2- La défaite de l’armée malienne est entre autres à l’origine du renversement de régime en mars 2012 du Président Amadou Toumani TOURE, en fin de mandat suivi des affrontements survenus à Bamako, entre «bérets verts» et «bérets rouges» à la fin avril de la même année. Ces faits ont considérablement envenimé le climat politique et social au Mali et désorganisé les actions sur le théâtre des opérations au nord du pays.
3- Face à une telle situation, les combattants rebelles ont vite fait de profiter de leurs positions de domination, pour se renforcer sur le terrain et consolider leurs actions et leurs alliances tant au plan interne qu’à l’extérieur du pays. Ils se sont emparés successivement des villes de Kidal, Tombouctou et même Gao.
4- Le 6 avril 2012, le MNLA annonce la fin de son offensive et proclame unilatéralement l’indépendance de l’Azawad. Depuis cette date jusqu’à l’élection du Président Ibrahim Boubacar KEITA à la tête de l’Etat du Mali, les combats ont fait plusieurs centaines de morts et de nombreuses victimes. Au sujet de ces victimes et de leurs ayant-droits, aucune offre d’indemnisation réelle ne leur a jusque-là été faite. Elles sont nombreuses toutes celles qui attendent un simple geste de l’Etat du Mali et qui se trouvent dans un état de diminution et de précarité extrême. Au plan judiciaire, le procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI), Madame Fatou Bensouda, à la demande du gouvernement du Mali, a ordonné à ses services de mener un examen préliminaire de la situation au Mali. Comme l’indemnisation des victimes, cette action n’a elle aussi connu aucune suite pour l’instant. Depuis, les victimes et leurs ayant-droits attendent que des réponses judiciaires leur soient données quant à leurs actions et que leur sort soit fixé. Du fait de cette crise, des milliers de Maliens sont, ou, ont été réfugiés dans les pays voisins, au Burkina Faso, au Niger, en Mauritanie, au Maroc et en Algérie.
5- Désormais déterminés et décidés à conquérir l’ensemble du territoire malien, les djihadistes et les salafistes lancent une offensive sur Ségou et Mopti, deux villes situées au sud du Mali. Cette attaque de trop est celle qui provoque l’entrée en guerre de la France, avec le lancement de l’Opération Serval. Plusieurs autres pays africains membres ou non de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sont intervenus aux côtés de la France, dans le cadre de la Mission Internationale de Soutien au Mali (MISMA). En quelques jours, les combattants salafistes et djihadistes sont repoussés à Konna et Diabaly, puis les villes de Gao et de Tombouctou, libérées, leur sont reprises. Les forces djihadistes en déroute abandonnent les villes, dont certaines comme Kidal sont reprises par le MNLA et se retranchent dans l’Adrar Tigharghar situé dans l’Adrar des Ifogas. En mars 2013, Tigharghar, la principale base djihadiste au Mali, est conquise au terme d’une offensive franco-tchadienne.
6- La plupart des combattants terroristes désertent, changent de camp ou fuient à l’étranger. Quelques-uns cependant, en particulier des vétérans d’AQMI et du MUJAO, tentent de poursuivre une guérilla et lancent quelques attentats-suicides. De fortes tensions et quelques heurts opposent également le gouvernement malien aux indépendantistes qui refusent la venue de l’armée malienne dans la région de Kidal. Finalement le 18 juin 2013, après deux semaines de négociations, le gouvernement malien de transition et les rebelles du MNLA, du Haut Conseil de l’Unité de l’Azawad (HCUA) et du Mouvement Arabe de l’Azawad (MAA) signent un accord de cessez-le-feu (ACCORD PRELIMINAIRE AUX ELECTIONS PRESIDENTIELLES ET AUX POURPARLERS INCLUSIFS DE PAIX AU MALI). Grâce à un tel cadre, les autorités maliennes effectuent leur retour à Kidal et peuvent désormais envisager de tenir le scrutin présidentiel du 28 juillet 2013 et jours suivants sur cette partie du territoire national.
7- Malheureusement, de nouveaux affrontements reprennent en mai 2014, qui mettent aux prises les forces maliennes de défense et de sécurité et les groupes armés autonomistes, à l’occasion de la visite controversée de Moussa MARA, Premier ministre. Les Maliens sont vaincus à Kidal et chassés de la ville par les rebelles indépendantistes qui reprennent cette fois-ci le contrôle de la quasi-totalité de la région de Kidal et de la plus grande partie de la région de Gao.
L’après mai 2014 et le déséquilibre des rapports de force sur le terrain et au plan politique
8- C’est dans un contexte absolument «défaitiste» que le Président de la République Islamique de Mauritanie, Monsieur Mohamed Ould Abdel AZIZ, accompagné du représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies, Monsieur Bert KOENDERS, a obtenu de faire signer un cessez-le-feu aux belligérants. Plus tard, l’on assista à l’ouverture des négociations entre les protagonistes, dans le cadre du processus dit d’Alger.
9- Les négociations de paix sur le nord Mali, engagées en juillet 2014, se soldent en Algérie par une situation plutôt ambiguë. La Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) a, dans un premier temps, refusé de parapher le document soumis aux protagonistes par la médiation internationale, conduite par l’Algérie. Le gouvernement de la République du Mali y a, pour sa part, apposé son paraphe. Ce geste a été suivi par celui d’autres groupes armés, favorables au gouvernement de Bamako. Ce dernier en avait-il le choix puisqu’il a été à l’origine de toute la démarche qui a abouti au processus d’Alger. Aurait-il refusé, voire tardé dans l’apposition de son paraphe que son attitude laisserait apparaître une intention belliqueuse qui serait forcément jugée inacceptable et incompréhensible pour la communauté internationale.
10- C’est sans doute pour anticiper un échec à venir de la suite du processus d’Alger que le médiateur en chef, a, pour fixer la date de la tenue de la cérémonie officielle de signature de l’Accord définitif, proposé qu’elle se déroule à Bamako. Il a proposé la date de mai 2015, soit deux mois après la fin des négociations. À cette occasion, la CMA a elle-même souhaité disposer de temps suffisants pour consulter sa «base». Est-ce à dire qu’elle percevrait depuis cette époque, des difficultés pour convaincre sa «base» quant à la pertinence d’un texte qu’elle avait par ailleurs discuté, négocié à sa guise et même accepté le contenu sans grandes réserves ? Il est vrai que le document final d’Alger n’évoquait ni autonomie des territoires du nord, ni fédéralisme des régions et ne dérogeait en rien au principe de la laïcité tel que généralement convenu.
Or, ce sont ces points qui constituaient la quintessence même des revendications des mouvements rebelles. Ces derniers ne semblent pas se satisfaire de la mention faite à «l’Azawad» pour désigner inopportunément les trois régions du nord. Il est vrai que le texte de l’Accord d’Alger renvoie à une concertation nationale en forme de conférence d’entente nationale, pour l’adoption définitive de la référence à l’Azawad. Bien que maladroite, cette référence ne devrait pourtant pas être la plus choquante. Sauf que l’allusion à l’Azawad apparaît dans l’esprit des groupes rebelles, comme synonyme d’une région, voire d’un territoire où sont présentes les seules communautés Touarègues. Par cette allusion pleine de soupçons, les groupes rebelles tentent de s’arroger l’appellation Azawad comme d’un label qu’ils ramènent à eux seuls et à leur seule existence et présence sur ce «territoire» comme étant le leur.
Une démarche comme celle-ci est totalement contestable tant dans sa forme que dans son essence. Cette allusion ne devrait pas être perçue dans la conscience collective comme se rapportant aux seuls «hommes bleus». Mais au même moment, le courroux d’autres contre cette référence à «l’Azawad» qui n’est pas nouvelle, n’est pas non plus compréhensible tant il n’a pas de véritable base ni référence. En plus du texte de l’Accord d’Alger de 2015 qui y fait allusion, les Principes Directeurs du Pacte National du 11 avril 1992 y font également et expressément allusion à «l’Azawad». Les termes du Pacte n’ont guère choqué à l’époque. D’ailleurs, cette allusion devrait d’autant moins choquée que le texte dudit Pacte a été «promulgué» par décret pris par le Président du Comité de Transition Pour le Salut du Peuple (CTSP). Malgré tout, l’allusion à l’Azawad, même sporadiquement ne semble pas faire que des heureux dans le pays profond tandis que d’autres font de cette référence, le socle d’un Accord équilibré et acceptable. C’est entre les deux que le juste milieu devrait être trouvé pour «réconcilier».
11- Dans un communiqué court et vague, publié le 15 mars 2015, la CMA a exprimé son refus de signer en l’état le texte de l’Accord d’Alger. Pour se conforter, elle a demandé à la médiation qu’il y soit procédé à «des amendements indispensables» selon elle, pour «aboutir à (…) un texte viable, assorti de garanties concrètes et d’un calendrier effectif». La CMA ne laisse d’ailleurs rien préciser de ce qu’elle entend par «amendements indispensables», sans doute, une allusion sournoise et déguisée à la sempiternelle demande d’autonomie/indépendance. C’est ce qui a été bruyamment relayée pendant longtemps par la fervente et dévouée «population locale», largement représentative aux yeux de la «base» de la CMA et de toutes les communautés des régions nord du Mali.
12- Cette position maintes fois exprimée par la CMA et qu’elle continue encore de soutenir, même la veille de la nouvelle date du 15 mai 2015 fixée pour la signature du texte de l’Accord à Bamako, a figé le processus ainsi que les négociations. Qui plus est, cette position est totalement incompréhensible au regard de l’attitude qui a été celle de la CMA, depuis le début du processus. Curieusement, toutes les composantes de la CMA : HCUA, MAA, MNLA ont, dès l’entame du processus, fait des déclarations en faveur de la paix et pour le dialogue. C’était le cas dans le texte de la déclaration commune, dite d’«Alger» ; dans le texte des Accords préliminaires de Ouagadougou ; dans la feuille de route et dans le texte du dernier Accord d’Alger de 2015. À toutes ces occasions, les mouvements rebelles ont accepté de discuter, de négocier et d’amender les textes ainsi que leurs supports. Dès lors, il paraît incompréhensible qu’ils s’abstiennent de parapher la version finale d’un texte, se mettant ainsi en dehors du processus et prenant les mêmes risques que tous les «hors-la-loi» et les «hors-la-république».
13- Les mouvements armés, en signant le texte des Accords préliminaires de Ouagadougou ont, entre autres engagements :
-Réaffirmé «leur attachement à la Constitution de la République du Mali du 25 février 1992» ;
-Affirmé «le respect de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale du Mali» ;
-Affirmé «le respect de la forme républicaine et la laïcité du Mali».
14- Dans LA FEUILLE DE ROUTE DES NEGOCIATIONS DANS LE CADRE DU PROCESSUS D’ALGER, les mêmes groupes rebelles aux côtés de l’Etat du Mali ont également dit leur attachement aux principes de base tels que :
-le respect de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale du Mali ;
-le respect de la forme républicaine et la laïcité du Mali ;
Avant d’affirmer leur adhésion «pour un règlement pacifique du conflit».
En outre, cette feuille de route a été élaborée sur la base de textes, tels que :
-la Constitution du Mali ;
-les Résolutions 2100 et 2164 des Nations unies ;
-les Déclarations du Conseil de sécurité des Nations unies ;
-les décisions pertinentes de l’Union africaine, de la CEDEAO et de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) ;
-l’Accord préliminaire à l’élection présidentielle et aux négociations inclusives de paix du 18 juin 2013.
Tous ces documents reconnaissent l’unicité, la laïcité, l’intégrité territoriale et le caractère républicain de l’Etat du Mali.
15- Dans le texte du nouvel Accord d’Alger (2015) que les mouvements rebelles refusent de parapher, alors même qu’ils en ont discuté et négocié tous les termes, tout le long du processus, sans jamais d’ailleurs exprimer la moindre réprobation. Il y est indiqué que les parties réitèrent leur attachement au «respect de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Etat du Mali, ainsi que de sa forme républicaine et son caractère laïc».
16- La demande d’indépendance et/ou d’autonomie des mouvements rebelles est à la fois inacceptable et impossible. La majorité des Maliens ne le comprend ni ne l’accepte. C’est pourquoi, toute concession en faveur de cette demande s’assimilerait aux yeux du plus grand nombre des Maliens en une compromission aux conséquences fatalement dramatiques.
17- Refuser d’adhérer au texte de l’Accord d’Alger, même «insatisfaisant» n’est pas sans risques pour des mouvements rebelles, qui ont pourtant été des acteurs majeurs tout le long du processus. Pour autant, il est clair que cet Accord d’Alger n’est pas le meilleur de tous les Accords, jusque-là conclus pour le nord. Assurément pas ! Et pourtant, des Maliens au nord comme au sud se sont abstenus de le désapprouver nettement et franchement. L’on ne peut tout de même pas décemment déduire de leur silence, un quelconque signe d’approbation du texte de l’Accord. Tout compte fait, le paraphe y a été apposé, sans tambour ni trompette. À la demande du gouvernement malien et sur instigation de la communauté internationale, il est demandé à tous les Maliens, vent debout, de soutenir et d’approuver l’Accord.
18- Pour toutes ces raisons, l’attitude de la CMA est incompréhensible et, à bien des égards, irritante. Sans compter les conséquences qui sont susceptibles d’en découler et qui sont incalculables au regard de l’objectif de réconciliation nationale et de paix. Cette attitude de la CMA irrite et irrite même en dehors du Mali. Alain Saint Robespierre a eu raison de la pointer du doigt en l’accusant d’avoir «remis …sur la table la question de la reconnaissance de l’Azawad sur fond d’exigences sécuritaires et politiques». Pour ce journaliste burkinabé, la démarche de la CMA est un alibi pour justifier le refus de signer le texte de l’Accord par les mouvements rebelles qui font du «dilatoire». Saint Robespierre les met en garde en les prévenant qu’«à force de ruser avec cette communauté internationale qui se démène depuis comme un beau diable dans ces sables mouvants» du nord Mali, les leaders des mouvements rebelles «courent le risque que les rounds de négociation se transforment en rounds de combat dont le vainqueur ne sera pas celui qui croit être le plus fort». Il est vrai que l’on n’est pas encore là…
19- Tout compte fait, si la CMA devrait persister encore longtemps dans son refus de signer le texte de l’Accord, ce qui apparaît plus nettement depuis la rencontre avortée d’Alger de la semaine dernière, ceci ne sera pas un échec pour les seuls protagonistes que sont : le gouvernement du Mali et les mouvements rebelles. Mais en plus de ceux-là, ce sera l’échec de la communauté internationale toute entière, singulièrement la médiation algérienne, mais aussi l’échec de la paix et l’échec du peuple du Mali. En dehors d’un Accord de paix, y a-t-il d’ailleurs un autre choix que de faire la guerre pour le Mali et les Maliens ? Au sujet de la guerre, nombreux sont les Maliens qui la réclament en sourdine et ne manquent pas d’affirmer leur détermination pour cette option ultime en cas d’échec de la négociation. Les partisans de la guerre crient à la guerre sur tous les toits. Bon nombre d’entre eux oublient cependant que la guerre ne concerne pas et n’implique pas que les seuls soldats qui vont au front. La défense du territoire national et de la patrie incombe également à tous les citoyens, qu’ils soient hommes, femmes ou jeunes. Peu importe leur sexe ou leur âge. Face à «l’ennemi», beaucoup de guerriers de circonstances apprendront, sans doute à leurs dépens, que lancer un cri de guerre n’est pas véritablement faire la guerre.
20- Dès lors, la marge de manœuvre du gouvernement de la République du Mali apparaît considérablement réduite. Devant une telle situation, il ne reste plus d’autre possibilité que d’appeler à la paix et non à la guerre. Toute autre attitude sera à la fois incomprise et mal perçue. Le communiqué lu par le Ministre l’Economie numérique, de l’Information et de la Communication, porte-parole du gouvernement, exclut d’ailleurs «…toute idée d’ouvrir de nouvelles négociations sur son contenu (l’Accord) et appelle la Médiation à ses responsabilités en tant que garant du processus de paix».
Le gouvernement du Mali ne devrait pas ignorer un seul instant les attentes lisibles de son opinion, mais aussi celles de la communauté internationale, soucieuse de maintenir la paix et la sécurité dans la région. Il est vrai que cette dernière s’y prend avec un peu moins de tact et de dextérité, notamment en ce moment à Ménaka depuis la prise de cette ville par GATIA, que certains Maliens la soupçonnent de pencher plus vers les groupes rebelles. En cela, l’on se rend compte que la faiblesse de l’autorité de l’Etat malien et de son armée, qui a perdu pied sur le terrain, a permis à une certaine communauté internationale de considérer l’Etat du Mali de la même manière que les groupes rebelles.
Cette vision est totalement erronée dans la mesure où un Etat est et demeure d’abord une représentation nationale à la différence d’un groupe armé, revendiquant ou voulant imposer son dictat. En tout état de cause, rien ne devrait conduire le Mali à la guerre, même pas les attaques de guérilla à l’intérieur des villes et pas loin des campagnes, pas même les attentats qui seront de plus en plus fréquents et récurrents en cette veille de signature de l’Accord. Les forces de défense et de sécurité nationales ont été plus présentes sur le théâtre des opérations aujourd’hui que par le passé. Les positions ne sont pas perdues, bien au contraire, les attaques sont repoussées et le territoire préservé dans sa plus grande étendue libre.
Aucun mouvement de repli, ni tactique ni même pas stratégique n’est perceptible sur le terrain. Cette position d’embellie est susceptible d’être mise en cause par l’attitude que l’on observe chez les groupes armés dits «proches» du gouvernement. L’attaque et la reprise de Ménaka récemment sont des gestes assez comparables et susceptibles de produire les mêmes effets que la visite hasardeuse et irréfléchie de Kidal, à une époque où le Mali bénéficiait pourtant du soutien de la communauté internationale qui lui affirmait adhérer à ses options et à sa doctrine politiques de règlement de cette crise du nord à cette époque-là. Aucun patriotisme ne doit conduire à la reprise des hostilités dans les conditions et suivant la configuration politique actuelles.
21- Néanmoins, le contexte du présent Accord n’est pas du tout le même que celui des Accords passés. Les engagements pris par le passé par l’Etat du Mali, à l’occasion des différentes négociations sont aussi distincts les uns que les autres. Toujours est-il que la résurgence de la crise et des conflits subséquents au nord Mali témoigne de ce qu’aucun Accord, de Tamanrasset au Pacte national, en passant par les Accords d’Alger (1) à ceux d’Alger (2) n’ont pu véritablement enrayer les ardeurs des irrédentistes et mettre un terme à leurs actions de subversion et de sécession. Aujourd’hui, le défi réside dans le génie absolu des Maliens à réinventer le Mali ; à faire preuve de capacités d’adaptation et d’évolutions utiles pour regarder vers des horizons nouveaux, ouvrant de nouvelles perspectives, tenant compte d’un environnement qui aura varié, des populations qui expriment des attentes nouvelles et légitimes, le tout sur la base d’un nouvel engagement démocratique, épris d’éthique citoyenne et de transparence républicaine, supporté par un management gouvernemental résolument tourné vers la défense et la protection de l’intérêt supérieur de la nation, désormais composée de l’ensemble des populations, y compris les minorités, les plus démunies et les plus exposées.
Au total, c’est l’avenir de populations maliennes, diverses et variées mais engagées à bâtir un pays revu, repensé et reconstruit qui est en jeu !
22- Un Accord Pour la Paix et la Réconciliation Nationale au Mali issu du Processus d’Alger est conclu, signé ou en passe de l’être aujourd’hui ou demain par les différents protagonistes de la crise du nord Mali, à l’origine de la dislocation du territoire malien, en partie occupé encore. Le texte de cet Accord comporte entre autres des déclarations et l’affirmation de principes, au milieu d’importants engagements pris par l’ensemble des protagonistes, sous l’égide et la bienveillance de la communauté internationale, déterminée en tant que principale garante de la paix définitive au Mali. S’agissant d’un «Accord pour la paix», la précaution supplémentaire demeure le respect absolu des engagements pris et qui devraient en tous points être conformes aux textes de rang supérieur. Le texte de l’Accord d’Alger fait partie de cette catégorie de texte relevant de la catégorie des engagements visés par la constitution de février 1992. L’Accord d’Alger est un «Traité de paix». Comme tous les textes de cette nature, ils ne «peuvent être approuvés ou ratifiés qu’en vertu de la loi». Pour s’assurer de la conformité du texte de l’Accord d’Alger au plan juridique, la meilleure démarche consiste pour le Président de la République à le soumettre à la censure éventuelle de la Cour constitutionnelle.
Bien évidemment, une telle démarche nécessite la volonté de rechercher une parfaite concordance entre le texte de l’Accord et les autres textes. Par la suite, il s’agit de corriger les imperfections éventuelles en cherchant la meilleure adaptation et la meilleure synergie avec les autres textes. Tout cela est un préalable avant la mise en œuvre.
23- Cette mise en œuvre des engagements de part et d’autre nécessite pour l’Etat du Mali, la prise d’actes législatifs et réglementaires et des mesures immédiates qui ne sont pas sans coûts ni incidences. D’abord, en termes de réformes rendues nécessaires et utiles immédiatement, au regard de leurs impacts sur le cadre juridique général existant et celui à venir, la nécessité de procéder aux aménagements politiques et institutionnels nécessaires pour installer un nouveau cadre conforme au plan juridique, politique et institutionnel national, tenant ainsi compte des engagements internationaux du Mali.
24- À première vue, la prise d’actes conduit à des réformes constitutionnelles, institutionnelles, légales, réglementaires et politiques importantes, au nombre desquelles :
24-1 – Au plan constitutionnel, l’adaptation nécessaire du préambule de la constitution du 27 février 1992 pour prendre en compte les références nouvelles faites à l’intégration sociale, humaine, communautaire par le texte de l’Accord d’Alger de 2015 ;
24-1-1 Le même préambule devrait davantage s’étendre et affirmer l’adhésion des Maliens à l’objectif incontournable de paix, de concorde, de sécurité et de sûreté nationales ;
24-1-2 Enfin le préambule devrait prendre en compte l’attachement national à la patrie commune, diverse et variée.
24-1-3 Le texte constitutionnel devrait également prendre en compte et affirmer le principe de la liberté des collectivités locales et territoriales à disposer d’une administration, d’un budget et d’une fonction publique locale.
24-1-4 Les autorités élues issues des collectivités locales, territoriales et publiques sont l’émanation du suffrage universel direct et égal, suivant le mode de scrutin déterminé par la loi. L’application stricto sensu des règles de la démocratie, sur la base «d’une personne, un vote, une voix» ne permet pas d’atteindre pleinement les objectifs recherchés par l’Accord tendant à la recherche d’une plus grande représentation et/ou représentativité des «minorités». Faut-il aller vers l’égalité des chances en contradiction désormais avec le principe de l’égalité de tous devant la loi ? La question est et demeure posée. Les Accords précédents sur le nord s’étaient essayés sans que cela ne se traduise par une véritable intégration continue et significative dans les administrations publiques et au sein de l’armée et des forces de défense et de sécurité.
24-1-5 Dans une telle dynamique, en plus de la recherche de la plus parfaite adéquation entre les postes à pourvoir et les élus au sein des collectivités et des administrations, la constitution des collèges électoraux, sur des bases définies est tout à fait envisageable à partir de critères à la fois objectifs et subjectifs.
24-1-6 L’institution du bicaméralisme doit permettre de procéder à l’élection des membres d’une seconde chambre du parlement, sans que jamais les bases électorales ne soient les mêmes que celles qui prévalent à l’élection des députés. Qui plus est, le rôle des élus de cette seconde chambre du parlement ne devrait pas être réduit à la simple relecture de la loi. Les origines profondément traditionnelles, locales et coutumières des élus qui y sont issus devraient permettre de remonter des apports, tenant compte de réalités à la fois sociales, sociologiques et véritablement empreintes de traditions et de vestiges.
24-2 – Au plan légal, l’incidence des engagements est à plusieurs autres égards :
24-2-1 Le caractère universel du suffrage est un obstacle majeur à l’engagement pris par l’Etat du Mali de favoriser plus de personnes ressortissant du nord à «occuper» les postes politiques, institutionnels et administratifs. Cet objectif rentre dans le cadre d’une «discrimination positive» en vue d’assurer les équilibres nécessaires et favoriser une plus grande représentation sociale au sein des institutions de la République.
24-2-2 Le Code des collectivités locales devrait évoluer pour prendre en compte, outre la liberté d’administration des collectivités locales et territoriales, mais aussi l’existence d’un budget autonome avec des ressources propres à allouer.
24-2-3 La régionalisation devrait permettre aux collectivités territoriales de nouer des liens contractuels à partir d’intérêts communs, sans que l’Etat, la tutelle administrative de l’Etat par le biais du ministère de l’administration territoriale, ne soient des obstacles. Ce qui n’est pas sans incidences sur le cadre juridique qui s’appliquerait aux finances publiques.
24-2-4 Bien d’autres aspects sont susceptibles d’être pris en compte au plan réglementaire pour tout ce qui est de la mise en œuvre du principe de l’incorporation et l’intégration des personnes ressortissant du nord dans la fonction publique nationale et territoriale. Le principe de la primauté en leur faveur, l’accès aux cycles de formation ; au plan politique, les questions sont aussi nombreuses que les réponses ne semblent être à la mesure des défis.
25- Pêle-mêle, des points importants sont évoqués dans le texte de l’Accord tels que :
– la question de la terre, sa gestion et son administration ;
– le sujet de la création de nouvelles collectivités locales et/ou territoriales, et leur gestion et administration ;
– la péréquation des ressources ;
– l’autonomie budgétaire et financière des entités et des collectivités ;
– le suffrage universel et la question de l’égalité de tous devant la loi et de l’égalité des voix dans le cadre d’un suffrage ;
– la nouvelle dénomination et délimitation des régions ;
– la nouvelle subdivision territoriale ;
– la représentation de l’Etat et la tutelle au sein des collectivités locales ;
– la discrimination positive au profit des minorités ;
– la création d’une fonction publique territoriale ;
– le bicaméralisme et les nouvelles institutions ;
– les nouveaux collèges électoraux ;
– la justice entre modernisme et traditions…
sont autant de défis qu’il faut anticiper dans le cadre de la mise en œuvre des points de l’Accord.
26- Ces engagements doivent être mis en œuvre avec ou sans la signature de tous les protagonistes. Cela constituera le véritable gage de la bonne foi de l’Etat du Mali vis-à-vis de ceux-là qui n’ont pas ou qui hésitent encore à prendre part à la construction de la paix, de la concorde, partant, le «Mali de demain». En raison de l’importance des questions soulevées et au regard de leurs incidences, l’institution d’une structure indépendante du gouvernement est nécessaire pour mettre en œuvre les engagements contenus dans l’Accord. La structure qui pourrait être par exemple dénommée «Haut Commissariat Pour la Mise en Œuvre de l’Accord D’Alger» (HAUTCOM-2A peut constituer une réponse immédiate.
26-1 La HAUTCOM-2A aura pour mission de procéder à l’inventaire de l’ensemble des incidences des dispositions de l’Accord, de procéder à leurs évaluations, de proposer et préparer les décisions, actes et actions nécessaires pour la mise en œuvre pratique de l’Accord.
26-2 La HAUTCOM-2A travaillera en étroite collaboration aves toutes les institutions, les services et les organismes concernés pour la réalisation de sa mission qu’il accomplira sous la supervision du Chef de l’Etat.
26-3 La HAUTCOM-2A pourra être confiée à une personnalité dont les compétences, la moralité, l’expérience et la connaissance de l’histoire et de la généalogie des Accords passés, des institutions de la République et du cadre juridique national sont avérées. Cette personnalité devrait avoir une expertise certaine en matière de réformes politiques et institutionnelles.
Mamadou Ismaila KONATE
Avocat à la Cour,
Président de Génération Engagée
Source: Le Reporter 15/05/2015