On peut résumer la rencontre en ces termes : comment saisir les opportunités qu’offrent la science et la technologie pour l’amélioration de la productivité agricole en Afrique, afin d’atteindre par nous-mêmes, la sécurité alimentaire. Monsanto, cette entreprise spécialisée dans les biotechnologies végétales y était représentée par ses responsables des Affaires règlementaires Europe-Afrique, Bruno Tinland et Pascale Delzenne, venus de Bruxelles, ainsi que par le responsable local, basé à Bobo Dioulasso, Doulaye Traoré. Pour la Directrice de l’Agence nationale de biosécurité(ANB) du Burkina Faso, le professeur Chantal Zougrana Kaboré, le thème de cette rencontre est porteur et d’actualité, « permettant de renforcer nos expériences de sorte à bien gérer nos cultures pour le bien être de nos populations ». Propos appuyé par le Coordinateur sous-régional de la biosécurité de l’Institut du Sahel (Insah à Bamako), Siaka Dembélé, selon lequel l’importance du thème de la coexistence des cultures n’échappe à personne. La question est également au centre des préoccupations de la Commission de l’Union européenne, précise-t-il. Débattre de cette question signifie que nous sommes en train de sortir des sentiers battus, par la révision des textes.
Selon Siaka Dembélé, la biosécurité occupe une place importante pour le Comité inter-Etats de lutte contre la sécheresse au Sahel (CILSS) qui a été l’une des premières structures sous-régionales à lancer la réflexion sur le sujet, comme la CEDEAO ou l’UEMOA. Selon lui, un cadre sous-régional (ou une réglementation de biosécurité pour l’Afrique de l’Ouest) a été élaboré et soumis aux Etats pour validation. Ce document sera ensuite proposé au niveau sous- régional pour validation. Il a démenti les allégations selon lesquelles il n’y a pas d’évolution en Afrique de l’Ouest, en dehors du Burkina Faso, car ça bouge aussi au Mali, au Sénégal et au Togo, qui sont en avance dans la mise en place de leur réglementation. D’où l’opportunité de cette rencontre qui va permettre d’alimenter la réflexion au niveau de la sous-région. Le Coordinateur sous-régional de la biosécurité de l’Institut du Sahel a été complété par Checkna Sidibé, conseiller technique au ministère de l’Environnement et de l’Assainissement du Mali, chargé de biotechnologie. Selon lui, en plus de la loi qui a été déjà adoptée par l’Assemblée nationale du Mali, deux décrets d’application ont été adoptés par une réunion interministérielle et vont être signés par le président de la République, avant la fin de 2010.
Le Directeur du Réseau Africain d’Expertise en Biosécurité / African Biosasfety Network of Expertise (ABNE), le Pr. Diran Makindé, s’est voulu un explorateur de terrain à la découverte des difficultés qui empêchent l’évolution du programme de biotechnologie dans les différents pays comme le Mali et le Togo. Le Burkina Faso demeure le peloton de tête de la percée biotechnologique en Afrique de l’Ouest. Le gouvernement burkinabé a jugé nécessaire d’octroyer, il y a un an, un siège dédié au Réseau Africain d’Expertise en Biosécurité / African Biosasfety Network of Expertise (ABNE), sis à l’Université de Ouaga. Pour le Pr. Diran Makindé, la question de biotechnologie est comprise par tous, mais on ne l’aborde pas en termes de priorité. Or l’approche environnementale et sécuritaire fait de la biotechnologie une question prioritaire au moment où les textes sont en élaboration.
Les pays qui ont une longueur d’avance sont certainement l’Afrique du Sud, le Burkina Faso et le Kenya. L’Afrique du Sud est déjà dans la commercialisation, le Burkina Faso aussi en matière de coton, tandis que les pays comme le Togo, le Mali, et le Soudan, sont encore au niveau de l’adoption des textes de loi qui sont adoptés dans la plupart des cas. Le Directeur de l’ABNE (African Biosafety Network of Expertise) a lancé un appel à ces pays à solliciter de l’assistance auprès de l’ABNE.
Il s’agit d’apporter la réponse à un défi mondial et africain de sécurité alimentaire, celui de nourrir ses populations en toute sécurité, dont le nombre atteint le milliard. L’état des lieux en Afrique est déplorable quand on considère le ratio population- terres arables et production agricole. En Afrique, la production agricole n’a pas suivi le rythme de l’évolution de la population, tandis que la demande de nourriture a doublé. Nous importons donc le gap pour subvenir aux besoins alimentaires du continent. La proportion de déficit allant croissant, quelle alternative embrasser pour combler le gap ? Comment assurer notre sécurité alimentaire en minimisant les importations ? Pour Moussa Savadogo de l’ABNE, c’est le lieu de réfléchir sur l’adoption des cultures génétiquement modifiées qui ont l’avantage d’accroître la productivité, de résister à la sécheresse et aux insectes. Il est important de combiner les deux cultures, d’où d’ailleurs le choix du thème coexistence ou cohabitation des cultures GM et non GM en Afrique de l’Ouest.
Pour OGM : oui, mais …
Selon les spécialistes, cependant, la biotechnologie n’est pas la solution à tous les problèmes, au contraire, elle doit être associée à d’autres comme les bonnes pratiques agricoles. La réunion de Bobo Dioulasso n’a pas échappé à certaines interrogations comme celles liées aux risques pour les consommateurs. Si tel est le cas que la science reste jusque là sans connaissance précise des conséquences que peut avoir l’OGM, à plus ou moins longue échéance, sur le consommateur, alors pourquoi y aller ? « Si les pays développés peuvent se le permettre, parce qu’ils ont les moyens, qu’en est-il de nous ? Nous ne pourrons pas faire face aux conséquences qui peuvent être incalculables, s’il s’avérait dangereux ». Les aliments issus de la biotechnologie sont-ils sains ? Les plantes GM ne vont-elles pas impacter sur l’environnement en envahissant les herbes ou en provoquant des résistances chez des insectes ? Des questions se sont posées également dans le sens inverse, c’est à dire, si les cultures GM peuvent contribuer à améliorer l’environnement. « L’existence aujourd’hui, grâce à la biotechnologie, de maïs qui résistent à la sécheresse est une réponse aux changements climatiques », a soutenu un intervenant.
Place aux débats dans la salle de conférence de Ran Hôtel de Bobo Dioulasso, ces 24, 25 et 26 novembre 2010. Discussions autour de la biotechnologie qui reste une technologie controversée, comme l’ont été à leur début l’avion et le téléphone portable, qui comportent des risques et des avantages. Il est donc question de voir si les avantages surmontent les risques. Tout compte fait, une attention particulière doit être accordée à la production de l’alimentation locale. Tels sont des éléments de débat entre chercheurs, scientifiques, producteurs, décideurs et communicateurs burkinabé, maliens, togolais et sénégalais. Selon certains intervenants, la Fao s’est déjà intéressée à la question et a dégagé une variation régionale quand à l’intérêt à adopter les cultures GM. Tout en l’adoptant, une démarche prudente serait donc de continuer la recherche pour savoir si les OGM ne posent pas de problème plus tard. Mme Sawadogo Lingani Hagretou de l’Observatoire national de biosécurité du Burkina Faso et membre de l’Institut de Recherche en Science Appliquée et Technique, s’est interrogé sur le cas précis de la patate génétiquement modifiée. A cette patate, des gènes ont été introduits pour apporter la vitamine A, le zinc et le fer. Mais le goût de la patate peut en être affecté, d’où les inquiétudes de Mme Sawadogo. « Les consommateurs vont-ils toujours apprécier cette patate qui change peut-être de goût. Et aussi, on ne sait pas si la consommation de tels aliments ne provoquera pas des problèmes plus tard ». Le Chargé de Programme Biosécurité Environnementale, NEPAD-ABNE, Moussa Savadogo se veut plus rassurant : « la science n’a pas de problème avec la biotechnologie, mais on ne peut rien contre les perceptions. La question est de savoir si les scientifiques ont-ils suffisamment communiqué». Le continent africain aura besoin en 2050 de deux fois la nourriture actuelle nécessaire. La biotechnologie pourrait servir d’alternative crédible face à la faible productivité de notre agriculture.
Les relations étroites et complexes entre l’Agriculture et l’Environnement sont sans doute des réalités à prendre en compte, dans ce sens qu’il est impérieux d’établir un équilibre entre les activités de la production agricole et la nécessaire protection de l’Environnement. Le danger lié à l’usage massif des pesticides, des engrais chimiques qui provoquent la détérioration de la biodiversité et par conséquent de la richesse de la diversité biologique demeure une préoccupation. En même temps, l’utilisation des pesticides augmente le coût de revient de la production à l’hectare. Au Burkina Faso, des tests ont prouvé que les champs de cultures génétiquement modifiés (GM) apportent une augmentation du rendement de plus de 30 % (même si le conventionnel coûte 4 000 F CFA l’hectare, contre 27 000 F CFA pour les OGM en ce qui concerne les semences), et une réduction de 50 % des traitements en insecticide. Les semences GM seraient également plus précoces que le coton conventionnel. Le gain est visible sur le terrain, soulignent les producteurs burkinabé, lors de la visite de terrain effectuée par les participants à l’atelier, le vendredi 26 novembre.
Prudence
Cependant les organisations de producteurs restent sur leurs gardes, ne sachant pas tout à fait le contenu réel de la convention signée entre la firme américaine de promotion de la culture OGM, Monsanto et les sociétés cotonnières burkinabé. Une faille que ne manque pas d’exploiter le Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (Roppa), chaque fois que l’occasion se présente. Pour cette fronde des producteurs contre la percée des OGM en Afrique de l’Ouest, les OGM sont un piège qui rendra les producteurs dépendants, car ils n’ont pas d’expertise suffisante sur ces semences. Selon cet argumentaire du Roppa, les OGM ne sont que des éléments d’un système que les firmes occidentales introduisent chez nous pour avoir le monopole des semences, avec toutes les conséquences que cela comporte. Mais cette vérité du Roppa traduit-elle la réalité, quand on sait que les semences utilisées au Burkina Faso sont produites au pays de l’homme intègre. C’est une évidence que les semences, en tout cas dans le cas du coton, sont produites sur place au Burkina Faso et distribuées aux producteurs, sous la vigilance des sociétés cotonnières. Mais sans doute avec l’assistance intéressée de Monsanto, une firme spécialisée dans le développement de la biotechnologie végétale, fortement implantée au Burkina Faso et qui jette ses tentacules dans certains pays de l’Afrique de l’Ouest dont le Mali. Répondant d’ailleurs à une intervention qui marquait l’empressement à s’implanter au Mali et qui stigmatisait l’attitude des Maliens à traîner le pas, le député malien, l’honorable Mohamed Adideye Maïga, président de la Commission de développement rural, n’a pas manqué de souligner, non sans énergie, qu’en ce qui concerne les cultures génétiquement modifiées, « le Mali est un Etat souverain qui va à son rythme, selon ses réalités, sans se laisser influencer par qui que ce soit ». Selon lui, l’Assemblée nationale du Mali a pris le temps qu’il faut pour renforcer ses capacités et bien comprendre l’avènement de la biotechnologie. Ce qui a amené les élus à renvoyer le projet de loi, une première fois, avant de l’adopter ensuite, après l’avoir bien compris et apporté les corrections nécessaires.
Le Mali en avance
Exposant le thème sur »Information sur l’état de développement des systèmes de biosécurité et des applications biotechnologiques dans la sous-région ouest africaine », le Professeur Youssouf Cissé, Agro-économiste /Chercheur à l’Institut d’Economie Rurale (IER), a souligné certaine résistance venant de la société civile, notamment des altermondialistes qui ont souligné avec force »on n’en veut pas ». Ils ont manifesté et rejeter lors de l’Espace d’interpellation citoyenne à Sikasso, puis devant l’Assemblée nationale le jour du vote de ladite loi. Mais aussi des producteurs de coton qui ont rejeté la culture GM en 2006. Cependant, partout en Afrique de l’Ouest, aujourd’hui, des produits OGM existent sur le marché. Au Mali, une loi sur la biosécurité existe, mais attend ses décrets d’application. Selon le Professeur Youssouf Cissé de l’IER, il serait de mener en ce moment une étude dans la société pour savoir ce que les gens pensent réellement de la biotechnologie.
En tout état de cause, si le Mali devait entrer en scène, ce serait par la grande porte, le projet « Moustiques génétiquement modifiés au Mali », ayant déjà fait un pas important, à en juger à la conférence scientifique donné par le Dr Ibrahim Baber, Entomologiste Médical en fonction au Malaria Research & Training Center (MRTC) sis au FMPOS au Mali. Ce projet est destiné à la lutte contre le paludisme à travers des moustiques GM et réfractaires au gène du parasite. Nous y reviendrons.
B. Daou
01/12/210