Pendant trois week-ends du mois d’avril 2019, l’espace culturel créé par Rokia Traoré à Missabougou à Bamako a été le théâtre du festival Fôly Dogôkun (les week-ends 5-6, 19-20 et 26 27 avril 2019). A l’affiche, une dizaine de concerts mettant en scène des artistes locaux et étrangers. Dans le contexte sécuritaire actuel de notre pays, «l’entreprise relevait des travaux d’Hercule» ont commenté les critiques. Téméraire ? Certes ! Mais, une témérité à la hauteur du patriotisme de cette jeune artiste qui veut aider le Mali à voir le bout du tunnel grâce aux richesses artistiques et aux valeurs culturelles. Ce qui fait d’elle, un exemple pour sa génération.
Aider la création artistique et maintenir une vie culturelle au moment où l’Etat malien s’est presque désengagé de ses responsabilités culturelles ! Telle est l’ambition de la jeune star Rokia Traoré. Une passion et une volonté concrétisées par sa Fondation Passerelle (ECP) de Missabougou, en commune VI du District de Bamako.
C’est aujourd’hui l’un des espaces culturels les plus modernes et les mieux équipés du pays avec une scène, une salle de spectacle, un restaurant, un café, des chambres d’hôte, une piscine et bien sûr du matériel de son et lumière de haute qualité. L’ECP est un espace culturel divisé en trois compartiments distincts, dont notamment un Petit théâtre dénommé «Blues Faso» doté de 150 places assises. Sans oublier Le Jardin «Kodon» qui est un espace modulable avec piscine. Il peut accueillir jusqu’à 1 600 personnes.
L’ambition de Rokia est de pallier les dysfonctionnements de la politique culturelle du Mali (s’il y en a une). En effet, on a aujourd’hui l’impression que, depuis la fin de la première République le 19 novembre 1968, le secteur culturel n’échappe pas à la navigation à vue dans laquelle le Mali s’est embourbé.
Pendant les deux premières décennies de son indépendance, le pays avait en effet accordé une place prépondérante à la culture érigée en outil d’émancipation, d’éveil citoyen et de cohésion sociale. «Cette politique n’a pas seulement contribué au rayonnement international du pays, elle a bénéficié à long terme à de nombreux artistes», indique un critique.
Certes, le président Alpha Oumar Konaré a essayé de redonner à la culture son prestige d’antan avec des monuments, des Festivals, la biennale de la photographie de Bamako, la reprise de la biennale artistique et culturelle, l’ouverture d’un Conservatoire… Même s’il n’a pas su maintenir cette timide cadence, le président Amadou Toumani Touré dit ATT a fait de son mieux avec notamment la réalisation des salles de spectacles dans de nombreux centres urbains du pays.
Des initiatives privées pour pallier le manque de vision de l’Etat
Face à la défaillance de l’Etat, qui semble avoir d’autres priorités que de redonner au pays sa vitalité culturelle, il faut miser sur les initiatives privées, sur l’ambition de certaines stars de réellement jouer leur partition dans la recherche de solutions à la crise que traverse le Mali depuis près d’une décennie. Une crise qui est aussi identitaire parce que notre pays fait, en partie, face aux conséquences de certains fléaux (corruption, délinquance financière, violence) liées au complexe socioculturel.
Et Rokia Traoré, avec la Fondation Passerelle, a ouvert une brèche prometteuse en misant sur «la culture et sur la nouvelle génération». Ce qui est, pour de nombreux observateurs, «un investissement indispensable pour rebâtir un nouveau Mali à la mesure de son histoire».
Ainsi, depuis près d’une décennie, la jeune auteure-compositrice-interprète-arrangeuse-instrumentiste ne se contente plus du cycle classique de la musique, c’est-à-dire la composition de morceaux, la production et la promotion d’album. Une routine dans laquelle elle n’a pas voulu s’enfermer. «Cela ne m’intéresse plus de faire tous les deux ans un album et aller de festivals en concerts pour faire sa promotion», a-t-elle récemment confié à nos confrères de L’Essor (Supplément Culture du vendredi 17 Mai 2019).
Ce choix découle surtout de sa volonté de garder sa liberté de création en travaillant sur des projets qui lui tiennent à cœur et lui permettent d’aller au bout de ses forces. Ce travail «technique», qui n’était donc pas une voie artistique délibérée, s’est imposé à elle pendant quelques années. Puis elle a enchaîné avec son rêve de longue date : écrire et conter des pans de l’histoire de notre pays. Au finish, des créations atypiques demandées un peu partout dans le monde. «Dream Mandé Diata» ; «Dream Mandé Roots» et «Dream Mandé Bamanan Djourou» sont trois spectacles qui ont sublimé les critiques un peu partout dans le monde.
Chanteuse, auteure-compositrice-interprète, guitariste et entrepreneure culturelle, Rokia Traoré est née le 24 janvier 1974 à Kati, la ville garnison sur les hauteurs de Bamako. De 1998 à 2016, elle a enrichi sa discographie de six albums. Et aujourd’hui, est dédiée corps et âme à la création de spectacle mettant en exergue l’histoire et la culture du Mali pour le faire mieux connaître ailleurs et pour que les nouvelles générations puissent aussi avoir des repères solides pour asseoir leurs convictions !
Naby
(Avec www.rts.ch/ Radio suisse Romande)
De nouvelles surprises authentiques à l’horizon
Très sollicitée, Rokia Traoré n’a presque plus de place dans on agenda de 2019-2020. Déjà, le livre du spectacle «Dream Mandé Bamanan Djourou» paraitra bientôt en librairie. Il sera suivi d’un film que Rokia Traoré veut mettre à la disposition du public avant la fin de cette année 2019.
Sans compter que des salles, à travers l’Amérique du nord et du sud ainsi que l’Europe et l’Océanie, sont déjà sur les rangs pour accueillir ces authentiques créations. «Dream Mandé Diata» est ainsi programmé pour la première fois à l’Opéra de Paris pour la première semaine du mois de janvier 2020.
Deux autres grosses productions sont en chantier. D’abord, «il était une fois une rose de fer», un spectacle total avec chant, musique, danse, drame, et projection vidéo. Une œuvre (pièce) pour rendre hommage à la grande cantatrice et révolutionnaire d’Afrique du Sud, Zenzile Makeba Qgwashu dite Miriam Makeba. Cette création est une commande spéciale d’une grande salle parisienne.
Avec le Burkinabé Serge Aimé Coulibaly, Rokia Traoré travaille également sur un projet de l’orchestre philarmonique de Paris. Il s’agit en réalité d’une pièce de théâtre-danse intitulée «Kirina». C’est un concept autour du Mandé Foli.
Un spectacle que des critiques ont déjà qualifié en occident de «superbe fresque scénique venue d’Afrique» axée sur l’image d’un peuple en marche. «Une pièce de grande ampleur dont l’envoûtante musique de Rokia Traoré accentue encore l’aspect opératique», reconnaissait les «Inrockuptibles», une publication référence en matière de promotion spectacles.
La pièce prend comme point de départ la bataille de Kirina, qui eut lieu en 1235 et qui, remportée par l’armée de Soundiata Kéita, marqua la naissance de l’Empire mandingue en Afrique de l’ouest. A travers cet événement historique fondateur, Serge Aimé Coulibaly cherche avant tout à saisir l’élan collectif d’un peuple qui se dresse pour se lancer avec courage vers l’avenir.
L’Opéra d’Aix-en-Provence, enfin, coproduit avec le théâtre Bolchoï (Russie) une pièce d’opéra nommée «Didon et Ainée». Pour ce projet, Rokia Traoré travaille avec le metteur en scène ivoiro-français Moïse Touré. A la fois, la Malienne écrit le texte et tient un rôle dans l’œuvre.
Naby
Avec L’Essor (supplément culture du 17 mai 2019)