Ce matin, la notion de confiance est au cœur de mon analyse pour comprendre la structure des liens entre un dirigeant et son peuple.
L’exercice du pouvoir permet de mesurer l’état des liens de confiance entre un dirigeant et son peuple, la confiance étant ce crédit que l’on accorde à quelqu’un. Mais des bas-fonds des frustrations et des désintéressements nait la révolte dans laquelle le peuple honnit ses dirigeants. A tort ou à raison. Certes, gouverner c’est imposer une grille d’analyse de la société sur les sujets majeurs : éducation, fiscalité, justice, santé, sécurité, etc. Or imposer une vision de la société, si juste soit-elle, c’est prendre le risque de susciter des mécontents.
C’est le jeu à la fois démocratique et relationnel entre les gouvernants et les citoyens. La déconnexion des gouvernants avec les préoccupations quotidiennes des concitoyens est souvent dénoncée. C’est le point de départ d’un sentiment d’impopularité. Pour parer à toute éventualité d’impopularité, les régimes actuels de Transition du Burkina Faso, de la Guinée-Conakry et du Mali tentent d’influencer la façon dont les peuples les jugent.
Patriotisme d’adhésion, idéologie de dénonciation
Des espaces politiques sont expérimentés dans le sillage de Thomas Sankara, Sékou Touré ou Modibo Kéita. Mais, en réalité, si nous voulons être un Touré, un Sankara ou un Kéita, nous devons repenser notre relation avec le peuple : l’activiste, l’agriculteur, l’artiste, le commerçant, le couturier, l’éleveur, l’étudiant, le gendarme, le journaliste, le juge, le menuisier, le médecin, le mécanicien, l’enseignant, le policier, le politique, le sportif, le syndicaliste, le taximan, etc.
Discuter avec tout le monde, y compris avec les pays voisins, pour nouer une relation constructive. C’est le fol espoir à susciter chez chaque citoyen. Hélas, nous sommes loin du compte ! Le patriotisme d’adhésion à une idéologie de dénonciation a pris le pas sur un réel projet africain qui rompt les liens d’inféodation aux élites dirigeantes. C’est un mouvement d’émancipation contre les élites que nous devons opérer au-delà de Bamako, Ouagadougou et Conakry.
Nous ne ferons pas partie de l’après-transition
Au Mali, nous sommes encore loin des préoccupations des manifestants de 2020 contre le régime d’Ibrahim Boubacar Kéita. On saute d’un sujet à un autre sans avoir jamais bien traité le précèdent. En 2020, la dégradation sécuritaire a précipité la rupture de tout lien de confiance entre IBK et une partie des Maliens qui n’ont pas digéré l’OPA de son régime sur toute une partie des électeurs : contentieux électoral des législatives.
Les scandales à répétition, l’affaire Tomi par exemple, ont fini par noyer tout espoir de justice sociale. Finalement, le régime d’IBK est remporté par le ras-le-bol généralisé et les frustrations des Maliens en août 2020. Gardons-nous de négliger le peuple. Pas seulement au Mali.
Alpha Condé de la Guinée-Conakry et Marc Christian Kaboré du Burkina Faso l’ont appris à leurs dépens. En septembre 2021, Condé est tout simplement déposé par le colonel Doumbouya. Cause principale : la modification constitutionnelle de Condé pour un 3e mandat, qui a érodé les liens de confiance entre Condé et son peuple.
Aujourd’hui, son successeur, Doumbouya, a compris qu’il faut savoir partir. Il assure les Guinéens en déclarant, en février dernier, que : “… Nous ne ferons pas partie de l’après-Transition…”. C’est mieux ainsi. La Guinée-Conakry est l’un des trois pays gérés par des militaires, mais qui est encore à l’abri du narcoterrorisme. Donc, inutile de shooter le peuple à la désinformation et au musellement. Passons à l’étape d’après, celle du retour à l’ordre constitutionnel peu importe l’évolution de la situation sécuritaire.
Borderline
La situation sécuritaire du Mali comme celle du Burkina Faso inquiète. Au Mali, Ménaka est devenue la région à forte intensité sécuritaire à cause de l’emprise de l’Etat islamique. Ne nous voilons pas la face : le refus d’en parler ou d’agir pourrait être perçu comme un désintérêt du reste des Maliens à l’égard des Ménakois. Evitons d’être des complices du drame qui se joue à Ménaka.
Le 22 avril dernier, l’attaque kamikaze du JNIM contre la zone aéroportuaire de Sévaré (10 morts et une soixantaine de blessés civils) dit quelque chose du regain de la violence et de l’insécurité. Ne le prenez pas mal. Relevons-nous, car une crise peut en cacher une autre ! Une introspection s’impose.
Chez nos voisins burkinabés, la Transition du capitaine Traoré s’enlise dans les attaques en dépit du recrutement des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) et de la mobilisation générale, décrétée le 19 avril dernier. La reconquête du territoire à 40 % reste un mirage. Les violences des groupes narcoterroristes s’intensifient : plus de 150 civils tués à Karma (Ouahigouya) le 20 avril dernier. Borderline. En attendant, le bâton de l’exécutif frapperait toute voix dissonante. Silence, on travaille.
Conséquence : la confiance s’érode entre le régime de Transition et le peuple. Le 20 avril dernier, le Front Uni pour le Faso exige “[…] la libération immédiate et sans délai, des leaders de la Société civile (…), l’arrêt immédiat du mécanisme inique de musellement des voix discordantes et la levée de la mesure de suspension des activités des partis politiques et des organisations de la société civile, (…) le recadrage des priorités de la Transition vers la restauration de l’intégrité territoriale et un retour à l’ordre constitutionnel“. La messe est dite.
Les aveuglements
Au Burkina Faso comme au Mali, le nécessaire retour à l’ordre constitutionnel est inéluctable. Certes, certains d’entre nous rejettent le modèle démocratique à cause de leur rapport ambigu avec cette dernière. Mais, au fond, le problème est moins la démocratie qu’une partie de l’élite politique recluse dans sa tour d’Ivoire.
Certes, le système politique est décrié pour être incapable de créer les conditions de développement de nos Etats. Mais au fond, la faute incomberait moins au système politique qu’aux hommes politiques qui l’animent à cause de leurs difficultés à faire la différence entre le public et le privé.
C’est violent. Les discussions de grin, oh combien importantes pour la transmission, et le refus de nous remettre en question nous aveuglent. Aujourd’hui, le ressenti politique dominant à Bamako s’écarte de la réalité sécuritaire et économique du reste du pays.
Il est donc temps de savoir reparler aux populations rurales en détresse économique et sécuritaire. Cela pourrait être une meilleure façon de garder le contact avec eux pour reconstruire le Mali.
Mohamed Amara
Sociologue