Les autorités de la Transition tombent dans les mêmes travers que le régime défunt, dans leurs tentatives d’imposer aux populations un « découpage territorial » au forceps, sans concertation ni consensus.
La manière de procéder suscite tant de convoitises et d’envies de part et d’autre, chacun voulant ériger (et, c’est de bonne guerre !) sa localité soit en commune, soit en cercle, soit en région, dans un capharnaüm aussi indescriptible qu’évitable, ajoutant à la volatilité de la fragile cohésion nationale une franche dose de méfiance et d’adversité entre toutes les parties prenantes.
Pourtant, on trouvera la solution idoine à cette crise inutile si l’on prenait soin d’analyser les propositions de réorganisation territoriale (prosaïquement appelée découpage territorial) faites par l’Union pour la République et la Démocratie (URD) à l’issue de son séminaire-atelier tenu à Sélingué en novembre 2018, propositions discutées et affinées avec les autres forces politiques et sociales du Pays, sur la période allant de fin 2018 à début 2020.
Pour résumer, la vision du Parti URD s’est bâtie sur l’expérience malienne de l’organisation administrative héritée de la colonisation et des deux premières républiques (1960-1991) et du processus de décentralisation vécu depuis de 1996-97, qui a pourtant permis de partir de 19 communes préexistantes pour parvenir à 701 puis 703 communes, tout en tirant leçons des avancées et des imperfections identifiées çà et là.
Pour l’URD, la pertinence d’une réorganisation du territoire doit répondre à des nécessités objectives et pratiques correspondant aux besoins d’innovations et d’adaptations à l’évolution de notre société. Pour ce faire, l’URD suggère que toute démarche, en vue de l’érection d’un nouveau système d’administration générale, doit tenir compte de certains paramètres fondamentaux tels que :
le respect du principe d’une organisation du territoire national en circonscriptions fondée sur l’intérêt général, le niveau de peuplement, les caractéristiques physiques du territoire et sa viabilité socio-économique ;
la volonté du Peuple doit être systématiquement recherchée et prise en compte pour tout projet de création de circonscriptions territoriales, et tenant compte de la nécessaire réduction des distances entre l’administration et les administrés ;
la clarification des rôles et responsabilités des acteurs, en prévenant les conflits d’autorité et de préséance entre les représentants de l’Administration et les élus des Collectivités territoriales ;
l’équilibre et l’équité entre les citoyens en termes d’opportunités de participation aux processus de prise de décisions ;
la prise en compte du contenu de l’Accord issu d’Alger, dans le respect des principes de souveraineté nationale, de laïcité, de sauvegarde de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale du Pays.
De façon plus pragmatique, la nouvelle réorganisation territoriale proposée par l’URD consiste à :
ériger les cercles actuels en régions et supprimer le niveau de circonscription administrative « cercle » ;
évoluer vers deux (2) niveaux de circonscriptions administratives : le Département (actuel « Arrondissement ») et la Région (actuel « Cercle ») ;
créer une ou plusieurs communes au sein de chaque Département, en tenant compte des communes des nouvelles régions instituées par les lois de 2012 et de nouvelles communes à créer dans le District de Bamako,
regrouper les Départements en Région dotée d’une dénomination propre du terroir, afin de distinguer plus aisément les collectivités territoriales des circonscriptions administratives ;
habiliter la Région à planifier et à mettre en œuvre des actions de développement en cohérence avec les politiques nationales en la matière ;
dissocier le lien entre la circonscription administrative (aujourd’hui le Cercle) et l’élection de député, pour couper court aux multiples convoitises proposant l’érection de telle ou telle localité en « cercle », alors que l’objectif final inavoué vise la création de siège supplémentaire de député.
Ainsi, en opérationnalisant cette proposition, nous aurions, en plus du District de Bamako, une cinquante (50) régions comme suit :
Pour l’actuelle Région de Kayes : création des Région de kayes, Région de Bafoulabé, Région de Diéma, Région de Kita, Région de Kéniéba, Région de Nioro du Sahel et Région de Yélimané (7 régions) ;
Pour l’actuelle Région de Koulikoro : création des Région de Koulikoro, Région de Banamba, Région de Dioïla, Région de Kangaba, Région de Kolokani, Région de Kati et Région de Nara (7 régions) ;
Pour l’actuelle Région de Sikasso : création des Région de Sikasso, Région de Bougouni, Région de Kolondiéba, Région de Kadiolo, Région de Koutiala, Région de Yanfolila et Région de Yorosso (7 régions) ;
Pour l’actuelle Région de Ségou : création des Région de Ségou, Région de Bla, Région de Barouéli, Région de Macina, Région de Niono, Région de San et Région de Tominian (7 régions) ;
Pour l’actuelle Région de Mopti : création des Région de Mopti, Région de Bandiagara, Région de Bankass, Région de Djenné, Région de Douentza, Région de Koro, Région de Tenenkou et Région de Youwarou (8 régions) ;
Pour l’actuelle Région de Tombouctou : création des Région de Tombouctou, Région de Diré, Région de Goundam, Région de Gourma-Rharous, Région de Niafunké et Région de Taoudénit (6 régions) ;
Pour l’actuelle Région de Gao : création des Région de Gao, Région d’Ansongo, Région de Bourem et Région de Menaka (4 régions) ;
Pour l’actuelle Région de Kidal : création des Région de Kidal, Région d’Abeïbara, Région de Tin-Essako et Région de Tessalit (4 régions).
A y regarder de près, la proposition URD aura l’avantage de « contenter » tout le monde, sans nécessairement « déranger » personne, tout facilitant l’administration de nos entités administratives et territoriales.
Les pourfendeurs de la proposition de l’URD lui reprochent son caractère trop ambitieux faisant passer de 8 régions à 50, alors qu’ils oublient que ce même pays, qui n’avait que 19 communes avant 1996, a pu passer à 701 puis 703 communes. Donc, n’ayons pas peur du nombre qui demeure purement une question de relativité !
Il n’est pas sans intérêt de rappeler que des pays voisins aux superficies beaucoup plus modestes sont en avance sur nous sur ce terrain, en ce que la superficie du Mali (1.241.238 km2) vaut plus 6 fois celle du Sénégal (qui a 14 régions), 4 fois et demi celle du Burkina Faso (qui a 13 régions) et près de 4 fois celle de la Côte d’Ivoire (qui a 31 régions réparties au sein de 12 districts, en plus de 2 districts autonomes). Toutes proportions gardées, nous serions bien en deçà des ratios « acceptables ».
Par ailleurs, on suppose un dédoublement des coûts de fonctionnement des nouvelles régions avec leur « corollaire » d’administrations et de directions régionales à créer et à rendre opérationnelles.
Je retorque simplement qu’en fait il n’y a rien de nouveau qui justifie une augmentation des coûts de fonctionnement :
– le « cercle » érigé en « région » garde exactement la même superficie, les mêmes distances et réalités géographiques et la même population humaine, et corrélativement les anciens préfets, sous-préfets et autres collaborateurs changeront juste de nom en gouverneurs et conseillers, et en préfets de départements ;
– les services techniques des cercles (agriculture, élevage, pêche, santé, école, etc.) changeront juste de nom pour la Région, mais n’auront pas plus de travail à faire qu’avant ; et certains services centraux des régions actuelles (urbanisme, plan, travaux publics, Académies d’enseignement, etc.), continueront à superviser leur ancienne couverture géographique (donc plusieurs nouvelles régions pourront partager un même service central devenant ainsi un service inter-régional) ;
– à quelques exceptions près, pas de coûts budgétaires additionnels que ce qui servait à faire fonctionner les cercles et arrondissements existants, surtout qu’avec la nouvelle politique de décentralisation poussée, consacrée par le Code des collectivités relu, beaucoup d’attributions à caractère administratif seront transférées aux organes élus des collectivités territoriales.
Au demeurant, ce sont juste de propositions que les différentes franges de la communauté nationale, en concertation avec l’Administration étatique, peuvent intégrer pour opérer les meilleurs choix adaptés aux nécessités de l’heure, et sortir notre Pays de ce cycle vicieux de non-concertation, de fronde populaire et de retour à la case-départ.
Ibrahim Ikassa Maïga
Rapporteur Général, Séminaire-atelier URD / Sélingué – Nov. 2018
Membre du BEN/URD
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