui sur un quelconque leader de la classe politique actuelle pour diriger autrement ce pays. Ils sont tous les mêmes car contaminés par le même virus : gouverner pour soi et un clan ! Et ils seront tous les marionnettes de l’Occident et des Institutions de Bretton Woods dont les intérêts primeront toujours sur les préoccupations réelles des masses laborieuses du pays.
Est-ce que cette démission va calmer les opposants au régime d’IBK et les leaders religieux à leur solde qui l’ont réclamée à cor et à cri ? Il ne faut pas se faire d’illusions. Cette «victoire» risque plutôt de les encourager à poursuivre leur mouvement afin d’obtenir encore plus. Il y a toutes les chances que le futur Premier ministre et son équipe soient dévoués à ces religieux qui ont abandonné les chapelles pour l’arène politique au péril de la laïcité de la République.
Ces dernières années, l’islam-politique a su profiter des faiblesses de l’Etat, de sa mauvaise gouvernance, de la corruption… pour prendre pied sur la scène politique. Et la démission de Soumeylou Boubèye Maïga ne peut que conforter ses tenants qu’ils peuvent avoir encore plus de pouvoir de décision à défaut d’occuper Koulouba (palais présidentiel) ou la Primature.
«A force de vouloir le changement on ne peut rien construire de durable car l’on redémarre à chaque fois de zéro», conseille une «amie du Mali». Comme elle le dit si bien, nous pensons qu’il est temps que les Maliens «comprennent une fois pour toute que le changement tant attendu ne pourra se faire qu’avec un objectif commun et un peuple soudé».
«La résolution des problèmes du pays a besoin de temps, de moyens mais aussi de la contribution de tous les acteurs sociopolitiques. Croire qu’une seule personne ou un petit groupe de personnes viendra les résoudre en si peu de temps, c’est se convaincre à ne pas quitter la rue des protestations et des manifestations», analyse le consultant indépendant Abdourhamane Dicko.
Quant à Soumeylou Boubèye Maïga, l’homme est loin d’être fini comme l’espèrent ses détracteurs. Ceux-ci auraient tort de croire qu’ils lui ont porté un coup fatal. En vieux renard de l’arène politique nationale, SBM a compris que le vent commençait à souffler en sa défaveur et qu’il aurait du mal à se remettre d’un désaveu public comme le vote d’une motion de censure par des élus de sa propre majorité.
En leader politique lucide et réaliste, il a anticipé en démissionnant. Une démission qui ressemble beaucoup plus à un repli stratégique qu’à un aveu d’impuissance ou à un déclin politique. D’Alpha Oumar Konaré à IBK, en passant par Amadou Toumani Touré, le «Tigre de Badala» a été fréquemment en difficulté depuis l’avènement de la démocratie. Mais, il a toujours su rebondir au moment où ses adversaires croyaient l’avoir vaincu et croyaient à son déclin politique. Ne soyez donc pas surpris de revoir rebondir à nouveau au grand dame de ses détracteurs qui doivent savoir aussi qu’un Tigre dans l’obscurité est plus dangereux que quand il est au devant de la scène.
Et comme l’a su bien analysé le consultant Abdourhamane Dicko, la suite de sa démission ne devrait pas être recherchée seulement dans la personne du prochain Premier ministre. Elle résiderait plutôt dans «la nécessité de normalisation voire d’apaisement du contexte politique (consensus entre majorité et opposition sur les priorités et l’approche de leur gestion) que dans la personne du nouveau Chef du gouvernement».
Et cette nécessité impose à ce dernier qu’il en tire tous les enseignements comme «Feuille de route».
Moussa Bolly