On n’est pas tous né avec la dernière pluie, certes mais combien sommes-nous à appréhender l’existence de cet internet parallèle prosaïquement appelé « Darknet »? Pas beaucoup, je parie ! Juste quelques curieux fureteurs qui aiment à passer du temps sur le réseau au gré de leur navigation.
En Français facile, le « darknet est un réseau superposé (ou réseau overlay) qui utilise des protocoles spécifiques intégrant des fonctions d’anonymat. Certains darknets se limitent à l’échange de fichiers, d’autres permettent la construction d’un écosystème anonyme complet (web, blog, mail, irc) comme Freenet. Les darknets sont distincts des autres réseaux pair à pair distribués car le partage y est anonyme (c’est-à-dire que les adresses IP ne sont pas dévoilées publiquement) et que les utilisateurs peuvent donc communiquer sans grande crainte d’immixtion de la part de gouvernements ou d’entreprises. Pour ces raisons, les darknets sont souvent associés à la communication de type dissidence politique et aux activités illégales (ex. : la cybercriminalité) ».
Il faut s’empresser d’ajouter que pour les profanes que nous sommes, la frontière entre « Darknet » et « Dark Web » est très tenue, mais les interchanger ne serait pas correct. Mais pas de panique, il existe un tas de ressources d’accès facile que chacun peut consulter sur simple requête via Google ou tout autre moteur de recherche.
Tout comme le réseau mondial dont vous et moi ne pouvons plus nous passer, la création du Darknet remonte aux années soixante-dix. Mais c’est véritablement en 2002 que le terme s’est imposé dans le domaine public avec la publication d’un article écrit par Peter Biddle, Paul England, Marcus Peinado et Bryan Willman, tous employés de Microsoft : The Darknet and the Future of Content Distribution.
Cet internet plutôt sombre et clandestin qui est l’une des causes de la migraine des polices du monde entier est, par excellence, le repaire des petits malins qui squattent le réseau mondial à des fins criminelles : blanchiment d’argent, pédopornographie, terrorisme, trafics en tous genres, autres formes de cybercriminalité.
Mon propos du moment n’est pas de vous proposer un tutoriel pour aller dans l’envers du décor, mais d’ouvrir votre champ de connaissance sur les prédateurs qui sévissent là, tels ce français de 40 ans arrêté le 7 juillet dernier. Bon chef de famille et citoyen lambda, disent de lui les personnes qui le connaissent, il vivait avec ses trois enfants et sa femme à Frontenac, village reculé de quelque 750 âmes à l’est de Bordeaux entre Garonne et Dordogne, dans une campagne perdue de Gironde. Profil d’autant plus atypique qu’il travaillait aussi dans une collectivité locale, et était au-dessus de tout soupçon.
«Identifié comme l’une des dix cibles prioritaires mondiales» selon la procureure de la République de Bordeaux Frédérique Porterie, cet homme est « soupçonné d’avoir administré des plateformes pédo-pornographiques accessibles à des milliers d’internautes ». C’est assurément un joli coup que viennent de réussir les enquêteurs de l’office central pour la Répression des Violences aux Personnes (OCRVP), de la police judiciaire française, en collaboration avec EUROPOL, en charge de la lutte contre les réseaux pédopornographiques internationaux du darknet. Selon les limiers en charge de la lutte contre la cybercriminalité, la grosse huile qui vient de tomber était dans le radar des services de lutte contre la pédophilie depuis 2014 qui traquaient son adresse IP.
Les chefs d’accusation retenus contre lui sont aussi longs que le cours de la Gironde : «diffusion en bande organisée» et «détention et enregistrement» d’images pédopornographiques, ainsi que «viols incestueux commis sur un mineur par un ascendant», et «agressions sexuelles incestueuses sur un mineur de 15 ans par un ascendant».
Pour lui, y aura-t-il de circonstances atténuantes ? Pas si sûr même si, à l’issue de sa mise en examen le 9 juillet, l’homme dont l’identité et la nationalité n’ont pas encore été dévoilées a reconnu les faits à lui reprochés et s’est engagé à collaborer avec la justice, tout comme il a présenté des excuses plates pour ce qu’il a fait, a déclaré son avocat.
Autodidacte de l’informatique, cantonnier travaillant sur « trois ou quatre communes proches », il se livrait à ses activités parallèles le plus souvent « la nuit », « a priori, sans éveiller les soupçons de sa femme », selon une source proche du dossier. D’ailleurs lors de la perquisition à son domicile, les enquêteurs ont saisi du matériel informatique. Ce qui surprend peu de monde puisque «pour être un administrateur, il faut pouvoir avoir du matériel, comme des serveurs», souligne une source proche du dossier.
L’une des caractéristiques majeures du darknet, c’est la préservation de l’anonymat de ses utilisateurs. Qui parle d’anonymat, parle forcément d’activités en général illégales. Sur cette partie d’internet, on peut acheter de la drogue, des armes à feu, conclure des transactions frauduleuses, louer les services d’un tueur à gages, etc.
Toutefois, disent les spécialistes, ramener le darknet à cette dimension criminelle au premier degré serait réducteur. En effet, des universitaires, des chercheurs, des journalistes, des dissidents… figurent parmi la population qui vit sur ce territoire méconnu de l’internet. Pour ne prendre que le terrain politique, il faut savoir que des militants dissidents qui combattent la dictature de leur pays choisissent le darknet pour communiquer en toute sécurité. Sans l’existence des darknets, ceux-là risqueraient leur vie à chaque fois qu’ils communiqueraient, connaissant l’efficacité redoutable des « Grandes oreilles ». Même des entreprises respectables comme Facebook vivraient dans le darknet où elles planqueraient des ressources importantes.
Ceci répond, en partie, à la question qu’on voudrait tous se poser : tout ce qui se trouve sur le darknet n’est-il pas illégal ? La réponse est naturellement non ! Toutefois, préviennent les spécialistes, s’aventurer dans le darknet suppose l’acquisition d’un minimum de compétences qui peut être à la portée de tout le monde. Quand bien même il n’y aurait pas de contre-indication formelle à vouloir explorer ce nouveau territoire, la prudence est fortement recommandée, le risque n’étant pas nul de mettre son doigt dans l’engrenage.
Serge de MERIDIO