Partout au monde, le journalisme est devenu un métier dangereux. Partout au monde, des forces obscures manœuvrent et ciblent les journalistes sur lesquels elles tirent comme sur des lapins de garenne. Partout au monde, des entraves se multiplient pour contrarier l’exercice de la profession de journaliste. Partout au monde, le métier de journaliste est devenu dangereux car pouvant conduire à une mort certaine.
Collecter l’information, la traiter, la mettre en forme, l’organiser et la diffuser selon les règles de l’art, tel est le travail du journaliste. Mais tel est aussi son arrêt de mort, celui qu’il signe tous les jours en se rendant à son travail pour se rendre utile à la société et vivre décemment du fruit de son labeur.
Les journalistes coupent le sommeil aux forces obscures – pègre, mafia, politiciens véreux, criminels à col blanc, crapules en tous genres – qui veulent faire leurs petites magouilles à huis clos, sans témoins. Ni vu, ni connu. Oubliant que, depuis belle lurette, le monde est devenu un village globalisé dans lequel tout se sait. A l’instant ! Rapporter leurs faits et gestes ; éventer les mécanismes complexes de leur course effrénée au profit ; dénoncer leurs crimes ; informer et éduquer les opinions afin qu’elles comprennent leur environnement, les problématiques du moment, qu’elles fassent les meilleurs choix, prennent les bonnes décisions… deviennent alors un casus belli. L’empêcheur de tourner en rond, le journaliste, devient une cible idéale : un contrat est pris sur sa tête et, à la première occasion, les criminels n’hésitent pas à passer à l’acte. Tuer un journaliste comme on écraserait une vermine. Le réduire au silence comme tombe le rideau sur la dernière scène.
Il faut avoir le courage de ne pas se satisfaire de ces tragédies. Il faut sonner la révolte. Il faut se mobiliser pour sauver une profession noble parce qu’elle est utile, vitale à la démocratie ; parce qu’elle est notre conscience en cela qu’elle nous exhorte à prendre clairement position dans le conflit entre le bien et le mal. C’est ce que font courageusement des journalistes, des associations de journalistes, des défenseurs des droits de l’homme, des ONGs, des organisations internationales dédiées… Et depuis 2013, l’année où le Mali est devenu, à son corps défendant, la tristement célèbre scène de crime de l’exécution froide et barbare de deux confrères de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, les Nations Unies ont fait leur le combat des journalistes en proclamant le 2 novembre « Journée Internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre les journalistes ».
Les statistiques agrégées par RSF (Reporters Sans Frontières) font froid dans le dos. Pour la seule année 2018, le baromètre révèle que 62 journalistes ainsi que 4 de leurs collaborateurs ont été tués ; 168 journalistes croupissent dans des geôles qui sont plutôt des mouroirs ; 150 journalistes citoyens sont, eux-aussi, emprisonnés ; et 19 de leurs collaborateurs partagent leur triste sort. Les performances peu glorieuses des prédateurs sont consultables à l’adresse www.rsf.org
Ces chiffres sont une insulte à notre conscience collective. Ces chiffres sont notre honte. Ces chiffres reflètent au mieux notre manque de volonté de couper les têtes de l’hydre, au pire traduisent notre incapacité à protéger les journalistes et à sanctionner ceux qui leur en veulent à mort.
Et quid quand les bourreaux sont les Etats eux-mêmes ? Pas n’importe quels Etats : des puissances militaires, économiques, financières… Dans un tel cas de figure, le combat se transforme en une pâle réplique de celui du pot de terre contre le pot de fer. Perdu d’avance ! Le pot de fer est dur, puissant et solide ; de plus, il est riche, dispose de tous les leviers pour mettre au pas n’importe quelle corporation. Surtout il ne faut pas fourrer son nez pourri de journaliste dans ses affaires scabreuses. Il vous opposera la raison d’Etat, le secret-défense, l’information confidentielle et que sais-je encore.
L’actualité du moment regorge d’exemples de massacre de journalistes qui émeuvent la terre entière. Suivez mon regard ! Personne ne proteste, ne sanctionne, ne lève le petit doigt. Bien au contraire, les condamnations sont étouffées, exprimées en des formules alambiquées, gênées pour ne pas dire convenues. L’exercice de contorsion donne la nausée et vise à ne pas mécontenter l’autre car on pourrait, soi-même, se prendre les pieds dans le tapis un jour ou l’autre et se retrouver dans la position inconfortable de l’autre. Et comme l’autre est un bon client, un riche client, plein aux as, avec qui ont fait des affaires juteuses, il est préférable de ne pas le mécontenter plus que de nécessaire, de ne pas tirer sur la corde, bref, en pareille circonstance, il ne faut pas faire la fine bouche. Ainsi, sur le malheur des journalistes, on se sauve la mise, on se renvoie l’ascenseur. Business as usual !
Ce petit jeu ne doit pas et ne doit plus prospérer ; il ne peut pas durer ad vitam eternam. Les journalistes ne demandent pas la lune ; ils exigent simplement de pouvoir exercer leur profession dans les conditions minimales garantissant leur sécurité, leur intégrité physique et bien entendu l’accès aux sources d’information. Pour des Etats qui ont inventé la bombe atomique et la bombe à neutrons, ont conquis la Lune et s’apprêtent à aller sur Mars et sur le Soleil – il paraît-, ceci n’est pas la mer à boire. Les journalistes demandent juste à faire leur boulot. Attenter à leur intégrité surtout dans l’exercice de leur fonction est un crime odieux. Le 02 novembre est désormais là pour le rappeler à tout le monde et, pour que jamais, on n’oublie ceux qui sont tombés dans l’exercice de leur métier.
Serge de MERIDIO