Capitale régionale de la 9ème région administrative du Mali, la ville de Ménaka reste un gros village tamasheq coincé entre des dunes de sable. Une ville sans électricité, sans eau, sans connexion internet, aucune structure sanitaire digne de ce nom… Seul le gouvernorat fonctionne avec un gouverneur qui est sur place. Les autorités intérimaires de la région et les groupes armés sont les plus actifs dans la région. Le MSA (Mouvement pour le salut de l’Azawad) et la Plateforme sont dans une alliance. Grâce à laquelle il y a une patrouille dans la ville. De commun accord avec le gouverneur, ils ont décidé d’interdire la circulation à moto à partir de 18 heures et à 22 heures, aucun piéton n’est autorisé en ville. Pour en savoir davantage à propos de toutes ces questions, nous avons eu un entretien avec le gouverneur de Ménaka.
Vous êtes le gouverneur de la région de Ménaka, une région créée il y a moins de deux ans. Pouvez-vous nous présenter votre région ?
La région de Ménaka, c’est environ 80 000 Km2, quelque 130 000 habitants repartis entre 4 cercles : Ménaka, Tinderne, Inekar et Anderaboukane ; 9 arrondissements consacrés par la loi. Pour lesquels nous allons entériner les transformations en collectivités, bientôt. Ménaka, c’est une région à l’est qui fait frontière avec le Niger. On a 500 Km de frontière avec le Niger. Ménaka, c’est le creuset de la diversité ethnique. Nous avons des Daoussak, des Djerma, des Arabes, des Haoussa, des Sonrai, des Touareg. C’est une vieille ville bâtie par des commerçants qui viennent du Nigeria, du Nord, de Gao et d’Ansongo, etc. Quant à l’origine même de la ville de Ménaka, qui est le chef-lieu de région, en tamasheq, Minika, ça veut dire «où allons-nous ?»
À un moment donné, les hommes sont arrivés ici, ils se sont demandés pourquoi nous ne nous arrêtons pas ici. C’est comme ça que Ménaka est créée, il y a un siècle et demi à deux. Alors, c’est une toute nouvelle région. C’est un ancien cercle qui est devenu une région, qui a besoin d’infrastructures, de développement, d’eau, d’électricité. Qui a besoin de tellement de choses et qui coïncide avec une période assez trouble. Nous avons manqué d’Etat pendant les 4 dernières années de la crise. Aujourd’hui, les choses reprennent tout doucement. Voici un peu la carte d’identité de la région de Ménaka.
Vous semblez dire que les priorités, ce sont l’eau, l’électricité….
La ville de Ménaka est une ville en plein essor. Bien sûr, qui a besoin de plus d’eau, d’électricité, plus de temps d’électrification. Cela est urgent. La demande sociale est très forte. Nous sortons d’une période de crise où beaucoup de personnes n’expriment que ce qu’elles désirent, et ne voient dans leurs jumelles que leurs droits. Nous sommes loin des devoirs, pour être franc. Mais c’est également des réalités sociales, ce manque d’eau, d’électricité dans une ville qui est aujourd’hui le chef-lieu de région. Nous avons pris beaucoup de contacts, de dispositions avec les différents départements, avec des partenaires, mais ce problème reste à résoudre malheureusement. Quand on regarde par rapport à la région, la région est grande, j’avais dit tantôt 80 000 Km2. Il y a d’autres cercles en dehors de Ménaka, d’autres sites, d’autres bourgades. Nous sommes en plein désert ici, nous avons une moyenne de 250 à 300 millimètres d’eau par an. Donc, il n’y a pas assez de pluie qui tombe. À titre comparatif, c’est une bonne pluie de Bamako, la pluviométrie annuelle de Ménaka. L’eau est une denrée rare et nécessaire, elle est le pilier du système de production ici, qui est l’élevage extensif nomade. L’eau et les pâturages, après avoir fini de manger, tout le monde a envie de prendre un verre d’eau. C’est pareil pour les chamelles et les vaches. Après avoir exploité les pâturages, il faut un point d’eau. Et puisqu’il y a très peu d’eau, très peu de mares permanentes, que ça soit des adductions d’eau solaires ou des points d’eau mécanisés, l’eau demeure une denrée rare ; une difficulté pour mener à bien ce système de production, qui est basé sur l’élevage.
Il y a un manque d’eau et d’autres infrastructures. L’hôpital est en état de délabrement total ; le lycée est abandonné ; le commissariat de police construit ne fonctionne pas. Il y a une brigade de gendarmerie avec peu d’éléments. Comment fonctionne alors la nouvelle région de Ménaka ?
Nous exprimons nos difficultés et nos besoins en termes de réalités économiques et sociales. Nous n’avons pas un hôpital à Ménaka. Il y a un CSREF qui a même été équipé d’un scanner. Tous les équipements étaient là. Ça doit être 2 milliards environ. Ça a été complètement saccagé par la dernière rébellion. Donc c’est un investissement de 5 à 6 milliards que nous avons perdu. Pareil pour le lycée, pareil pour d’autres infrastructures. Nous étions dans le cadre d’un cercle. Aujourd’hui, nous sommes dans le cadre d’une région. Par exemple, dans le cadre sécuritaire, nous prétendons avoir une région militaire, une légion de gendarmerie, un groupement de la garde nationale, un directeur régional de la police. Ce qui est fait d’ailleurs : un directeur régional de la police a été nommé. Le commissariat a été réhabilité dans une certaine mesure. Mais sur le plan des forces de défense, il y a des efforts à faire. Aujourd’hui, l’administration, tous les préfets et les sous-préfets, ils sont tous à Ménaka parce qu’on ne peut pas les déployer à Inekar, Anderaboukane, Tinderme, pour des raisons de sécurité.
À Anderaboukane, un cercle à la frontière avec le Niger, il y a un camp militaire qui existe là-bas. Nous avons comme ambition d’y réinstaller nos forces de défense et de sécurité. D’abord, c’est un point frontalier et puis, c’est l’occasion d’avoir une force qui puisse patrouiller avec l’armée sœur du Niger, le long de la frontière, consécutivement à toute l’insécurité dont vous avez entendu parler. Au-delà de cela, beaucoup d’infrastructures restent à réaliser. En termes de satisfaction, nous avons un programme de la KFW d’environ 10 millions d’euros, qui va commencer d’ici à la fin de l’année, qui va appuyer les infrastructures de l’administration, notamment le gouvernorat, les préfectures et les sous-préfectures. Et, concomitamment, il y a le programme du gouvernement du Mali, qui est le PURD, qui accompagne le retour de l’administration en termes d’infrastructures, d’équipements, etc. Et grâce auquel nous avons réhabilité les bâtiments dans lesquels nous vous accueillons, qui sont en réalité le plus grand gouvernorat de toutes les régions du Mali. 3 hectares de bâtiments, ce qui est confortable et assez honorable pour nous. Mais il reste la cité administrative, les directions régionales et beaucoup d’autres infrastructures à réaliser. Notre objectif d’ici la fin de l’année 2018, que Ménaka devienne ou qu’elle ait un beau visage que certaines régions du Mali. C’est notre ambition.
La situation sécuritaire est préoccupante. Ce sont les groupes armés qui font la patrouille les nuits. Et il y a eu une embuscade tendue aux Fama. Qu’en savez-vous ?
Nous sommes dans une zone d’insécurité récurrente et chronique. Il faut être honnête, nous sommes dans un accord qui est en train de s’appliquer tant bien que mal. Nous sommes en présence de groupes armés signataires de l’accord, d’autres groupes armés affiliés à d’autres groupes signataires. Mais nous avons également des dizaines et des dizaines de bandes incontrôlées, qui peuvent s’appeler terroristes, qui peuvent s’appeler jihadistes ou qui agissent simplement pour leur compte. Ils sont suffisamment organisés pour former des forces qui peuvent même s’attaquer à nos forces de défense et de sécurité, qui peuvent même faire des embuscades à des forces comme Barkhane. Ça veut dire que dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord, nous sommes pressés de la recomposition de la nouvelle armée, avec les parties, entre guillemets rebelles, qui vont intégrer l’armée. Pour les parties qui ne sont pas intéressées, le DDR va s’occuper de cela. Pour nous, il faut un coup d’accélérateur à ces différents aspects pour aller vite. Maintenant la dernière attaque, dont vous parlez, a ciblé les Forces armées maliennes qui sont basés à Ménaka dans le cadre d’une opération conjointe avec Gao, Ansongo et Barkhane. Ce type d’opération est mené régulièrement avec les forces armées nigériennes. Ce type d’opération se mène dans la zone sud-est de Ménaka et peut aller dans la zone d’Ansongo jusqu’à Labezamga.
Les forces patrouillent et coordonnent un peu leurs efforts. Nos hommes sont malheureusement tombés dans une embuscade, au retour de cette mission, justement organisée par des bandes armées qui ont fait des repérages pour avoir un rapport de 5 hommes contre 1, et avoir l’avantage d’une zone très boiseuse et en pleine hivernage. C’était difficile et il faut reconnaître qu’ils avaient l’avantage du terrain. Ce qui nous fait croire que cette attaque est perpétrée par ces bandes armées, qui coupent les routes, qui s’attaquent aux camions et aux véhicules, aux campements… cette attaque n’a pas été revendiquée. Ce qui veut dire que ce sont des bandes locales qui s’en prennent aux forces de défense et de sécurité. Et juste après cette embuscade, il y a eu des échanges entre les forces de défense et de sécurité accompagnées d’ailleurs de Barkhane et ces mêmes groupes parce qu’on ne peut plus les appeler des groupuscules. Ils ont pris assez d’assurances pour s’attaquer à des armées suffisamment organisées, comme les éléments de Barkhane et les forces armées et de sécurité.
Nous savons aussi qu’ils s’attaquent de façon régulière aux postes qui sont à la frontière nigérienne. De ce point de vue, des efforts doivent être faits par les différentes parties, notamment les pays, le Mali, le Niger et même le Burkina Faso, parce que c’est la même bande. Et puis, nos partenaires Barkhane et la Minusma. Nous espérons que le G5 apportera une partie de solution à ces questions-là. Des hommes en armes, organisés en bandes, existent et en dehors des groupes armés et même des groupes dits terroristes. C’est ça le gros problème que nous avons dans la région de Ménaka. Nous dépendons encore de la région militaire de Gao. Nous sommes en sous-effectif, en sous-équipement. Nous avons une couverture spatiale nettement insuffisante du terrain. Nous savons qu’après cette attaque, il y a eu 10 portés disparus, sur lesquels deux sont rentrés à Ménaka. Les informations que nous avons, nous font croire que les 8 autres ont perdu la vie durant les combats. Des dispositions ont été prises pour la récupération des corps avant leur inhumation sur place.
Avez-vous un message pour conclure cet entretien ?
Nous lançons un appel à toute la population de Ménaka par rapport à la notion de paix. La paix ne se fait pas avec les armes, elle se fait sans les armes. Quelle que soit la force d’un groupe armé, d’une bande armée, les Etats finiront toujours par avoir raison. Nous sommes dans la mutualisation des forces. Donc aujourd’hui, toutes les forces, même celles des groupes armés, devraient être mises à contribution pour apporter la paix, pour arrêter le bruit des armes, et qu’on aille vers le développement. C’est ça la véritable nécessité de cette région.
Nous demandons à nos partenaires, en tout cas, à la République du Mali, le démarrage très prochainement de la route Ansongo-Ménaka-Anderaboukane frontière du Niger. C’est le cordon qui nous lie à un véritable développement. Une fois que nous avons cette route, 60% de nos préoccupations seront résolues. Nous savons que notre pays manque de ressources, il est dans un contexte difficile, il est dans un environnement géographique, politique compliqué. Mais sur le plan des infrastructures, sur le plan des équipements administratifs, sécuritaires, des efforts doivent être faits par notre gouvernement. Nous réitérons la prise en compte des préoccupations de cette nouvelle région pour qu’elle se mette rapidement en place de façon véritable, et qu’elle puisse faire face à tous les défis du moment.
Sur un troisième plan, nous souhaitons que tous les départements, directions centrales puissent nous visiter, puissent venir voir la réalité d’une partie du Mali. Je dis bien : cette région a 80 000 Km2. Depuis un an et demi que nous sommes là, nous n’avons pas été gâtés par les visites de nos concitoyens du sud. Nous souhaitons que l’imprégnation soit faite afin que les discours, les rapports, etc. soient vérifiés par des visites ici, à Anderaboukane, Inekar, aux populations. Nous représentons l’Etat, nous avons besoin de l’implanter et pour cela, nous avons besoin du secours du reste de la nation, du gouvernement. C’est un appel que nous lançons. La tâche est difficile, mais plus on est nombreux, plus on a des chances de pouvoir y arriver.
Propos recueillis par Kassim TRAORE
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