La chaîne qui permet par un boeing 727 de relier l’Amérique latine au désert saharien à défaut d’être longue – l’omerta est fonction du nombre- se doit d’être forte. Mais une chaîne, on a coutume d’entendre et de répéter, n’est jamais plus forte que le plus faible de ses maillons. Aucun inculpé dans une association de malfaiteurs n’est anodin. Une vague d’arrestations conduit à une autre. Car s’il n’y a jamais de crime parfait, il peut y avoir des enquêtes parfaites. Il faut donc souhaiter que l’enquête en cours puisse aider à déconstruire la stratégie de poupée russe qui sous-tend le narcotrafic.
A condition bien sûr qu’il s’agisse de narcotrafic. Personne n’en a la preuve matérielle, il est vrai. Mais des fois le soupçon est plus mortel que la certitude. Et c’est qui est arrivé à notre pays quand en novembre 2009, l’épave découverte du cargo vers Tarkint, mettra le Mali à la une des grands scandales planétaires. Avec en prime, le silence embarrassé et embarrassant du pouvoir sur une affaire qui aurait dû immédiatement susciter un communiqué. On se souvient qu’à l’époque, l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime organisé, rapidement monté au créneau avait averti que l’avion transportait vraisemblablement de la cocaïne. Le téléphone arabe si actif au Nord s’est chargé du reste.
La presse locale et internationale n’aura pas été en reste et les «grins» de Bamako n’en avaient plus que la carlingue au mystérieux contenu. Enfin, les indiscrétions de Wikileaks renforceront la piste du narcotrafic. Pour la première fois, étaient publiquement révélés : l’immatriculation et les caractéristiques du Boeing ; les démarches d’une partie de la communauté internationale pour savoir la vérité ; les cafouillages de nos autorités. Le tout ajoutant à l’embarras autour de l’affaire ou multipliant les doigts accusateurs vers le sommet. Les plus sages d’entre nous essaient de comprendre pourquoi l’enquête accusait de la lenteur.
Les plus pressés redoutent des complicités inavouables. Supplantant la grosse faute de communication de la part de nos autorités, la spirale des rumeurs, les demi-vérités, les non-dits et surtout le don de nos compatriotes pour le raccourci et la médisance ont crée l’information là où le pouvoir aurait dû la produire. Au finish : l’image atteinte du pays et le doute jeté sur des responsables, y compris dans l’entourage même du président de la République. L’opprobre est-elle lavée avec les inculpations et auditions en cours de Ben Hako, Eric Vernay, Mme Issebré et Ould Awaynat ? Non. D’abord parce que le temps a fait ses dégâts et les lenteurs du dossier ne servent pas le pouvoir.
Ensuite parce que devenus des Saint Thomas, les Maliens attendent de voir jusqu’où tombera le glaive de la justice. A ce propos d’ailleurs, les langues se délient et les gens s’étonnent de voir qu’un témoin aussi capital qu’Ibrahima Gueye, le représentant africain de AAA, l’agence de fret partenaire de Go Voyage ne figure pas parmi les auditionnés déjà à ce stade. En fait, seul un procès crédible concluant à leur innocence rétablira les honneurs souillés.
Et justement la question que se pose la nation est de savoir si un tel procès est envisageable et s’il sera rigoureux et total. Le président Touré qui avait, dans la foulée de l’affaire, remis à des chancelleries le dossier que nos services avaient pu constituer assure qu’il ne couvrira personne.
Cela sous-entend qu’il entend sur son compte ce que nous entendons tous. S’il va au bout et que la justice démontre que nous aurons été gratuitement méchants vis-à-vis d’hommes et de femmes qui ont droit à l’honneur et à la respectabilité, alors nous devrons de sacrées excuses à bien de nos compatriotes. Et si, au final, la piste de la cocaïne, de l’armement et du narco-terrorisme ne peut pas être retenue, il nous faudra, dans l’humilité tirer les leçons de ce qui a pu arriver. Dans tous les cas, le dossier purgé, et quelque soit le verdict, ne pénalise pas le Mali. Ce qui plombe, notre pays, c’est le silence ou l’impression de silence, l’inertie ou la perception d’inertie.
Adam Thiam
Le Républicain 25/03/2011