Ceux qui sont aujourd’hui confrontés à cette convoitise sont des habitants de Baco-Djicoroni installés depuis des temps très éloignés et qui y pratiquaient l’agriculture et l’élevage. Puis arrivèrent les lotissements de la zone qui ont vu la naissance des quartiers de Baco-Djicoroni. C’était une vaste étendue de lit mineur du fleuve, pour s’y rendre, il fallait prendre une pirogue à partir d’un lieu qu’on appelait ’’Nèrèkoro’’.
Parmi les victimes de cette spoliation foncière figurent les descendants du vieux Gaoussou Sangaré et d’autres qui furent parmi les premiers à s’installer dans cette zone. Avec lui se sont installées d’autres familles (Sidibé, Doumbia, Kouyaté, Diakité, Diawara). Qui pouvait imaginer que leurs enfants et leurs petits enfants allaient souffrir d’expropriation sans un juste et préalable dédommagement ? Environ 20 familles sont confrontées aujourd’hui à cette convoitise des nouveaux riches qui veulent les exproprier sans ménagement. L’affaire est devant le tribunal judiciaire de la Commune V et devant le tribunal administratif de Bamako.
Pourtant le vieux Sangaré avait cherché un titre définitif
C’est en novembre 1993, à sa demande, que les autorités du district ont dû octroyer au vieux Gaoussou Sangaré l’usufruit sur cette parcelle qu’il a occupée le premier et qu’il a toujours exploitée de son vivant. C’est une lettre du Gouverneur du district, le Colonel Karamoko Niaré en date du 12 juillet 1994 qui lui accorde ce droit: « Par la lettre … vous avez sollicité l’usufruit pour une parcelle d’environ 1 ha, sise à Baco-Djicoroni et exploitée de longue date par votre famille comme ‘’concession rurale’’. De nos vérifications, il ressort que le domaine concerné est retenu comme zone boisée à préserver, conformément aux prévisions du schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de Bamako et environs. Par conséquent au regard des importants investissements effectués et la présence d’une couverture végétale dense en conformité avec la vocation ci-dessus, je vous accorde l’usufruit sollicité sous réserve de préserver et d’entretenir le couvert végétal … ».
A ce jour, sur cet espace, on remarque la présence de nombreux manguiers et quelques bâtiments construits en dur, qui abritaient du temps du vieux Sangaré, une tannerie, mais qui est le lieu aujourd’hui d’un important parc entretenu par un de ses fils. L’endroit qui est en réalité un jardin avec ses manguiers donne une belle vue sur le fleuve et sur le quartier de Djicoroni-Para.
Des années après l’obtention de l’usufruit (est-ce par pressentiment, par vision ou simple présage ?), le vieux Sangaré a demandé un titre définitif sur sa parcelle ? Il n’aura pas gain de cause car on lui fera croire que ce terrain est juste bon pour un espace vert. Alors il s’est résigné laissant à ses fils le soin de continuer l’entretien de cet espace, en y pratiquant, comme lui, l’élevage des races améliorées. Aujourd’hui, le patriarche Gaoussou Sangaré n’est plus de ce monde. Mais quelle ne fut la surprise de la famille Sangaré de voir des topographes et leurs outils dans la mangueraie dans le but final de la morceler au profit de la société malienne de la promotion immobilière (Somapim), détentrice d’un titre foncier.
Alors que le même titre avait été refusé au premier occupant de ce terrain au motif qu’il sert d’espace vert. Après vérification, ce titre a été octroyé par le bureau des domaines et du Cadastre du district de Bamako, en date du 06-05-2003. Selon la famille Sangaré, « c’est un investissement de plus de 50 millions qui ont été faits par la famille sur ce terrain. Ils ont créé le titre foncier sans une enquête commodo/incommodo, sans rien demander aux occupants, alors qu’un gardien y est toujours présent».
Trafic d’influence et intimidation policière
Alors toutes les familles concernées se sont dressées contre les travaux en question, elles sont venues en renfort à la famille Sangaré. « Mais les jours suivants, les topographes de la Somapim se sont présentés avec le député Mamadou Awa Gassama Diaby qui nous a dit que c’est ATT qui a donné ce titre. Ce jour ils ont commencé les travaux. Mais lorsque le député est parti nous nous sommes opposés. Le lendemain quand Diaby Gassama est arrivé sur les lieux nous lui avons dit que nous ne voulons plus le revoir sur notre terrain et ce fut une mise en garde ferme », nous a expliqué un jeune de Torokorobougou. Comment peut-on donner le titre à quelqu’un d’autre, alors qu’on l’avait refusé à son propriétaire? s’interrogent-ils. Une requête en annulation du titre foncier de Somapim a été déposée au tribunal administratif de Bamako.
Mais hier jeudi 28 avril, le député Mamadou Awa Gassama Diaby trainait devant le tribunal de la Commune V cinq personnes que la police du 15ème arrondissement a fait asseoir dans ses locaux de 8 h à 16 h. Il s’agit de Yacouba Sidibé, Ali Doumbia, Karim Kouyaté, Seydou Kouyaté, Issa Diakité et M Diawara. Tous des chefs de famille auxquels le député Mamadou Awa Diaby Gassama, avec la complicité de la police, a fait arbitrairement passer une journée sans pouvoir vaquer à leurs occupations quotidiennes. Au nom de quoi ? Contacté hier soir, Mamadou Awa Gassama Diaby nous a affirmé qu’il ne souhaiterait pas parler de cette affaire. S’est-il rendu sur les lieux avec les agents de la Somapim et a t-il usé du nom d’ATT ? Diaby Gassama nous a répondu : « cette affaire ne me concerne pas, je ne suis pas au courant de ça ». Le député a nié en bloc tout ce qui lui est reproché en laissant le soin à Somapim de donner les explications nécessaires. Mais selon nos sources, il était bel et bien au Commissariat dans le but d’intimider les habitants à des fins de spoliation. Nous y reviendrons.
B. Daou
Le Républicain 29/04/2011