Corruption et délinquance financière : Ces gros dossiers classés ou oubliés ?

Le département de la justice a récemment communiqué à la Primature, à la demande du PM, l’état des dénonciations du Bureau du vérificateur général (rapports 2012, 2013 et 2014) aux Pôles économiques et financiers. Le chef du gouvernement voulait précisément savoir si des actions avaient été engagées à l’encontre des auteurs de fraude supérieure à 100 millions de FCFA. Incapable de se prononcer sur cet aspect, puisqu’il relève de la compétence du département en charge du travail, le garde des sceaux a tout de même donné la liste de structures concernées (une trentaine). Aujourd’hui encore, il semble qu’aucune sanction n’est tombée ! Pourquoi ? La question mérite réponse de la part d’un régime qui est abonné aux scandales financiers. Moralité ? La lutte contre la corruption est un slogan creux sous la gouvernance actuelle.

Nous avons mis la main sur la correspondance n°0728/MJ-SG du ministère de la justice. Elle est la réponse à la lettre confidentielle n°0368/PM-CAB du Premier ministre Abdoulaye Maïga, « relative au suivi des procédures administratives à l’encontre des auteurs de fraude supérieure à 100 millions FCFA issus des rapports 2012, 2013 et 2014 du Bureau du vérificateur général ».

Erreur de casting ou confusion entre les compétences des départements de son organisation ? En tout, il semble la lettre du PM n’est pas allée à la bonne adresse. Le ministre de la justice a gentiment recadré le PM en ces termes : « J’ai l’honneur de rendre compte qu’aucune structure du ministère de la justice n’est impliquée, de sorte à poursuivre au plan disciplinaire. D’ailleurs, les poursuites disciplinaires sont du ressort du ministère du travail, de la fonction publique, chargé des relations avec les institutions auquel nous avons adressé une correspondance lui demandant de nous communiquer les informations utiles à ce sujet. Notre ministère n’est intervenu que pour des mises en cause sur le plan judiciaire ».

Le garde des sceaux a cependant fourni une liste exhaustive des services dénoncés aux Pôles économiques et financiers. Au titre du rapport 2012, arrive en tête le Centre impôt de la commune I. Des irrégularités ont été découvertes dans la déclaration de recettes d’Adit utilisées pour le paiement des vignettes, droit de timbres et d’enregistrement pour un montant de plus de 114 millions FCFA. 5 370 000 FCFA ont été détournés à travers l’utilisation frauduleuse de la déclaration de recette n°22372. Plus de 158 millions FCFA ont aussi manqué au compte, au titre de la déclaration de recettes pour le paiement de divers impôts et taxes.

Le Pari mutuel du Mali doit justifier des sorties d’argent en espèce et des dépenses. Sans justification, il a été décaissé en 2012 plus de 47 millions de FCFA. Aucune pièce n’a aussi été fournie aux vérificateurs pour justifier 62,810 millions, décaissés sans la qualification de paiement d’impôts et taxes. Si 57,660 millions ont été dépensés sans justification, plus de 916 millions sont sortis de la caisse sur la base de pièces justificatives falsifiées. Comme si tout cela ne suffisait pas, les vérificateurs ont découvert des sorties d’argent au titre des gains parieurs pour un montant de plus 182 millions FCFA ; le non reversement des recettes collectées de 2740000 FCFA. Ce n’est pas tout. Le rapport mentionne 295 millions et 7200 litres de carburants indûment par l’agent de la direction générale de la sécurité d’Etat ; des dépenses effectuées au nom de l’Etat (sans justification ni autorisation) de près de 2 milliards de FCFA. En tout, le PMU est concerné par dix affaires, contre deux pour l’AUREP où il a été décelé des dépenses indues et non justifiées sur les véhicules reformés d’un montant de 7,220 millions FCFA et l’achat fictifs de plus 66 millions sur la régie.

Au niveau de la structure en charge des reformes des biens et mobiliers de l’Etat, il y a une malversation de recettes encaissées au titre des ventes aux enchères de près de 3 millions CFA.

La chambre de commerce et d’industrie du Mali est également dans l’œil du cyclone. Trois affaires concernent cette Chambre : Dépenses non supportées par les pièces justificatives de 2,510 millions ; retenue de TVA non reversées de 17 millions et le fractionnement de marchés. Des sommes faramineuses sont également portées disparues à la direction nationale du commerce et de la concurrence. Des achats sans bordereau de livraison ont été effectués pour un montant de 45 millions FCFA, en plus de recettes de frais d’imprimés (illégalement perçues) de près de 82 millions par cette structure (DNCC).

Cinq DFM de départements ministériels doivent aussi rendre des comptes. Quant à celle de l’Industrie et l’investissement et du commerce, elle a fait des dépenses irrégulières justifiées de 6 millions et financer des avances irrégulièrement justifiées au titre de mission de plus de 4 millions. La liste n’est pas exhaustive. La DFM du ministère de la fonction publique doit prouvé que 573230000 FCFA n’ont pas été détournés, comme le prétend le Bvg dans sont rapport de 2012. Autant celle du ministère des mines doit justifier les avances de frais de mission (plus de 81 millions), le non versement de produits de vente de DAO à hauteur de un million et la livraison non conforme d’un camion-grue.

Des manquements aux procédures normales sont reprochés aux gestionnaires du Fonds mondial. Au nombre des faits dénoncés aux Pôles économiques et financiers, il y a l’utilisation de fausses factures de 100 millions par Arcad Sida et 16 sous bénéficiaires ; l’utilisation de fausses de plus de 35 millions par Groupe pivot santé et 13 sous bénéficiaires ; l’utilisation non justifiée de 793 millions par le laboratoire national de la santé pour deux formations en France.

CNAOM est concerné par 17 affaires. Les plus rocambolesques sont la non justification de ressources propres utilisées de 1,360 million ; acquisition de tickets de carburants de 85 millions et achats fictifs de carburants à hauteur de 10 millions de nos francs ; achat de pièces de rechanges à 37 millions et l’acquisition d’équipements médicaux non livrés (18,650 millions) et de mobiliers de bureau non livrés à 16 millions.

En résumé ce chaos financier est dû à des pratiques illégales qui ont pour noms la non-application à dessein des textes législatifs et réglementaires, la mauvaise gestion des dépenses effectuées au niveau des régies, la non-éligibilité de dépenses, la réception de biens non conformes aux commandes, l’octroi d’avantages injustifiés, la fabrication et l’usage de faux documents pour justifier des dépenses fictives et enfin de la réalité et de l’effectivité de certaines missions administratives.

L’impasse

À la date d’aujourd’hui, aucune sanction ne serait-ce disciplinaire n’a été engagée contre les auteurs de ces fraude. Alors que le régime leur avait promis l’enfer. Pour mémoire, les Maliens gardent encore dans un coin de l’esprit un passage tonitruant du discours d’IBK à l’occasion du nouvel An 2014 : «…au risque d’en faire une rengaine, j’insiste sur la gestion rigoureuse de nos deniers, ceux que l’Etat génère auprès du contribuable malien bien sûr, mais aussi l’aide que la communauté internationale met à notre disposition grâce aux sacrifices de ses propres contribuables. La gestion rigoureuse de nos ressources passe par le contrôle de la corruption sur deux fronts : la lutte contre l’impunité et les réformes systémiques….Oui, je dis et redis que l’argent des Maliens est sacré et qu’il faut désormais l’utiliser à bon escient…. »

Ce beau discours avait donné tant d’espoir aux 77% de nos concitoyens qui avaient plébiscité le président Ibrahim Boubacar Kéïta, supposé être en son temps comme le sauveur ou encore l’homme de la situation. Mais, les Maliens ne sont pas encore au bout de leur peine.

Ces faits dénoncés sont en passe de se perdre dans les méandres de l’administration. Seront-ils traités un jour ? Nous en doutons. Parce que le président de la République a pratiquement oublié tous ses engagements pris pendant la campagne électorale, notamment dans le domaine de la lutte contre la corruption et la délinquance financière. La preuve : les Maliens attendent toujours les poursuites contre les ministres, cadres et autres agents accusés et/ou soupçonnés de fraude et de détournements dans les scandales de l’avion présidentiel et du contrat d’armement.

IBD