Le Hcua joue-t-il sa propre partition en voulant faire plaisir à l’Algérie, pays dont la plupart des membres sont originaires ? La Cma est-elle en train d’éclater ? Le Hcua, le Maa et le Mnla sont-ils en train de se disputer la région de Kidal ? Les Ifoghas cherchent-ils à s’arroger l’exclusivité du contrôle de Kidal en renvoyant les autres membres du Mnla chez eux, dans les cercles de Gao, Bourem, Ménaka, Ansongo et même à Tombouctou ?
Quels sont les conseils extérieurs que reçoit aujourd’hui chacun de ces groupes pour accepter ou refuser de signer cet accord, alors qu’ils sont assis côte à côte à la table des négociations depuis juillet 2014 ? Il faut peut-être chercher à repérer qui n’a pas intérêt à ce que l’Algérie triomphe en réussissant cette paix au Mali. Est-ce le Maroc qui ne pardonne pas à l’Algérie de soutenir le Front Polisario au Sahara occidental ? Le Maroc, qui héberge certains leaders du Mnla s’invite-t-il discrètement à la table malienne pour déstabiliser l’Algérie et régner ainsi sur le Sahel ?
Outre les rivalités géostratégiques entre ces deux pays du Maghreb, on ne peut passer sous silence les relations occultes entre les narco-jihadistes et les groupes de la Cma, car cela peut aussi expliquer la valse hésitation autour de la signature de cet accord. Il est probable que les groupes de la Coordination subissent des pressions variées de leur part. Les Mujao, Al-Mourabitoune, Aqmi et Ansardine, qu’on distingue parce qu’ils ont des leaders et des noms différents, n’ont-ils pas tous en effet un seul et même objectif : protéger leurs trafics auxquels les groupes armés sont mêlés d’une façon ou d’une autre ? N’ont-ils pas tous intérêt à œuvrer pour la réhabilitation d’Iyad Ag Ghali par exemple ?
Une chose est certaine, la signature de l’accord de paix dérange les ennemis de la paix, les grands trafiquants de drogue et leurs complices, ceux qui sont leurs intermédiaires et ceux qui s’affichent comme de grands islamistes. En fait, l’embryon de paix que l’accord pourrait faire naître dérange toutes les composantes de la déstabilisation du septentrion et du Mali en général. Ce qui est très différent entre le texte de cet accord et celui du Pacte national, c’est qu’il n’y est prévu ni intégration directe, ni amnistie. Donc, ceux qui sont responsables de ce qui a eu lieu au Nord craignent de ne rien gagner en signant et surtout, à terme, d’être traduits en justice. En refusant de signer, ils expriment clairement leur refus de la paix et font une véritable déclaration de guerre.
Dans le septentrion, entre le 23 mars et le 6 avril 2015, il y a eu 10 attaques qualifiées de terroristes. Il semble que plus l’étau se ressert, plus ces groupes caméléons choisissent de perturber la vie quotidienne. Ils rappellent ainsi que la sécurité dépend d’eux et pas de l’accord. Ceux qui ont vécu l’occupation savent que les jihadistes ne braquent pas et ne tuent pas les civils après les avoir fait descendre des véhicules. Ils peuvent lancer des obus et des roquettes et égorger ceux qui les trahissent en informant les forces armées en présence de leurs positions ou, comme ils l’ont fait quand ils contrôlaient les 3 régions, arrêter et juger ceux qu’ils estimaient avoir violé les principes de la religion, mais, contrairement aux groupes armés, ils n’attaquent pas les gens en brousse juste pour les détrousser. Ceux qui ont subi leurs méthodes en 2012 savent faire la différence. Dans le Gourma, vers Mopti, c’est encore autre chose. Des maisons ont été brûlées, exactement comme le fait Boko Haram ailleurs. L’inquiétude enflera si cela se reproduit.
Malgré tout ça, les populations septentrionales vaquent à leurs occupations en essayant d’oublier un peu. Elles se sont habituées à ce climat d’insécurité. Elles «font avec». Elles savent que l’insécurité ne sera pas vaincue demain. Elles ont l’expérience des accords précédents. Elles savent qu’à court terme, l’insécurité va même s’aggraver. Il y aura des règlements de comptes, comme toujours. Elles savent qu’à plus long terme, cela s’atténuera. Mais, elles sont convaincues que le terrorisme et tous ses trafics perdureront si l’Etat ne se réinstalle pas partout, jusque dans le plus petit village. Ce qu’elles craignent par dessus tout, en effet, c’est de voir les communautés s’armer pour se protéger, car l’ethnicisation mène toujours les pays vers la guerre civile. Et ce chaos-là, à priori, personne n’en veut au Mali. Il faut que ce qui est arrivé au Soudan fasse raison garder à tous, fussent-ils les plus radicaux !
Françoise WASSERVOGEL
Source: Le Reporter