Dans la soirée du 1er mai, donc, deux députés ont été arrêtés par la police à leur domicile et emprisonnés : Saleh Makki, Président du parti PUR, membre de la Coordination de l’opposition CPDC, et Mahamat Kadre, membre du MPS, parti au pouvoir. Ces arrestations ont été opérées en toute illégalité, puisque l’arrestation d’un député est soumise à des conditions prévues par la Constitution. Le Gouvernement a écrit le 6 mai 2013 au Président de l’Assemblée Nationale, juste pour l’informer de l’arrestation des députés en «flagrant délit » dans le cadre d’une affaire de « déstabilisation de la République par un groupuscule d’individus. ». Où est donc le flagrant délit invoqué, les députés ayant été enlevés par la police, nuitamment, à leur domicile?
Le ministre de la Justice a adressé une seconde lettre le 7 mai à l’Assemblée Nationale pour lui demander l’autorisation d’auditionner quatre députés dans le cadre de la même affaire. Il s’agit de : Saleh Kebzabo, Président du Groupe parlementaire et Président de l’UNDR, Porte-parole-adjoint de la CPDC et Chef de File de l’opposition, député au Parlement Panafricain depuis 2007, qui a quitté N’Djaména pour une session dudit parlement du 6 au 17 mai à Johannesburg; Gali Ngothé Gatta, secrétaire général de l’UFD/PR, membre de la CPDC ; Yorongar Ngarléjy, chef du parti FAR, et Routouang Yoma Golom, député du MPS.
Tout en marquant son accord, le Président de l’Assemblée a fait remarquer que dans le même temps où il recevait cette lettre, les députés ont soit reçu des visites de la police à leur domicile, soit reçu des convocations. Il a insisté sur le respect de la procédure qui impose une levée de l’immunité parlementaire en cas de délit avéré, avant toute mise aux arrêts.
Or, après leur audition, deux députés ont été mis en état d’arrestation ( Gali et Routouang), tandis que Yorongar, bénéficiant du statut de témoin (sic), a été libéré. Au total, 4 députés sont illégalement détenus, en attendant le cinquième, Saleh Kebzabo, dès qu’il va rentrer.
Sur le fond de l’affaire, aucun des protagonistes ou présumé comploteur ne reconnait avoir de relation de quelque nature et à quelque niveau que ce soit avec Moussa Tao Mahamat qui l’a aussi confirmé devant le Procureur. Il aurait même dit que c’est sous pression et brutalités qu’il a écrit la liste qui lui a été suggérée…
S’adressant aux partis politiques le 8 mai, le Président Déby a récusé la qualification de coup d’Etat ou de putch, car dans cette affaire il n’y a ni arme ni militaire. Pour lui, il s’agit d’une « conspiration » à laquelle ont trempé des hommes politiques, et la justice « doit s’exercer dans toute sa rigueur ». Il s’en est également pris à l’opposition qui vilipende son régime, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, en Europe notamment.
Tels sont les faits, connus, avant tout commentaire. Je voudrais encore réaffirmer que je ne connais nullement, ni de près, ni de loin Moussa Tao Mahamat dont c’est la première fois que j’entends d’ailleurs le nom. Je ne me sens donc pas concerné par cette sordide histoire et je n’ai jamais participé à aucune conspiration depuis 23 ans que je me bats, dans la transparence, contre le régime MPS.
Pour comprendre les en-dessous de cette histoire qui n’est qu’un alibi, il faut sérier les faits dans trois directions :
1- Moussa Tao Mahamat aurait peut être tenu des propos contre le régime, mais il dit l’avoir fait parce que depuis son ralliement, le régime ne fait pas cas de lui et il est tombé dans l’oubli, avec les conséquences sociales que cela peut entrainer. On doit donc comprendre son geste comme celui d’un naufragé qui tente de rappeler le Président à son bon souvenir. Il n’a en tout cas eu aucune passerelle avec aucun homme politique. En tout cas pas avec ceux que l’on tente d’impliquer dans cette affaire actuellement. L’opinion sera d’ailleurs surprise quand elle saura que chacun d’eux a un chef d’accusation différent…
2- Force est de constater que Président Déby a saisi cette opportunité pour régler tous ses comptes, en frappant dans le tas, et en désordre. La cible privilégiée est l’opposition qu’il ne supporte plus ces dernières semaines. Son souci majeur est la préparation des élections qui vont se succéder les trois prochaines années, les locales en 2014, les législatives en 2015 et les présidentielles en 2016. Le gros contentieux reste l’avenir de l’Accord politique de 2007 avec la mise en place d’un nouveau cadre de dialogue qu’il a concocté, imposé et installé en deux réunions, le 11 mars et le 2 avril 2012. L’opposition, et singulièrement la CPDC qui avait entièrement négocié l’Accord de 2007, a boycotté les deux réunions et a gardé la même position à la suite d’une rencontre spécifique avec le Président le 24 avril. Le Président Dèby tient beaucoup à son accord dont il contrôle entièrement les membres, jusqu’à en corriger le projet de règlement intérieur ! C’est un accord vide qui ne résoudra aucun problème et ne sert que de faire-valoir au Président qui en a d’ailleurs exclu les partenaires extérieurs du Tchad dont la présence serait gênante.
Or, la CPDC le suspecte, non sans raison, de mettre en place les ingrédients de fraude des prochaines élections, surtout qu’il se proclame enfin partisan du recensement électoral biométrique qu’il avait récusé en 2010. Cette option le rend encore plus suspect. Car, faut-il le rappeler, depuis l’année dernière, l’Etat s’est dessaisi et privatisé des domaines aussi régaliens que la confection de la carte nationale d’identité, le passeport, la carte de séjour et le permis de conduire. En attendant d’en faire la démonstration, l’opposition estime que le contrôle de ces domaines par une société privée, qui plus est très proche du Chef de l’Etat, ne peut pas ne pas avoir de lien avec les élections et le recensement en préparation.
Le Président Déby qui exerce un pouvoir personnel de plus en plus implacable ne souffre plus aucune contestation. L’occasion lui est donc offerte, même si elle est grossière, de décapiter l’opposition, y compris son chef de file. De cette façon, elle cessera d’exister et ne pourra pas se présenter aux élections futures, puisque ses leaders auront été condamnés par la justice.
3- Toute cette machination sert à jeter le trouble sur l’intervention au Mali qu’il a concoctée seul et dont les fruits escomptés sont plutôt maigres. En envoyant des troupes à près de cent pour cent originaires de sa région, il a plutôt récolté l’ire de ses parents dès la première déconvenue qui a coûté la vie à 27 soldats. Au plan financier, c’est un désastre, de l’aveu du Premier ministre, de plus de 57 milliards de francs. Sans compter les matériels déplacés dont plus de la moitié est hors de service. Le rôle qu’il voulait jouer n’a pas été atteint et c’est ce qui explique le rapatriement partiel des soldats du Mali. Enfin, last but not least, la virginité politique recherchée via le Mali est loin d’avoir été atteinte, et cette affaire vient rappeler à l’opinion, surtout extérieure, la vraie nature du régime tchadien.
La situation des députés ne doit pas occulter celle de deux généraux et d’autres citoyens dont on parle peu. Il est important de rappeler aussi qu’un jeune écrivain et amateur de blog, Jean Laokolé, croupit illégalement en prison depuis plus de deux mois et que deux journalistes ont été arrêtés : Eric Topona, secrétaire général de l’Union des Journalistes Tchadiens, et Avenir De La Tchiré, directeur de publication du périodique Abba Garde. Il faut enfin ajouter à « l’actif » du gouvernement la prouesse d’avoir réussi à faire expulser du Sénégal vers la Guinée, Makaila Nguebla, l’animateur du Blog de MAKAILA réputé pour ses positions tranchées sur le régime.
En conclusion, je réaffirme ma disposition à rentrer au Tchad dès la fin de la session du PAP, puisque je n’ai rien à me reprocher. Je dois rentrer chez moi, car je n’ai la vocation, ni d’entrer en rébellion, ni de vivre en exil. Le combat que nous menons doit se poursuivre à l’intérieur du Tchad pour que cesse cette dictature rampante aux allures de parti-Etat qu’affectionne le Président Idriss Déby Itno. Cette lutte, l’opposition doit la poursuivre absolument, en ignorant les intimidations, les menaces en tous genres, les mensonges et montages grossiers et le terrorisme d’Etat qui sont les caractéristiques courantes d’un régime intolérant aux abois. L’opposition, plus cohérente et soudée, doit continuer de dénoncer inlassablement : la confiscation du pouvoir par une minorité qui a pris tout un peuple en otage, le pillage à ciel ouvert des ressources du pays, la prédation, la gestion patrimoniale de plus en plus accentuée, la gouvernance calamiteuse dans tous les domaines et le refus obstiné de la démocratie. Seul le peuple aura le dernier mot, car : La vérité finit toujours par triompher !
Saleh Kebzabo, Député,
Pt du Groupe Parlementaire UNDR
Chef de File de l’Opposition, Pte Parole Adjt CPDC
Député au PAP
Le Républicain Mali 2013-05-20 17:15:42