Depuis près d’un an, l’Algérie maintient ses frontières fermées afin de lutter contre la propagation du Covid-19.
Résultat, les binationaux et les ressortissants algériens, très présents en France, ne peuvent plus se rendre dans le pays, sauf exception.
En France, cette situation est mal vécue par une grande partie de la diaspora algérienne, première, deuxième ou troisième générations.
Et les dernières mesures annoncées par Paris début février, durcissant les conditions d’entrée et de sortie du territoire national, ont un peu plus plombé le moral. Frontières fermées d’un côté, motifs impérieux de l’autre : les possibilités de voyager se sont encore réduites. «J’ai réellement besoin d’aller dans le pays et de voir ma famille.
Rien que pour ma santé mentale, c’est primordial», explique Rania, 23 ans. Au cours des derniers mois, la jeune femme a perdu deux oncles en Kabylie, à cause du Covid-19. Une épreuve douloureuse pour cette Franco-algérienne, sa fratrie et ses parents.
Aucun d’entre eux n’a pu se déplacer pour leur dire un dernier au revoir : «Sans ce voyage, il est difficile pour nous de faire notre deuil correctement.» On estime que la communauté algérienne en France dépasse les 2 millions de personnes, immigrés, enfants et petits-enfants d’immigrés, ayant souvent la double nationalité.
«Ma grand-mère a parfois le sentiment qu’on l’abandonne»
Pour tenter de surmonter les décès, l’épreuve de la distance familiale et le manque de la terre natale, beaucoup d’Algériens cultivent la nostalgie.
«On se replonge tous dans nos albums photos familiaux.
Personnellement, ça me met du baume au cœur. C’est un moyen qui me permet de ne jamais oublier les miens», décrit Lydia, 24 ans, résidente en région parisienne. Arrivée en France à l’âge de 6 ans, cette juriste a l’habitude de se rendre dans la province de Béjaïa, au moins une fois par an.
Ses deux grands-mères y vivent, ainsi que la plupart de ses oncles, ses tantes et leurs enfants, ses cousins.
Avec la distance et la situation sanitaire, la communication virtuelle au sein des familles est devenue primordiale.
Lydia utilise les applications Viber et Messenger pour discuter quotidiennement avec ses proches. «Ma grand-mère maternelle de 84 ans ne sait ni lire ni écrire. Afin de lui parler, on doit toujours passer par quelqu’un d’autre.
Mes parents viennent tout juste de lui acheter un smartphone pour pouvoir la contacter à tout moment, raconte-t-elle. On lui a aussi créé un Messenger, mais on ne sait pas bien l’utiliser. Elle a besoin de nous voir et de nous entendre. Elle a même parfois le sentiment qu’on l’abandonne parce qu’on n’est pas auprès d’elle.»
D’autres, comme Mohand, rencontrent des difficultés à contacter leurs proches domiciliés dans des endroits reculés d’Algérie.
«J’ai très peu de nouvelles de ma tante et mes cousins. Ils habitent en Kabylie, entre la mer et la montagne. Le réseau marche une fois sur deux là-bas.
Pour pouvoir les contacter, ils sont obligés de se rendre dans une autre ville», explique cet étudiant en ingénierie de 24 ans, qui a vécu jusqu’à ses 14 ans en Algérie.
Rejoindre l’Algérie par tous les moyens
Depuis quelques mois, les Algériens en France ont la possibilité de se rendre dans le pays pour des motifs impérieux, au compte-gouttes. Le père de Lydia, commerçant, y est allé il y a quelques jours «pour une urgence liée à son activité professionnelle».
Avant d’obtenir l’autorisation de voyager, des mois de négociations administratives avec les autorités locales ont été nécessaires.
«C’est aussi une histoire de réseau. Si tu connais une personne hautement placée dans l’administration, tu auras plus de chances d’avoir le document qui te permettra de te rendre sur le territoire, même sans motif réellement valable», affirme Fouad, 30 ans, arrivé en France d’Algérie à l’âge de 18 ans.
En cas d’échec, certains se résignent à tenter leur chance par la voie terrestre. «Un de mes voisins a essayé de rentrer illégalement en Algérie en passant par la Tunisie. Il a entendu que certaines personnes avaient réussi à y aller par ce moyen, en payant des passeurs. Il a tenté, mais n’a pas réussi à y accéder», raconte Fouad.
«Même si je suis pressée que les frontières soient ouvertes, je pense que c’est un peu égoïste de forcer le passage», juge Rania.
Comme elle, certains Algériens craignent que les entrées et sorties sur le territoire accentuent la propagation du Covid-19.
Le manque de médecins, d’infrastructures et les défaillances structurelles en Algérie en sont les principales raisons. Au total, plus de 100 000 contaminations, dont près de 3 000 décès ont été comptabilisés dans le pays, selon le ministère de la Santé.
Kadiatou Sakho
Source: Liberation