Tous les griefs ne sont pas répertoriés et analysés mais la révolution avait un cap, c’était l’exigence de pluralisme et celle-ci n’était pas négociable. L’Est déboulonnait ses statues et démolissait ses murs. La Baule faisait l’éloge de la société libérale et Mitterrand, en père fouettard, annonçait que la démocratie allait désormais être l’aune de sa coopération. Ancêtre continental des conférences nationales, le Bénin qui doit bien mesurer aujourd’hui ses tragiques reculs, faisait école presque partout. Plus autoritaire orgueilleux que dictateur sanguinaire, plus chef africain porté sur Babougountji que visionnaire obsédé par Danton, Moussa Traoré finit par tomber du haut de vingt trois ans d’un pouvoir inégal dont il fut d’abord l’otage avant d’en être l’ordonnateur craint et puissant. Exit alors un règne plus terne que brillant. Et entre l’ère démocratique. Multipartisme intégral, pluralité des médias, libertés fondamentales, ces trois aspirations, on le voit bien ont été réalisées à l’arrivée. Notre pays compte des dizaines de milliers d’associations. Les ONG ont proliféré. Plus de cent partis politiques existent, avec autant de radios libres et une vingtaine de journaux.
La liberté d’association et d’expression est une réalité. Mais peut-on ignorer que la quantité ne produit pas toujours la qualité ? Peut-on ignorer que tout le but de l’exercice est d’asseoir un contrôle citoyen de l’action publique pour une saine distribution du bien-être, des opportunités et de la justice ? Non, car à l’évidence, nous constatons ceci : le cosmétique a prévalu au détriment de la profondeur et en atomisant l’énergie et la vigilance des acteurs, la quantité a perverti le projet démocratique. Sur trois fronts principaux. Premier front : le devoir d’information du citoyen. Ceci n’est assuré ni par une presse privée pléthorique, peu indépendante au fond et en vérité sans grandes capacités ni par des médias publics que le vent du changement a miraculeusement contournés, les laissant aux temps surréalistes de la « télé à papa ». Des médias donc à la mesure de notre démocratie et non à la mesure de la démocratie. Tout comme le processus électoral et ceci constitue notre deuxième front. Tout aura été écrit et vécu ou presque sur note système électoral.
C’est sans aucun doute pourquoi la réflexion menée par l’équipe de Daba Diawara a cru devoir se porter au chevet de ce processus qui en démocratie libérale constitue le premier niveau de validation des gouvernants.
Or en vingt ans, nous avons eu le temps d’accumuler bien des tares, entre un fichier électoral d’une surprenante obésité, des problèmes d’organisation plus ou moins majeurs, une administration dispersée de l’élection et enfin des mal-pratiques qui indiquent que le choix que nous avons fait n’est ni plus ni moins celui de la corruption électorale. Le point de départ et la mère de toutes les autres corruptions.
Quand on est élu par la fraude, on trichera infailliblement la nation. Voilà l’équation que la IIIè République – née du sacrifice de centaines de martyrs -morts et blessés- se doit de résoudre pour atteindre au cercle vertueux. Ce qui nous amène au troisième front : celui de l’intégrité publique. La démocratie n’est pas une fin en soi mais le moyen -parmi les plus rapides et les plus expérimentés- d’améliorer la qualité de vie des citoyens. Une presse percutante, c’est bien. De bonnes élections, c’est bien. Mais les peuples ne se nourrissent ni de papier calque ni d’encre indélébile. Avec quatre cent dollars par habitant, notre pays est classé 160è sur 169 par le Pnud en terme de développement humain.
C’est dire que la pauvreté et la précarité dominent malgré des progrès indéniables, car personne n’a fait autant que les dirigeants de la IIIè République, en ce qui concerne les infrastructures scolaires, sanitaires, les infrastructures et le logement. Mais chaque médaille a son revers : ici aussi la quantité voire même la déclaration de quantité semble avoir cédé à la qualité. Il y a plus d’écoles et d’enseignants, mais le niveau de notre enseignement est jugé dramatiquement bas dans un contexte de globalisation. Il y a plus de centres de santé et de médecins, mais les faux diagnostics, les mauvais traitements et l’insouciance du personnel médical peuvent encore impunément tuer. Le Cap-Vert -c’est notre rengaine et nous le savons- a pu doubler son revenu annuel moyen en dix ans alors que la pauvreté chez nous parait s’être plutôt aggravée et étendue.
Pourquoi ? La démographie y est pour quelque chose, et indiscutablement, elle est le plus grand défi pour l’avenir. Mais la gestion saine et intègre des ressources, la promotion de la méritocratie plutôt que de l’allégeance, le refus de s’évaluer sont d’autres causes. C’est connu : la faillite de la morale publique déresponsabilise. Et nous en sommes-là.
Adam Thiam
Le Républicain 18/03/2011