Troisième refus : les malheurs de ce qu’il appelle l’Azawad ne sont pas tous le fait de l’Etat central. Ils résultent aussi des contradictions de classe, de positionnements tribaux et du choc normal des légitimités locales en période de recomposition.
L’égoïsme et la corruption ne sont l’apanage d’aucune ethnie et rien ne vérifie autant cette prémisse que les élites actuelles du Nord dont très peu représentent moralement encore quelque chose aux yeux de leurs communautés.
Quatrième refus : les rébellions de 1963, 1990, 2006 et 2012 n’ont ni les mêmes gènes, ni les mêmes causes, ni les mêmes ampleurs. S’échiner à démontrer qu’à chaque fois ces mouvements répondaient à des défaillances précises de l’Etat, revient à valider ce qui est faux : la thèse de l’irrédentisme touareg inventé par les anthropologues pour faire accroire que les « hommes bleus » ne sont nos contemporains que par hasard.
Chacune de ces rébellions a son histoire propre, sa logique et sa trajectoire, même si la rébellion de 1990, a manifestement cherché à fédérer les griefs de la société nomade. Attayoub travaille donc sur de fausses prémisses. C’est moins grave pour nous et pour lui car il n’est pas armé. En revanche, il arme le mouvement de dissidence qu’anime aujourd’hui le Mnla. L’objectivité commande d’être d’accord avec lui sur une large partie de son analyse du rapport Etats-Touaregs. Car il est vrai que l’Etat central dont les pionniers et les principaux animateurs ont toujours été des fonctionnaires appartenant aux communautés du Sud du pays aura, le plus souvent eu, pour les sociétés pastorales, -dont les Touareg, les Maures et les Peuls dans une moindre mesure- la curiosité de l’entomologue pour un insecte.
Dans une telle posture, il arrive souvent que la différence soit perçue comme une faiblesse et la spécificité comme un crime. Surtout qu’en plus de la différence de culture et de peau, il y a celle du projet. Les nomades comme les sédentaires restés sur les prés ou dans les champs ne pouvaient avoir les mêmes horizons, les mêmes visions que les élites sorties de l’école du colonisateur ou du Mali indépendant.
Entre eux, il y a toute la différence entre territoire et terroir, nation et marché hebdomadaire.
C’est pourquoi d’ailleurs, l’excellent documentaire de l’Ortm, « caméra en ballade » réalisé à l’occasion du 22 septembre 2000, nous montre un vieil arabe dans un bled perdu de la région de Tombouctou pour qui le président du Mali était encore Moussa Traoré, dix ans après la chute de ce dernier. Parce que la construction de l’Etat démocratique comporte des exigences et doit promouvoir des valeurs, l’Etat ne peut en même temps qualifier les nordistes de Maliens et susciter ou ignorer les représailles aveugles, les pogroms, les tortures dont certaines communautés furent les victimes dans les rébellions passées et du fait de l’armée de la République. Non pas parce qu’elles ont été prises en flagrant délit de tir mais à cause du turban et du teint qui sont les leurs.
Autre point d’accord : les besoins des régions nord sont énormes pour la simple raison qu’elles représentent les deux tiers de la superficie du Mali. Dire qu’il n’y a que 10% de la population et que par conséquent il ne faut pas plus de 10% du budget est tout aussi grave que les exécutions sommaires que nous déplorions tantôt. On parle d’infrastructures, c’est-à-dire routes, puits, écoles, centres de santé. Plus la zone est vaste, plus elles coûtent. A cet égard, le Nord n’est pas une région gâtée.
Dire cela ne justifie aucunement que des citoyens prennent les armes contre la République. Surtout une République qui a signé le pacte national, crée la Région de Kidal et prévu d’autres régions pour mieux prendre en compte la spécificité du Nord.
Naturellement, les problèmes subsistent. Et il faut craindre la gestion tribale de la question du Nord. Mais c’est d’un débat contradictoire que la République a besoin pas une incitation à un conflit armé qui ne tuera que des Maliens.
Adam Thiam
Le Républicain Mali 27/01/2012