Premier Député du Soudan-Niger à la première assemblée constituante en octobre 1945, fondateur du premier parti politique en octobre 1946 à savoir le Parti Progressiste Soudanais devenu en 1991 Parti pour la Solidarité et le Progrès, Fily Dabo Sissoko fut victime de ses ambitions nobles pour son pays. Son seul tort c’est son combat pour la liberté d’expression, d’opinion et pour le pluralisme politique. En 1962, il sera accusé à tort, arrêté puis assassiné en 1964 dans le désert malien en compagnie de ses compagnons d’infortune.
Tout est parti de la crise économique qui avait touché le pays après seulement deux ans de la création du franc malien.
Ce qui avait affecté durement les marchands ambulants et toute la population flottante vivant de petits travaux dont la situation devenait de plus en plus précaire avec la rareté de produits vivriers. Comme le régime de Modibo Keita était basé sur le communisme où tout était géré par les autorités du pays. Face à cette misère grandissante des populations, dont la principale activité était le commerce, les commerçants et les petits détaillants organisent les 18 et 19 juillet 1962 une marche de protestation et marchent sur le Commissariat central (actuel 1er arrondissement) scandant des slogans hostiles au régime.
Pour ceux qui ne le savent pas à l’époque tous les commerçants et petits détaillants étaient regroupés au sein d’une association dirigée par El Hadj Kassoum Touré dit Maraba Kassoum, membre influent de l’US-RDA et non moins principal bailleur de fonds du parti crée en octobre 1946.Comme il fallait s’attendre les forces de l’ordre tirent à balles réelles provoquant deux morts, plusieurs blessés par balles et l’arrestation de 196 suspects à Bamako dont Maraba Kassoum et d’anciens militants du RDA qui n’étaient plus d’accord avec la politique de leur parti.
A l’intérieur du pays, les arrestations ont eu lieu. A la surprise générale et au grand étonnement des responsables et militants du PSP, leur leader charismatique sera accusé d’avoir poussé les commerçants à la révolte contre le régime. Une belle occasion pour se défaire de cet homme politique gênant à travers ses œuvres littéraires, pour son combat pour la liberté, la justice et la vérité pour les citoyens du pays et surtout pour avoir refusé d’adhérer à l’US-RDA malgré la dissolution injuste du PSP en 1959. Et du coup l’occasion fut idéale en le mêlant d’une affaire qui ne concerne pas Fily Dabo. Aussitôt il fut arrêté et jeté en prison en compagnie de son compagnon d’infortune. Selon un document du Ministère de l’intérieur du 26 juillet 1962, 335 personnes avaient été interpellées ; certaines seront relâchées, d’autres graciées ou acquittées.
Quant à Fily Dabo Sissoko, Hammadoun Dicko, El Hadj Kassoum Touré, ils seront désignés comme responsables des troubles par la commission nationale désignée par l’US –RDA pour faire la lumière sur ces évènements. En contradiction flagrante de l’organisation judiciaire de la République du Mali, un tribunal populaire présidé par le commissaire politique Mamadou Diarrah, comprenant 39 jurés, n’ayant aucune existence légale fut mise en place pour juger les accusés. N’ayant en son sein qu’un seul juriste professionnel et pas d’avocats, le tribunal va siéger pendant quatre jours (du 24 au 27 septembre 1962) dans la salle des anciens combattants, place de la République.
Les accusés au nombre de 94 tenaient difficilement dans la salle. Dans son réquisitoire, le président du tribunal retiendra que Fily et ses compagnons (dont certains ne savaient même pas pourquoi ils sont dans le box des accusés) étaient à la tête d’un complot visant à renverser le gouvernement légal du Mali. A la barre des témoins appelés furent impliqués et considérés comme membres du brain-trust. Ce fut le cas de Mamadou Faganda Traoré, de Lahaou Touré, de Gaoussou Coulibaly etc. Et le verdict fut impitoyable à l’égard de Fily Dabo Sissoko, Hammadoun Dicko et El Hadj Kassoum Touré qui furent condamnés à mort.
Il y eut 15 acquittements au bénéfice du doute ; 21 condamnations à 1 an d’emprisonnement ; 26 condamnations à 5 ans de travaux forcés et 5 ans d’interdiction de séjour ; 6 condamnations à la peine de 15 ans de travaux forcés ; 14 condamnations à la peine de 20 ans de travaux forcés ; 9 condamnations à perpétuité par contumace.
Les condamnations à mort, après une lettre de Fily Dabo Sissoko, Hammadoun Dicko et El Hadj Kassoum Touré, adressée au Président de la République, furent commuées en détention à perpétuité. Mais deux ans après soit le 30 juin 1964, on apprenait ce qui devrait arriver la mort de Fily Dabo Sissoko et de ses principaux compagnons dans le désert malien. Avant cette date, beaucoup de détenus des évènements du 20 juillet, comme on les appelait, étaient décédées des suites de mauvais traitements, de malnutritions. Rappelons que les évènements du 20 juillet 1962 ont marqué une rupture dans l’histoire du Mali.
Ils ont creusé le fossé entre le peuple et le gouvernement en témoigne l’utilisation des armes de guerre contre les manifestants, les arrestations massives qui ont touché presque toutes les familles, vont complètement traumatiser les maliens qui refusent de jurer par le seul nom du prince du jour. La multiplicité des services de renseignement, la délation et les dissensions au sein du parti-Etat ont vite fait d’asseoir un régime policier dans lequel toutes les dérives autorisées avec les milices populaires. Certes il est bon de reconnaitre le mérite du premier président du Mali indépendant, mais il est impérieux aussi de reconnaitre que des hommes dignes et honnêtes à savoir Fily Dabo Sissioko et Hammadoun Dicko ont œuvré pour le pays dans la quête de son indépendance en 1960 et qui ont été sauvagement assassinés à cause de leurs ambitions politiques. Si les autorités actuelles du pays veulent une réconciliation réelle digne de ce nom et cicatriser la plaie noire de l’histoire du pays, Fily Dabo Sissoko et Hammadoun Dicko méritent eux aussi les honneurs et la reconnaissance de la nation malienne pour avoir œuvré au bonheur du Mali. A lire dans notre prochaine parution, la liste nominative des condamnés du tribunal populaire de l’Union Soudanaise RDA.
Sadou Bocoum
Encadré
Qui est Fily Dabo Sissoko ?
Né vers 1900 à Horokoto (cercle de Bafoulabé, premier cercle du Mali), Fily Dabo Sissoko fréquenta l’école des fils de Chefs de Kayes de 1907 à 1911. De 1911 à 1913, il se retrouve à l’école William Ponty de Gorée au Sénégal. En Mai 1914, Fily Dabo fut affecté à l’école régionale d’Ouagadougou comme moniteur où il obtint son certificat d’aptitude à l’enseignement (C.A. E).
C’est sans surprise qu’il devient Instituteur à Dori(actuel Burkina-Faso). Doué et décidé à apporter sa petite pierre angulaire pour son continent et plus précisément son pays, Fily Dabo est affecté à Nara comme Directeur d’école en 1919 après avoir obtenu son Diplôme Supérieur d’Etudes Primaires en 1918. Devenu un modèle et une référence, M. Sissoko fut nommé Chef de canton de Nambia (cercle de Bafoulabé) en 1933. Cet enseignant dont le patriotisme ne souffre aucune contestation, n’avait pas hésité à s’engager dans la politique fort de ces capacités intellectuelles. C’est sans surprise qu’il devient le premier Député du Soudan- Niger à la première assemblée constituante en octobre 1945 où il est réélu en novembre 1946 à la seconde assemblée constituante.
Décidé à porter son pays, Fily Dabo Sissoko crée un parti politique à savoir le Parti Progressiste Soudanais devenu en 1991 Parti Socialiste et le Progrès en Février 1946. C’est sans surprise qu’il est nomme Secrétaire d’Etat au Commerce et à l’Industrie au second ministère de Robert Schumann en septembre 1948. Membre du Grand Conseil de l’A.O.F basé à Dakar lors de son renouvellement en 1948, Fily Dabo est élu Député du Soudan-Français le 17 juin 1951. Ce qui lui ouvre les portes du Conseil Général du Soudan où il devient le président en 1953 et membre de la délégation française à l’ONU. Le 2 janvier 1956, le président du PSP est réélu Député du Soudan-Français et une année plus tard soit en janvier 1957, il est élu vice-président du Mouvement socialiste africain(M.S.A) à Conakry.
Symbole du courage politique et conscient que seule l’union fait la force, Fily Dabo fait appel à tous les africains sincères et convaincus en créant le Parti du Regroupement Africain(P.R.A) à Cotonou. Mais hélas pour l’Afrique à l’image de Patrice Lumumba, Kwamé Krumah et Thomas Sankara, le natif de Horokoto sera victime de son patriotisme et de ses ambitions. Battu aux élections législatives du Soudan-Français le 8 mars 1958. En 1959, l’homme assistera impuissant à la dissolution arbitraire du PSP et du P.R.A (arrêté No 188/D.I du 31 juillet) par le ministre de l’intérieur.
Pour mieux le contrôler et de l’écraser définitivement, il sera nommé conseiller technique au ministère de l’éducation nationale du Mali. Et en juillet 1962, il sera accusé à tort d’être derrière la manifestation des commerçants et arrêté à Bamako en compagnie de Maraba Kassoum. Et les maliens ne le verront à jamais car deux ans après soit en 1964, il sera sauvagement assassiné dans le désert malien en compagnie de ses Co- détenus d’infortune.
Ceux qui ont connu Fily Dabo Sissoko disent que l’homme était en avance sur son temps. On retiendra de Fily Dabo Sissoko ses nombreuses œuvres dont certaines sont d’actualité. On peut citer entre autres ‘’Enquête sur l’enfant Noir de l’A.O.F : l’Enfant Bambara’’ paru dans le Bulletin de l’enseignement A.O.F 1931, No 76 pp 3-24 ; ‘’La politesse et les Civilités des Noirs’’ paru dans le Bulletin de recherche Soudanaise, octobre 1936, pp 178-192 ; ‘’Essai sur le Totémisme Soudanais’’ paru dans la revue d’histoire des religions, 1937, 116, pp 34-53. Aujourd’hui les célèbres citations de cet enseignant modèle restent à présent gravées dans l’histoire. On peut citer entre autres : ‘’Souvenez-vous qu’être instruit et intellectuel font deux. Si vous faites un pas du côté de l’instruction, faites en deux de côté de la vertu, car il existe des agrégés qui sont de parfaits imbéciles’’ ; ’’ Il ne sert à rien de changer le système sans changer le Citoyen’’ ; ‘’Le Progrès ne vaut que s’il est partagé par tous’’ ; ‘’Connais-Toi, Toi-même’’ ; ‘’ La vérité finit toujours par triompher’’.
Procès de Francis Heaulme :