Et bien entendu, sans un deuil exagéré chez les candidats eux-mêmes dont les plus urbanisés et les plus branchés oublieront leur chagrin d’un soir autour d’un whisky coca ou d’un joint dans des night-clubs qui ne vérifient pas l’âge des clients. Or, elles sont connues, les conséquences de taux d’échecs aussi élevés et répétés pour un pays pauvre comme le nôtre où l’Etat investit le quart de ses ressources dans l’éducation.
Premier cauchemar : la gestion des flux. Parce qu’aucun maître, si excellent soit-il, ne peut manager une classe de cent élèves. Aucun pays, si motivé soit-il, ne peut gagner la rude bataille de la concurrence qu’entraîne la mondialisation, avec des élèves dont la formation de base est si dramatiquement lacunaire. Peu importe que plus tard, ils décrochent un doctorat ou un master, ils iront à la compétition sans être sûrs de pouvoir utiliser correctement l’auxiliaire avoir ou être. Ils y iront avec le handicap d’une seconde langue internationale velléitaire. Ils y iront, escomptant le coup de fil de papa au panel de recrutement, en tout cas pour ceux d’entre eux qui doivent leurs réussites à la poche de leurs parents et à la vénalité d’une administration scolaire dont nous étions fiers, voici seulement quarante ans. C’est vrai qu’il y a quarante ans et plus, seuls les meilleurs scolaires avaient le privilège d’être du syndicalisme étudiant.
Il y a quarante et plus, les ados de nos lycées discutaient Senghor et de son obsession métisse ou Césaire avec sa colère volcanique, Marx et ses postulats péremptoires ou Proudhon avec son impossible générosité. Aujourd’hui, les campus sont autant de champs où s’affrontent, à l’arme blanche ou au revolver des étudiants pour des bureaux plus préoccupés par le loyer des internats que par les intérêts pédagogiques de leurs mandants. Il y a quarante ans, l’administration scolaire connaissait et publiait le nombre de boursiers. Aujourd’hui, le savoir relève du parcours du combattant, y compris pour le groupe d’experts qui a réalisé l’audit technique de l’université, voici un peu plus d’un an.
Enfin, il y a seulement vingt ans, l’Etat dépensait une centaine de millions pour les écoles privées par an. Aujourd’hui, il en est à 23 milliards. Pourquoi? Simple choix stratégique pour le partenariat public-privé ? Révélateur d’une crise systémique plus profonde ? Ou tactique, là où il ne le faut pas, des vases communicants ? En tout cas, il est impossible d’en douter : notre école est malade, de trop de maux. Les symptômes sont multiples et ne peuvent être tous abordés dans un seul article. Mais le mal dont elle souffre s’appelle perversion. Le mal même de notre société. L’Etat se pervertit. La famille se pervertit. L’éthique et la morale se pervertissent. Les sentinelles sont devenues les voleurs, les boucliers des passoires, les garde-fous autant de ravins et toutes les solutions quasiment des problèmes. L’école n’est, alors, que le reflet de notre société. Et nous sommes nombreux à pouvoir être admis, sans examen clinique poussé, en réanimation…morale.
Adam Thiam
Le Républicain 19/08/2011