Elle avait décrété injuste et coloniale « la campagne de Tripoli » et ce, dès février dernier quand, couvertes par la résolution 1973 de l’Onu, les superpuissances sonnèrent l’hallali contre le chef de la Jamahariya. Bien entendu, Kadhafi ne s’est jamais déclaré immortel. Ce qu’il a dit ; c’est ceci : « je ne fuirai pas, je ne quitterai pas mon pays et je me battrais jusqu’à la dernière goutte de mon sang ». Chose promise, chose faite. Né à Syrte, Kadhafi est mort à Syrte. La propagande qui veille à ce qu’il ne soit pas un martyr prétend qu’il s’était mis à genoux pour demander pardon aux Libyens. Mais il n’a pas été capturé dans un trou de rat comme Saddam Hussein. Il n’a pas succombé à un duel d’honneur contre Jibril. Il a été pilonné par l’Otan.
La frappe de trop ? Possible, car si le coup a tué un dictateur, il peut bien avoir donné naissance à un martyr. Le dictateur Kadhafi qui, du haut de son pétrole, se moquait de l’occident et de son modèle démocratique n’est plus important. Pas plus que celui qui, mettant son pays sous coupe réglée, sans opposition, sans médias libres et sans contrepouvoir, avait fait exécuter un millier de prisonniers le même jour. Place est faite au martyr Kadhafi qui, pour la rue africaine, était depuis février, l’iconique résistant aux nouveaux comptoirs coloniaux que chercherait l’occident. A cet égard, Kadhafi ne pouvait avoir une plus belle mort. Surtout qu’il s’agit de la première guerre moderne au bilan totalement occulté, pour l’instant.
La délicate opinion occidentale ne s’en remettrait pas sinon. Ensuite, l’unanimisme paraît très troublant de la presse occidentale contre la démocratie de la canonnière voulue en Libye. En contraste avec la manière dont la tragédie jumelle du peuple syrien est gérée par les mêmes maîtres du monde. Pire, la dépouille de Kadhafi ne stabilise automatiquement ni la Libye ni l’espace sahélo-saharien que la résolution 1973 poursuit de ses calamiteux effets. Plus que la mort de son père biologique, c’est le pouvoir Kadhafi qui était le plus significatif. Or, celui-ci s’est écroulé depuis plusieurs mois déjà avec l’insurrection protégée de Benghazi puis la chute de Tripoli. La tête du Guide est donc bonne pour le tableau de chasse. Mais elle ne signifie nullement la capitulation des pro-Kadhafi.
Ceux-ci devront, sans doute, vaincre l’alliance Otan-Cnt pour dérouler la botte secrète. Leur objectif, pourtant, demeure la somalisation de la Libye. Un agenda qui pourrait être celui du fils, Seif El Islam, lequel avait pris la tête de la résistance, du vivant du père. Et puis même si l’Occident arrive à assurer sa mainmise sur le pétrole libyen et à décrocher, pour le confort de ses entreprises, les contrats de reconstruction d’un pays qu’il a lui-même détruit, il reste la variable sahélo-saharienne.
Une façon de parler, car le scénario-cauchemar de nos Etats déstabilisés par l’onde de choc de Benghazi, n’est plus une variable. Il tend vers la constance. Et ce ne sont pas les déclarations faussement apaisantes et circonstancielles qui régleront le problème. Le fait est qu’après Kadhafi, les martyrs ce sont le Niger, le Tchad et le Mali.
Adam Thiam
Le Républicain 21/10/2011