Les mardi 10 et mercredi 11 avril derniers, la salle d’audition du Congrès américain avait des allures de ring géant sur lequel s’est déroulé un pugilat d’un genre particulier : Mark Zuckerberg, 33 ans, milliardaire et co-fondateur du géant californien Facebook VS Congrès américain. Pour le fringant et pétillant jeune homme, le combat fut épique, long (au total dix heures) et épuisant. Si Zuckerberg n’a pas été compté et déclaré KO (Knock Out) par l’arbitre central, il prit tant et si bien de coups au foie, au visage, sur les côtes, d’uppercuts et surtout d’enchainements dévastateurs droite-gauche qu’il a été envoyé dans les cordes à de nombreuses reprises. Proprement malmené et battu à plate couture aux points sur le verdict unanime des juges et du « public », Mark Zuckerberg se souviendra encore longtemps de ces dix maudites heures passées au Congrès qui lui ont assené la preuve qu’on peut enfanter le monstre et être victime, de la part de celui-ci, de parricide. Voulez-vous avoir une idée des questions à première vue banales, niaises et sans importance auxquelles a dû répondre le génie de la nouvelle économie ? Morceaux choisis :
Sénateur : « M. Zuckerberg, aimeriez-vous dire à tout le monde dans quel hôtel vous avez dormi hier ? »
Zuckerberg : « Euh, euh, euh… Non ! »
Sénateur : « Si vous avez envoyé des messages à des personnes cette semaine, pourriez-vous partager le nom de ces personnes [avec nous] ? »
Mark Zuckerberg : « Sénateur, non je ne choisirais probablement pas de l’échanger publiquement ici »
Sénateur : « Si Facebook est gratuit, c’est parce que vous vendez les données personnelles des utilisateurs à des compagnies. Allez-vous rendre Facebook payant ? »
Mark Zuckerberg : « … Il y aura toujours une version de Facebook gratuite »
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’audition de Zuckerberg en a rajouté au malaise des utilisateurs du réseau social Facebook, celui-ci n’ayant été convainquant ni sur les mesures de sécurité propres à protéger les données personnelles, ni sur le modèle économique du géant qui laisse entrevoir de coupables zones d’ombre. La fameuse boutade qui circule sur le net « Si c’est gratuit, c’est vous qui êtes le produit » (If it’s free, you’re the product) prend désormais tout son sens depuis le début du scandale Cambridge Analytica, cette entreprise anglaise qui a siphonné les données personnelles de 87 millions d’utilisateurs dans le monde à des fins d’utilisation frauduleuse pour la campagne électorale de Donald Trump en 2016. Selon les révélations qui se suivent à un rythme inquiétant, Cambridge Analytica s’était lui-même alimenté aux sources d’un quiz conçu par un de ses sous-traitants britanniques en 2014. Lequel, lui-aussi de façon frauduleuse, aurait profité d’une application tierce, « This is your digital life », développée en 2013 par le chercheur russe Alexandre Kogan), enseignant en psychologie à l’université de Cambridge. Ce sont manifestement de multiples tiroirs qui s’encastrent harmonieusement, chaque tiroir s’alimentant du contenu de celui d’en bas et chacun feignant, de façon convenue, de ne pas trop s’occuper des affaires des autres. En somme, tout le monde se défausse ! Pour Facebook, l’affaire tombe très mal d’autant plus qu’il est déjà suffisamment empêtré dans le premier volet du scandale : la propagation de la propagande russe sur ses plateformes au profit de la campagne Trump et son apathie face au phénomène des « Fake news ». Mais le vrai problème, disent et écrivent les spécialistes, c’est la menace que constituent les réseaux sociaux dont Facebook pour la démocratie. Ils estiment que les données personnelles des citoyens peuvent être utilisées pour mener des campagnes électorales ciblées. Et de conclure qu’en période électorale, cela peut changer la donne. En clair, au propre comme au figuré, cela peut fausser l’issue d’un scrutin. Citoyen du monde, dis-toi que les données personnelles que tu fournis au moment de t’inscrire sur un réseau social ou toute autre application ne t’appartiennent plus ; elles peuvent être vendues à des tiers et utilisées contre toi à toutes fins. Parmi ces données, tu es certainement loin d’imaginer que figurent les contenus de tes mails, les images que tu échanges avec X ou Y à l’insu de ton mari ou de ta femme, les discussions parfois fleuries et grivoises que tu entretiens via Messenger, Whatsapp, les SMS inoffensifs, coquins, les billets doux… Bref, toutes ces petites choses qui pimentent notre quotidien et que nous croyons mordicus qu’elles sont à l’abri des oreilles et regards indiscrets. Serions-nous à ce point des rois nus ? Difficile à le soutenir même si, depuis des lustres, il est formellement établi que nous-autres ne faisons qu’accompagner la rotation des astres autour du soleil mais sans jamais avoir quelque influence sur cette action. Si de nombreux cabinets d’avocats américains ont déjà déposé des plaintes et recours collectifs au nom de citoyens et d’actionnaires contre Facebook, que pouvons-nous faire en Afrique et particulièrement au Mali pour protéger nos processus électoraux d’ingérences extérieures ? La question vaut son pesant d’or et nous serions bien inspirés de ne pas penser que « l’enfer, c’est pour les autres ».
Serge de MERIDIO