Nouakchott le weekend puis Bamako à partir de ce lundi et Nouakchott ensuite : une délégation algérienne composée de responsables du ministère de la Défense nationale se rend dans les pays dits du champ pour discuter de la crise au Mali. La mission est conduite par le ministre délégué chargé des Affaires maghrébines et africaines, Abdelkader Messahel.
L’Agence Algérienne de Presse indique que cette visite vise à « renforcer la coopération entre les pays du champ, à travers les mécanismes existants. Il s’agit, cite cette agence, du comité politique, du comité d’état major conjoint -CEMOC- et de l’unité fusion liaison -UFL-. Ces différents organes ont été mis en place dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et le crime organisé transnational » depuis 2009. Un effort particulier pour les dynamiser a été constaté en 2010 et 2011, avec Tamanrasset, ville du Sud algérien comme siège des troupes des pays du champ devant lutter contre le crime organisé dans le Sahel-Sahara. Cependant, nombreux sont les sécuritaires régionaux et occidentaux à mettre en doute l’efficacité du Cemoc. « Il n’y a eu que des réunions et un effort méthodique pour éviter l’affectation des troupes à Tamanrasset » s’indigne un observateur.
La bénédiction de Washington
L’anthropologue britannique Jeremy Keenan n’en est pas surpris. Ce pourfendeur de la politique sécuritaire algérienne a, en effet, toujours défendu que l’insécurité au Sahel est créée et entretenue par Alger. Pour lui, les Emirs Belmoktar, Abuzeid et autres responsables de l’ex Gspc devenu Aqmi en 2007 sont « missionnés » par Alger. Pour quels objectifs ? La volonté d’être et de demeurer une puissance régionale exploitant la faiblesse de ses voisins dont le Mali avec lequel elle partage près de deux milliers de kilomètres. Mais ce n’est pas tout. Keenan pense aussi que le « marché sécuritaire » est le seul moyen pour Alger de ne pas répondre de sa gouvernance jugée peu démocratique et s’attirer la sympathie de l’Occident. Les Usa, en tout cas, sont devenus un partenaire stratégique crucial de l’Algérie depuis une décennie.
« En matière de sécurité dans le Sahel, ce qui n’a pas l’aval d’Alger n’aura pas l’aval de Washington » constate un diplomate africain en poste à Bamako. La réalité doit être plus nuancée. Mais il reste que l’axe Alger est fondamental pour Africom, l’organe américain en première ligne contre le terrorisme en Afrique. Il y a une semaine, le général Carter F. Ham le haut responsble d’Africom) était à Alger. Il a répété ce que dit Alger depuis un moment : «la situation dans le nord du Mali ne peut être réglée que de manière diplomatique ou politique». Il est vrai que dans les heures qui suivirent, le plus haut responsable de l’Afrique au département d’État américain, Johnnie Carson relativisait en précisant que Washington soutiendrait « une intervention armée bien préparée, bien organisée, bien pourvue, bien pensée ».
D’ailleurs, le 19 octobre au moment où se tiendra à Bamako une rencontre Cedeao –Union africaine sur la crise malienne, s’ouvrira à Washington pour la première session de dialogue Algérie-États-Unis.
Coiffer Paris au poteau
Alger y aura-t-il raison de ce qui paraît être l’ambivalence américaine ? En tout cas, il pourrait y répéter que 3000 hommes sur 8000 km2 sont insignifiants. Le Premier ministre algérien Abdelmalek Sellah que François Hollande a reçu en marge du sommet de Malte, a été plus diplomatique, en restant sur la ligne de son ministre des Affaires étrangères, Mourad Medelci qui s’est voulu rassurant, vendredi, en disant que son pays était « prêt à aider le gouvernement malien jusqu’à ce qu’il puisse arriver à sécuriser son territoire et l’unité du Mali ». Il est vrai qu’Alger sait l’impatience de Paris à en découdre avec les salafistes et qui a entrepris un intense lobbying pro intervention militaire aux Nations-Unies. Au point que le président français, optimiste, n’entrevoie aucun obstacle au vote des deux résolutions françaises sur la crise malienne. Celle qui endosse l’action armée au Nord malien et celle qui prévoit également la négociation. Notamment avec le Mnla, pour lequel existe un penchant occidental visible ? Sans doute.
Mais Alger veut y associer les salafistes touareg d’Ansardine, avec à leur tête Iyad Ag Ali dont le père spirituel l’influent Tena Ould Ahmed vient de séjourner à Alger en présence de Amada Ag Bibi et de sécuritaires maliens. Or, sur ce plan, les avis divergent. « Pas de négociation possible avec les terroristes » laisse entendre de plus en plus le président français. Entre autres… D’où le marquage serré d’Alger. Le ministre nigérien de la Défense, Mahamadou Karidiou, était reçu par le président Bouteflika la semaine dernière.
A Bamako, la délégation algérienne aura la partie dure, si l’on se souvient des propos récents de Cheick Modibo Diarra, le Premier ministre malien : « l’Algérie cherche à protéger ses hommes, quitte à sacrifier la population malienne. Elle ne doit pas se sentir obligée de s’impliquer dans une opération militaire, le Mali ne lui demande rien.» D’ailleurs, ce weekend, un communiqué au vitriol de l’Apds, la coalition politique formée autour de l’ancien Premier Souman Sacko appelait l’Algérie et les Usa » à s’impliquer dans le règlement militaire de la crise malienne dont ces deux pays, sont à ses dires, largement responsables.
Adam Thiam
Le Républicain Mali 08/10/2012