Le vif intérêt des uns et des autres s’expliquait sans doute par le fait que le Végal est sur le départ, son unique mandat prenant fin le 31 mars prochain.
C’est avec une sérénité toute olympienne que le flegmatique expert comptable, patron du Bureau du Vérificateur général depuis le 1er avril 2004, a échangé avec le public durant plus de deux heures d’horloge. Sidi Sosso Diarra, malgré les écueils qui ont régulièrement jalonné son chemin et les attaques perfides dont il a souvent été la cible, surtout ces dernières années, n’a pas perdu le sens de l’humour et de la répartie bien à propos, réussissant même à tourner en dérision les inepties des mousquetaires lancés à son assaut. D’où les incessants applaudissements, qui ont parfois été des ovations nourries, qui ont plus d’une fois accueilli ses réponses aux nombreuses questions posées. On peut donc dire que les échanges ont été de tout intérêt pour le public. Objectif atteint par le Végal puisqu’il s’agissait, en fin de son mandat, « d’échanger avec la presse, et de communiquer avec les citoyens sur les changements nécessaires dans la gestion des ressources publiques. »
D’entrée de jeu, M. Diarra a tenu à saluer le chef de l’Etat « pour le courage et la vision qu’il a eus en initiant le Bureau du Vérificateur général et en lui mettant à disposition des moyens adéquats. » Comme pour dire que le BVG a toujours son importance dans notre pays et mérite même d’être renforcé. Car l’institution, à ses yeux, a certes atteint des résultats appréciables, mais les défis à relever demeurent importants. A quelques semaines avant de passer la main au successeur qui sera choisi, M. Diarra a affirmé la conviction forte que la valeur ajoutée du Bureau du Vérificateur général ne s’apprécie pas seulement à l’aune des recouvrements mais également dans la profondeur du changement intervenu dans la gestion publique. En effet, dira-t-il, sur une seule mission au Trésor, les recouvrements intervenus pendant les travaux atteignent le total du budget de fonctionnement du BVG pendant 7 ans écoulés avant d’ajouter que « le Bureau a réalisé 32 missions de suivi des recommandations affichant un taux global de mise en œuvre supérieur à 60%, ce qui marque, d’une part, la volonté de changement des gestionnaires de deniers publics et, d’autre part, la justesse de nos constats. » En considération de ces constats, Sidi Sosso Diarra en arrive à l’appréciation que c’est bien la première fois au Mali, en jetant un regard rétrospectif sur les luttes menées par les gouvernements successifs de notre pays contre la corruption, qu’il est permis à une institution de contrôle de travailler en toute indépendance dans le choix et la conduite de ses missions de vérification, sans immixtion ni dans le déroulement des travaux, ni la communication des résultats. Ce qui en fait, avec une légitime fierté, une institution au caractère inédit et unique tant au Mali que dans la sous- région.
Autonomie de gestion financière
Présentant le BVG, Sidi Sosso Diarra dira qu’il compte actuellement 100 agents permanents, dont 56% constituent le personnel de vérification et 44% le personnel d’appui. Leur recrutement se fait sur la base d’appels à candidature publiés dans la presse nationale et internationale par des cabinets nationaux et internationaux dans l’objectif de susciter les meilleures candidatures aussi bien au Mali qu’à l’étranger. Le Bureau a entamé sa phase de décongestion pour n’être pas cantonné qu’à Bamako et être plus près de certaines entités à vérifier, notamment dans les régions. Ainsi, il a déjà ouvert deux antennes à Kayes et à Mopti, et va bientôt ouvrir, au courant de ce mois de mars, deux autres à Ségou et à Sikasso. De quoi jouer sur le temps et les distances. Le BVG bénéficie de l’autonomie de gestion financière. Les crédits sont mis à sa disposition dans un compte bancaire ouvert à cet effet. Les décaissements sont effectués sur la base de procédures internes propres. Ainsi, de 2004 à 2011, son budget de fonctionnement s’est élevé en moyenne à 2,8 milliards de francs Cfa par an. Depuis 2008, le BVG bénéficie d’un financement d’environ deux milliards de francs Cfa que lui octroie sur trois ans l’Acdi, organisme canadien pour l’aider à renforcer sa gestion interne, ses capacités en méthodologie de vérification, en informatique et à lui apporter un appui matériel et logistique.
En ce qui concerne les activités menées, on apprendra que sur la période de 2004 à 2011, le BVG a effectué 102 vérifications financières dans 79 entités. Rien que ces vérifications, qui sont loin de couvrir la totalité des structures du pays, ont mis en lumière près de 388,09 milliards de francs de manque à gagner pour le Trésor public et les entités vérifiées. Si elles ont concerné tous les secteurs de développement du Cscrp, elles ne rendent pas, a déploré Sidi Sosso Diarra, l’ampleur de la corruption qui atteint dans notre pays des proportions inquiétantes, avec le flot de déperditions financières au détriment d’un pays pauvre comme le nôtre, situation qui ne manque pas d’impacts négatifs sur les services que l’Etat doit à la nation (éducation, santé, etc.).
Au titre des vérifications de performance, entre 2006 et 2010, le Bureau a réalisé 45 missions de vérification. Les domaines « santé, éducation, solidarité et promotion de la femme » ont enregistré 20 missions et les domaines « Développement rural, Sécurité alimentaire et Environnement », 12 missions. Et le Végal de constater qu’à ces niveaux-là, d’une façon générale, dans les structures publiques, les pré- requis nécessaires à la bonne gestion de la performance ne sont pas en place ou sont mal utilisés.
Ineptie gouvernementale
Au cours de son mandat de 7 ans, le Vérificateur général a reçu 247 saisines (en moyenne 35 par an). Il s’est efforcé de donner une suite à toutes les saisines qu’il a reçues, y compris celles, nombreuses, dont l’objet n’entre pas dans son champ de compétence. A cet effet, il a mis en place une Cellule chargée du traitement des saisines. On notera qu’il a effectué 21 missions à la suite d’une saisine.
Pour ce qui est du suivi des recommandations, au vu de leur importance, le Végal a décidé de vérifier leur mise en œuvre 2 à 3 ans après leur formulation. A cette fin, le bureau a élaboré un Manuel et un Guide de suivi des recommandations. A terme, a relevé M. Diarra, le suivi des recommandations constituera une activité prépondérante du BVG. Il a réalisé à ce jour 32 missions de suivi des recommandations qui ont porté essentiellement sur les secteurs de la santé, de l’éducation, du développement rural et les services d’assiettes et de recouvrement, lesquels ont connu 25 missions qui ont mis à jour des déperditions financières d’environ 75% du manque à gagner total pour notre pays.
La terminologie « manque à gagner » a constitué le plat de résistance de la conférence de presse. On se souvient que le 10 février dernier, des membres du gouvernement avaient fait une sortie médiatique tonitruante contre le Vérificateur général au motif que ce terme est inconnu du lexique international approprié. Imperturbable, Sidi Sosso Diarra a balayé toute leur prétention, non sans démasquer l’ineptie gouvernementale et la panique qu’elle recèle en donnant des preuves que l’on se gardera de suspecter de provenance non avertie. Nous vous proposons les précieuses pages sur ce sujet qui fait désormais rire au Mali.
Abdoulaye Kékoro Sissoko
Le National 07/03/2011