Les combats font rage entre le Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA) et l’Etat malien. C’est une guerre ancienne et nouvelle en même temps. La nouveauté, qui en fait aussi la singularité, c’est la main invisible du pouvoir d’Ould Abdel Aziz qui a décidé d’appuyer secrètement, mais de façon déterminée l’effort de guerre du MNLA. Les armes libyennes à l’origine de la rébellion… L’apparition du MNLA, il y a de cela presqu’un an, était considérée comme étant un épiphénomène cybernétique circonscrit à la publication épisodique de communiqués par son secrétaire général Bilal Agh Cherif.
C’est, du moins, ainsi que le gouvernement malien le considérait jusqu’à l’éclatement de la révolution libyenne, la chute du Guide Mouammar Kadhafi et l’éparpillement des jeunes touaregs consécutivement à la débandade des Brigades du Guide éclairé. Nombre de ces jeunes étaient nés en Libye et d’autres y sont entrés en qualité de « mercenaires » lors des dernières semaines du régime de Kadhafi. Il convient, à ce propos, de souligner l’intensité de l’engagement de la jeunesse touarègue aux côtés du régime libyen. Mais les frappes de l’OTAN et la détermination des révolutionnaires du Conseil Transitoire ont fini par avoir raison des renforts venus d’Azawad. Fuyant avec armes et bagages, les combattants touaregs rejoignirent le MNLA en y injectant du sang neuf et en lui permettant de se lancer dans la confrontation avec le gouvernement malien.
L’implication des tribus Il est impossible de comprendre les ressorts de cette guerre sans examiner les entrelacs de la mosaïque de tribus et de factions qui constituent la société touarègue. Il est indéniable que la société touarègue est la société tribale par excellence. Parmi les tribus les plus influentes, même si elle n’en est pas la plus nombreuse, on peut citer la tribu d’origine arabe des « Ivoughass ». On retrouve les Ivoughass aux nœuds de toutes les crises survenues entre les habitants du territoire d’Azawad et le pouvoir malien central. En 1963, ce sont, déjà, des fils de cette tribu qui dirigeaient la rébellion. Les plus connus parmi ces dirigeants furent livrés par le gouvernement algérien à son homologue malien. Il s’agissait d’Iyass, Entalle et Ayyoub. Le gouvernement marocain fit de même avec Mohamed Aly Elansari. Les révoltes des années 90 furent aussi dirigées par des ressortissants de la même tribu.
Le plus célèbre parmi eux fut Iyad Ag Ghali. Plus récemment, Ibrahim Ag Bahanga, autre membre des Ivoughass dirigea les hostilités contre le pouvoir malien. Mais cette omniprésence des Ivoughass et l’hégémonie qui en découle n’était pas toujours du goût de toutes les autres tribus d’Azawad. Ces dernières appréciaient moyennement le fait que les accords de sortie de crise signés après chaque rébellion se traduisaient systématiquement par la promotion ou les nominations exclusives de personnalités Ivoughass. Pour le gouvernement malien, les Ivoughass représentaient la tutelle naturelle de l’ensemble des tribus arabes et touarègues, ce qui était très mal vécu par nombre d’entre elles. C’est ainsi que naquit une large alliance, menée par la très prolifique tribu des « Imghade », contre Bahanga quand ce dernier refusait de déposer les armes et de les rendre au gouvernement malien. Pour contrer cette alliance, Bahanga demanda l’aide du gouvernement mauritanien et noua des accords avec les services de renseignements du voisin du Sud qui lui prodigua armes et matériel avec générosité.
L’alliance contre Bahanga est menée, côté Imghade, par le dénommé Mohamed Kamou alors que le Colonel Mohamed Ould Meydou y représentait un groupement de tribus maliennes d’origine arabe. C’est cette alliance qui avait attaqué les partisans de Bahanga les mettant en déroute et les obligeant à se réfugier en Libye où Bahanga séjournera jusqu’à la chute de Kadhafi. Après la chute de Kadhafi, Ibrahim Ag Bahanga reviendra au Mali où il trouvera la mort quelques temps après dans ce qui sera présenté comme étant un accident de voiture. Après le retour des combattants touaregs chargés d’armes et de matériel, une importante controverse s’est installée au sein des tribus d’Azawad. Certains parmi les revenants proposaient de déposer les armes et de les rendre au gouvernement malien en contrepartie d’une amélioration des conditions matérielles des populations du territoire et d’une implication plus importante des élites dans l’administration par la voie des nominations, de distribution d’avantages et de distinctions diverses et variées.
D’autres exigeaient de reprendre le combat. Parmi ceux qui plaidaient pour un compromis avec le gouvernement, on comptait les tribus « Chidenharen », « Imghad », « Kilnetçar » et « Kilessouk ». Seule la faction « Verghal moussa » des Ivoughass à laquelle appartient Bahanga et Mahmoud Ag Hammeh décide de rejoindre la rébellion. Il convient d’ailleurs de préciser que les notables de cette même fraction se sont réunis et ont chargé leur porte parole, le Colonel Hassan Vaghagha, d’annoncer leur reniement de la rébellion. Quant à la tribu Idnan, la guerre y a provoqué une véritable scission. Les Anciens et les notables plaidèrent contre toute confrontation avec le gouvernement malien alors que l’ancien colonel dans l’armée libyenne, Mohamed Ould Nagi, militait pour l’enrôlement dans la rébellion. En fin, la tribu Chiminmass a, elle, décidé de rejoindre le camp des rebelles. La main invisible d’Ould Abdel Aziz derrière la rébellion Pas un Etat de la région n’avait voulu soutenir la rébellion à part le régime d’Ould Abdel Aziz qui décida d’accueillir l’ancien ministre Mahmoud Ag Hammeh.
Ce dernier, se présentant au poste administratif mauritanien de Vassala dans un cortège de quatre véhicules tout-terrain et s’étonnant de voir les autorités s’enquérir de ses intentions, se demandait : n’avez-vous pas été contactés par le Colonel Hanenna ? La délégation de l’ancien ministre Ag Hammeh a été chaleureusement reçue en Mauritanie et a obtenu une rapide audience auprès du président Ould Abdel Aziz. Ag Hammeh utilisa son pays hôte comme base arrière pour « des aller et venues » à l’étranger dans des missions propres au Mouvement National pour la Libération de l’Azawad. C’est aussi à partir de Nouakchott qu’il lancera ses déclarations incendiaires à l’encontre du gouvernement malien. Il obtient, en plus de l’asile politique, d’être logé, lui et sa famille, dans l’un des quartiers les plus huppés de la capitale.
C’est aussi de la même façon qu’Ould Abdel Aziz a accueilli Madame Nina Ag Walet, membre du Conseil territorial de Kidal. De la même façon, il recevra aussi le Colonel Bouna Ag Teybe, de la tribu des Chiminmass, qui commandait l’armée malienne à Kayes lors de l’opération de Hassi Sidi, opération au cours de laquelle il fit, fort opportunément, la connaissance du Colonel Mohamed Ould Hreitani, connaissance qui se transforma en une amitié indéfectible. Cette amitié sera vite mise à profit car quand Ag Teybe décida de rejoindre les rangs de la rébellion, il demandera à Ould Hreitani de lui arranger une audience auprès d’Ould Abdel Aziz qui l’accueilla, lui, ainsi que sa famille. C’est aussi au travers d’Ould Hreitani qu’Ag Teybe obtiendra, du gouvernement mauritanien, une aide matérielle pour le MNLA. Des sources bien informées affirment que la rébellion azawadi est en passe d’ouvrir un bureau d’information à Nouakchott. Ce serait Hebay Mohamed, actuel chargé de communication à Nouakchott, qui en prendrait la tête. Il recevrait, à cette fin, du renfort venu du milieu des militants touaregs vivant à Paris.
Il convient de souligner, à ce propos, que l’activisme du coordinateur du MNLA en Mauritanie, Megdi Ag Aboukhadda, ne connait pas de répit. En plus des tournées effectuées depuis Nouakchott vers l’étranger, il ne cesse de donner audiences sur audiences et de recevoir visites sur visites dans le cadre du soutien que lui accorde le régime d’Aziz. La dernière fois qu’Aziz rencontrait Megdi datait d’il y a quelques semaines. Le président mauritanien présenta le militant azawadi à N’Diaga Dieng, Chef d’Etat Major de la Gendarmerie Nationale qui mit à la disposition du rebelle deux véhicules tout-terrain de la marque LandCruiser, de couleur bleu ciel, munis d’ordre de mission en date du 22 janvier 2012. Ces deux véhicules étaient chargés de matériel militaire. Arrivé secrètement à Tichilcha, Megdi prendra part à une importante réunion tenue par les rebelles le 25 janvier.
D’autres sources, très bien informées, affirment que l’adjoint du chef d’Etat Major de l’Armée, le général Mohamed Ould Znagui, a effectué le samedi 26 janvier une visite secrète dans la région frontalière avec le Mali. Il aurait tenu une réunion avec des dirigeants rebelles dont Ould Nagi et Bilal. La présence d’Ould Znagui près de la frontière avec le Mali pourrait expliquer le déplacement de certains responsables du MNLA qui se trouvaient à « Zekat » au Mali vers la frontière mauritanienne. Tous ces mouvements ont coïncidé avec l’entrée du chef militaire, Mohamed Ould Nagi dans Léré où il est permis de supposer que le matériel militaire mauritanien a été utilisé. AQMI pourrait bien être le premier bénéficiaire de cette guerre malienne D’après des sources proches du régime mauritanien, celui-ci justifie son soutien au MNLA par les engagements que les dirigeants du Mouvement avaient pris à combattre AQMI. Le haut dignitaire de ce mouvement, Mahmoud Ag Hammeh, se faisait fort d’affirmer à la presse mauritanienne que son organisation laminerait et éradiquerait AQMI dès qu’elle disposera de moyens le lui permettant.
Mais d’autres sources rapportent l’existence d’une coordination effective entre les combattants d’AQMI et le MNLA. Des combattants touaregs appartenant à AQMI avaient pris part, aux côtés des rebelles, à la bataille d’Aguel Hock. Il est aussi connu que le dirigeant jihadiste, Abouzeid, avait combattu aux côtés de membres du MNLA en attaquant une unité de l’armée malienne qui avait fini par se rendre à lui. Il est enfin connu que l’un des points faibles du MNLA reste l’absence, parmi ses rangs, d’Iyad Ag Ghali, ancien consul du Mali en Arabie Saoudite et connu pour son extrémisme religieux. Il refuse de prendre part à une guerre qu’il considère avoir des mobiles étrangers à la propagation de la parole d’Allah.
C’est, sans doute à cause de cette relation « cachée » que le gouvernement algérien avait refusé de recueillir, près de sa frontière, sept blessés rebelles d’Azawad qui furent obligés de demander secours aux Nigériens. Des difficultés sur le chemin de la rébellion La Mauritanie pourrait bien être le dindon de la farce et le premier perdant dans cette affaire. La guerre a tari les flux commerciaux qui traversaient la frontière mauritano-malienne. Elle a aussi provoqué une flambée des prix dans les deux Hodh et notamment des prix des carburants. Les éleveurs mauritaniens avaient coutume de transhumer dans les pâturages maliens et risquent, à cause de la guerre, de voir leur cheptel dépérir. A cela, il convient d’ajouter l’afflux de réfugiés Azawadis qui constitue des prémices d’une catastrophe humanitaire et économique annoncée. Il est peu probable que le mouvement de la rébellion armée arrive à réaliser une percée décisive et pérenne sur le terrain. La nouvelle stratégie, adoptée depuis peu, est vouée à l’échec.
En effet, occuper des agglomérations et leur territoire nécessite des moyens humains et matériels autres que ceux que nécessitait la technique de guérilla à laquelle les rebelles étaient habitués et qui causait des dégâts réels et redoutés à l’armée malienne. En plus, cette guerre parait comme étant une guerre fratricide entre factions rivales de Touaregs et d’Arabes. Elle ne dispose plus de la même force mobilisatrice qu’avait la cause du temps où les rebelles combattaient des « Nègres maliens ». La réalité militaire est que cette guerre finira par tourner à l’avantage exclusif d’AQMI.
Savia Mint El Arbi (Association des Haratines de Mauritanie vivant en Europe)