Puisque le temps est arrivé de se pencher sur la refondation globale au Mali.
Il nous a paru incontournable de nous intéresser à la refondation qui demeure le socle des autres reformes: la révolution apaisée dans l’administration de la justice.
Un serpent de mer.
A cet égard l’atelier animé par l’OCLEI le jeudi 09 décembre 2021 vient à point nommé avec un thème éminemment crucial : « La déontologie des Magistrats : ce qu’un Magistrat doit faire et ce qu’il ne doit pas faire » L’expression résume l’un des problèmes majeurs du pays.
Il ne s’agit pas rebondir sur ce sujet pour désigner le corps entier de la magistrature à la vindicte.
Mais ce corps médian, dont l’interaction avec les deux autres, les pouvoirs législatif et exécutif, et la garantie d’équité dont il est le représentant, est soumis à une obligation de probité.
Qu’un législateur, député, devienne impopulaire, il le paie souvent devant les urnes. Que l’Exécutif se corrompt, il finit pas chuter.
Qu’un magistrat tombe dans des travers qui heurtent sa déontologie, les instruments de sanctions, mêmes s’ils existent, sont compliqués à mettre en place.
Le champ de réflexion est si vaste qu’il nous semble opportun de prioriser deux notions ici : L’application ou le dévoiement de la déontologie et ses répercussions sur l’autorité de la chose jugée.
Dans l’historiographie occidentale, la notion d’autorité de la chose jugée est jumelle de l’apparition de l’écriture, IIIème millénaire avant Jésus-Christ, dans le droit babylonien.
A l’issue d’un jugement accepté par les deux parties, elles s’engageaient par serment à ne plus revenir sur la décision de justice. La partie qui dérogeait à la règle ainsi établie subissait des sanctions sur la base du Code d’Hammurabi.
Cette norme a traversé les siècles jusqu’à nos jours.
Mais dans son esprit, l’autorité de la chose jugée suppose un arrêt irréfutable du point de vue du droit, de la morale, du bon sens communément partagé par tous et accepté des deux parties.
Ainsi, dans les procès où une des parties reconnait des tricheries graves à l’encontre de l’autre partie et des services de l’État, que cette reconnaissance ait eu lieu à l’inspection du travail et auprès du service de recouvrement des cotisations sociales, INPS et que par extraordinaire, ladite partie indélicate se paie le luxe de “gagner le procès” issu de cette situation devant une cour d’appel de Bamako et la Cour Suprême issue des années IBK, il relève du paradoxe que cet arrêt “bénéficie” de l’absolution: autorité de la choses jugée.
Le cas cité est celui que nous connaissons intimement, et quantité de procès sont entachés de la même mascarade judiciaire.
Certains juges ayant participé aux procès iniques ont été “balayés” par le décret N° 2020 0200/PT-RM du 20 novembre 2020, portant mise à la retraite de magistrats avec effet au 1er janvier 2021.
Notre propos n’est pas de jeter l’opprobre sur le corps de la magistrature. Mais l’évidence s’impose, ceux qui ont pris la décision en exemple sont loin de l’application de la déontologie.
Ce qu’en disait le Président de l’OCLEI, Monsieur Moumouni Guindo le 09 décembre 2021 est éloquent :
«… la déontologie est d’une importance vitale dans la qualité de prestation de l’agent public, dans la qualité de sa relation avec l’usager et, finalement, dans l’amélioration de la qualité de vie de l’agent de l’usager.
« Le respect de cette déontologie est encore crucial quand il s’agit des magistrats… ».
Si l’on souhaite rétablir la sérénité, conséquence de la justice sociale, il est illusoire de cacher la poussière sous le tapis.
On ne peut pas brandir contre le justiciable une norme dont la lettre et l’esprit ont été foulés au pied par ceux qui en sont les garants.
Il ne faut jamais encourager l’acharnement judiciaire lorsque son actrice ou acteur est manifestement de mauvaise foi.
Mais on ne peut pas fonder une justice valable sur le terreau des injustices imposées par l’autorité de la chose jugée.
Alors la refondation tant réclamée et mise en avant doit tenir compte de ces abus multiples imposés à nos concitoyens.
Si on le veut, on peut trouver des mécanismes de révision pour des cas jurant avec le quasi mépris du citoyen.
En bref, voilà ce qu’il en est en France, ce qui suit n’est pas exhaustif :
“La mise en jeu de la responsabilité du service public de la justice.
L’exercice d’une voie de recours ne permet que la remise en cause du contenu d’une décision judiciaire.
Lorsque les dysfonctionnements de l’ensemble de l’institution judiciaire ont causé un préjudice à un justiciable, il est possible de se retourner contre l’État pour engager sa responsabilité.
L’article L141-1 du code de l’organisation judiciaire prévoit qu’en cas de faute lourde ou bien de déni de justice, l’État est tenu de réparer les dommages causés par le fonctionnement défectueux de la justice.
La Cour de cassation est venue préciser en 2001 que toute déficience traduisant l’inaptitude de la justice à remplir sa mission est constitutive d’une telle faute lourde.
De plus, depuis la révision constitutionnelle de 2008, mise en œuvre en 2011, tout justiciable qui estime que le comportement d’un magistrat au cours d’une procédure le concernant est constitutif d’une faute disciplinaire peut saisir directement le Conseil supérieur de la magistrature”.
Certains rétorqueront que le citoyen peut se retourner vers la cour de justice et des droits de l’homme de la CEDEAO en gardant le silence sur le fait que ce recours impose les services d’un avocat et les frais afférents.
De plus, la décision de cette cour n’a pas de caractère coercitif la rendant exécutable par les États. Cette CEDEAO sur laquelle il y a tant de choses à dire actuellement.
Refuser cette refondation est un appel d’air pour d’autres soubresauts sociaux.
Les 4 et 5 mai 1789, la clairvoyance de la Noblesse et du Clergé en acceptant de renoncer à certains privilèges aurait pu sauver la monarchie en France.
Ayant écarté cette ultime chance de sauver leurs ordres, la bourrasque révolutionnaire les a tous balayés.
La colère d’un peuple, procédant de l’injustice sociale, finit par avoir raison de tout système, qu’il soit national ou d’émanation extérieure. Les actions du nouveau Ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Garde des Seaux, Mamoudou Kassogué et du Président de l’OCLEI, Moumouni Guindo sont à saluer, mais seuls ils ne peuvent pas tout réaliser d’autant que des forces sont à l’œuvre pour le maintien de la chienlit dans la justice.
Yamadou Traoré, Analyste politique
Source : L’Aube