L’infrastructure Internet est-elle au bord du crash par la faute du lockdown? Je n’ose pas me prévaloir indûment de compétences qui ne sont pas miennes pour risquer quelque réponse qui prêterait à sourire si l’heure n’était pas très grave. Cependant, je constate que depuis que le confinement est devenu la principale riposte à la pandémie du nouveau Coronavirus en l’absence d’un hypothétique vaccin, que le télétravail a été fortement recommandé voire imposé par les Etats et organisations internationales en charge de la lutte contre la pandémie, la question de la saturation du réseau internet n’a jamais été autant évoquée. Manifestement, il y aurait un gros risque que l’infrastructure s’effondre comme un château de cartes s’il n’était pas soulagé par des attitudes plus responsables des entreprises qui sont les plus « dataphages » et qui, à elles-seules, accaparent l’essentiel des bandes passantes existantes.
La préoccupation est telle que de nombreux géants du net ont dû consentir des sacrifices sous la forme de réduction drastique de leurs bandes passantes afin de permettre la continuité du service internet. En début de semaine, Netflix, YouTube, Facebook, Amazon et Canal+ ont annoncé qu’ils réduisaient leurs débits pour éviter de bloquer l’internet. Malgré la course aux parts de marché et la concurrence impitoyable que cela engendre, les géants de la nouvelle économie ont pris la sage décision de « … limiter la pression sur l’infrastructure d’Internet alors que le confinement exigé par la pandémie de Covid-19 provoque une augmentation du trafic ».
A la vérité, en ce qui concerne l’Europe, il faut reconnaître que la décision des géants n’a pas été prise de façon spontanée. En effet, il aura bien fallu un lobbying volontariste du français Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur qui « … a demandé aux plateformes de diffusion en continu de coopérer avec les fournisseurs de télécommunications pour adapter le débit de la diffusion vidéo en continu en proposant temporairement la définition standard plutôt que la haute définition, en tenant compte des heures de travail les plus critiques ». Techniquement, les discussions entre Thierry Breton, et Sundar Pichai, le CEO d’Alphabet (maison-mère de Google) ont abouti à un accord au terme duquel l’entreprise basée à San Bruno, en Californie, s’engageait à « … basculer temporairement tout le trafic de l’UE en définition standard par défaut (…) Cela signifie que les vidéos [ YouTube ] seront lues en 480p, sauf si l’internaute choisit manuellement une qualité d’image supérieure ».
De son côté, la firme de Marc Zuckerberg a annoncé dans un communiqué qu’il allait « temporairement brider le débit des vidéos sur Facebook et Instagram en Europe pour éviter une congestion de l’internet, sollicité en pleine épidémie de coronavirus ». Le communiqué poursuit : « Pour aider à limiter toute congestion potentielle du réseau, nous allons réduire temporairement les débits binaires pour les vidéos sur Facebook et Instagram en Europe ».
Quid de Netflix ? La plate-forme de vidéo à la demande a pris une décision similaire le 19 mars 2020 en limitant pour 30 jours les débits binaires sur tous ses flux pour les pays de l’UE. « Cette mesure permettra de réduire la bande passante qu’elle consomme de 25%, tout en conservant une qualité d’image correcte pour les clients », annonce-t-elle.
Autre géant à consentir de baisser sa consommation d’internet : Canal+. Dans un communiqué, l’entreprise française annonce : «Face au risque actuel de saturation des réseaux, le groupe Canal+ décide de procéder à des opérations techniques afin de baisser la consommation (…) relative à ses offres (…). Dans ce cadre, afin de maintenir au mieux la bande passante, nous laisserons aux FAI (fournisseurs d’accès à internet) la faculté de suspendre la diffusion de nos chaînes 4K sur les box ».
A terme, ces mesures de précaution éviteront également de devoir sacrifier la neutralité du net, principe auquel la Commission européenne est très attachée. Dans un communiqué, elle a demandé aux opérateurs télécoms de ne pas discriminer certains flux d’information malgré la hausse du trafic.
Déjà en juin dernier, un confrère français constatait que « Plus de la moitié du trafic internet en France est accaparé par quatre fournisseurs de contenus, selon le rapport d’activité 2019 de l’état d’internet en France publié par l’Arcep (l’autorité administrative indépendante chargée de réguler le secteur des communications électroniques). Il s’agit de Netflix, Google, Akamai (un CDN distribuant du contenu pour Apple) et Facebook. Ces quatre fournisseurs représentaient 53% du trafic, tandis que Netflix, tout seul, pesait quelque 23%, soit 9 points de plus par rapport à l’année précédente ».
Depuis quelques années, le boom Netflix est devenu irrésistible et la France qui compte plus de 5 millions d’abonnés à Netflix, représente un gain de 47 millions de dollars chaque mois pour le service de streaming, soit un total de 565,8 millions chaque année. D’après les chiffres officiels, l’Hexagone est le 7e marché le plus important en termes de revenus et du nombre d’abonnés. Les statistiques placent la France juste derrière l’Allemagne (5,1 millions d’abonnés), mais devant l’Espagne (4 millions) et le Japon (3,27 millions). Rapporté à la population, 7,4% des Français ont souscrit à Netflix, contre 6,16% des Allemands, 8,5% des Espagnols et 2,5% des Japonais.
En tous les cas, période de confinement oblige, la résistance des réseaux internet est rudement mise à cran par le nouveau Coronavirus. Et les inquiétudes face à une possible saturation des réseaux fixes et mobiles ne relèvent pas de quelque théorie complotiste. Selon le patron d’Orange, rien qu’en France, « le télétravail a été multiplié par 7, les visioconférences par 2, et le trafic WhatsApp par 5 ». Tout porte à croire que le visionnage de vidéos en streaming, le téléchargement ou encore le jeu en ligne suivent la même courbe ascendante.
Pour autant, faut-il redouter un inévitable « collapse » de l’infrastructure mondiale Internet ? N’allons pas si vite en besogne et faisons confiance aux hommes et femmes formidables qui nous garantissent la continuité du service.
Serge de MERIDIO