Le 18 aout 2020, les militaires ont pris le pouvoir qui cherchait un preneur, ses tenants désarçonnés par des manifestants de la désobéissance civile, qui n’ont pas osé s’en accaparer, tel le serpent venimeux et son tueur. Mais les putschistes divisés entre le doute et l’indécision dus au manque d’expérience dans l’exercice du pouvoir, ne savent même pas s’il faut assumer ou nier le coup d’Etat. Cette dualité dubitative est perceptible, quand on met côte à côte les discours de ‘’parachèvement de la volonté populaire et l’action des manifestants du M5 RFP’’, dont fait siens le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) d’une part, et la publication d’un acte fondamental du CNSP d’autre part, qui fait de son président le chef de l’Etat. Faut-il craindre le rodage du CNSP dans l’art de gouverner, le goût de savourer les privilèges du pouvoir, dont certaines fréquentations ne mettent pas à l’abri ? C’est toute la hantise de la CEDEAO et de tous ceux qui ont dénoncé frontalement cette prise de pouvoir par l’armée, vue par d’autres comme un mal nécessaire pour couper le nœud gordien et fermer la porte à des aventures encore pire, dont le bain de sang à Bamako, en plus des braisiers du nord et du centre. Que sait-on de la dictature militaire, quant aux jeunes de la trentaine d’années et moins, qui ont manifesté ce mardi 8 aout à Bamako pour soutenir le CNSP ? Que sait-on de la tentation de se légitimer pour rester un peu au pouvoir, un temps suffisant pour y prendre goût? Le débat enfle : faut-il un militaire ou un civil pour le choix du président de la transition et du Premier ministre de la transition ?
Sauf, pour certains témoins, à reprendre la plume pour un devoir de mémoire, les Maliens ne gardent qu’un vague souvenir lointain du pouvoir militaire, qui a régné de main de fer de 1968 à 1991, en prenant soin de se muer à sa façon en régime démocratique : démocratie au sein du parti unique constitutionnel (constitution du 2 juin 1974) Union démocratique du peuple malien (UDPM). Une démocratie systématiquement concentrée entre les mains du secrétaire général du parti, qui se trouve également être le président de la République, chef de l’Etat, le Général d’Armée Moussa Traoré. Le parti garantissait ainsi à son chef, l’outil de culte de la personnalité jusqu’à sa chute en 1991. C’est l’ère du pluralisme politique (multipartisme) avec ses implications démocratiques et républicaines. Les enfants d’alors qui ont aujourd’hui la trentaine d’âge, peuvent avoir appris dans les livres ce qu’est la dictature ou l’avoir vécu autrement (la corruption, le népotisme, l’enrichissement illicite, la fraude électorale, le terrorisme) ; car la liberté d’opinion, d’aller et venir, d’entreprendre, bref les libertés fondamentales étant devenues les mieux partagées.
Soumission de l’autorité militaire !
Quelques principes pourtant connus, largement admis et partagé, ont de la peine à s’asseoir dans les mœurs chez nous. L’exigence de la soumission de l’autorité militaire à l’autorité civile mainte fois réaffirmée par la hiérarchie lors des fora, est sans doute le propre de la gouvernance démocratique.
En effet, la CEDEAO à travers le protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance, d’une part, et l’Union Africaine à travers la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance d’autre part, se veulent des sentinelles armées de ces instruments, pour veiller sur le respect des principes de démocratie et de bonne gouvernance, sans lesquels, l’échiquier politique national des Etats partis, serait une jungle où seuls auront droit de citer les plus forts, y compris de la force au bout du canon. C’est le principe qui préside à la médiation des organisations régionales, mais l’exception comme toujours confirme la règle.
Déception et défiance des masses populaires
La réalité de la déception infligée au peuple malien par les pouvoirs civils déchus explique en partie le soutien par défaut aux militaires, s’y ajoute la méconnaissance des principes. Dans le cas d’espèce, le régime d’IBK face au courroux des manifestants déçus de ‘’touche pas à ma constitution’’ ; ‘’an tè a bana’’ ou du M5 RFP, ‘’IBK dégage’’, en sont d’éloquentes illustrations.
Autres facteurs d’incompréhension de la classe politique : la divergence des intérêts politiques partisans au détriment de l’intérêt général (pluralité de l’opposition et pluralité de la majorité) ; variation des positionnements au gré des intérêts partisans, déniant l’essentiel commun. Ce fut le cas face au dialogue national inclusif (DNI du 14 au 22 décembre 2019), qui a occasionné des tiraillements entre partis politiques au pouvoir et ceux dans l’opposition, malgré d’intenses médiations, qui finiront par se retrouver tous seuls pour établir des listes communes afin de s’adjuger des élus du peuple. A se demander si de telles alliances politiciennes se font et se défont pour le bonheur des populations, s’interrogent certains électeurs.
Ni majorité ni opposition, un peuple !
Alors même que le pouvoir est tombé, qu’on peut sciemment prétexter d’une absence de majorité et d’opposition, pour mieux se retrouver, le constat est que les divergences flambent, sans s’inquiéter pour le regard sur les acteurs de la classe politique et de la société civile, du paysan dans son champ, de l’éleveur au pâturage, ou du pêcheur sur les eaux du Djoliba, ou du commerçant au marché de Dabanani, qui écoutent tous désormais diverses stations de radio à partir de leur téléphone. Dans le Guidimaga comme dans le Kénédougou, le Gourma comme le Wassulu, le Séno comme le Bani-Mono-tié, dans les falises de Bandiagara ou dans le Monipé, les dires et les faits et gestes de Bocary Treta, de Tiebilé Dramé ou de Choguel Maïga sont entendus, recoupés et commentés comme si le Mali se ramenait à l’échelon d’un petit quartier ou d’un village. Les populations rurales et citadines, même non scolarisées ont appris à s’interroger, à raisonner, à critiquer, à choisir, à aimer ou à haïr. Ils savent voter utile, si seulement les élections pouvaient être transparentes et crédibles, dans l’intérêt des patriotes sincères.
CNSP versus CTSP
Ainsi le Mali se trouve à la croisée des chemins, à l’instar du Conseil national pour le salut du peuple (CNSP) qui tâtonne entre doute, dualiste et duplicité, entre hésitation et indécision. Soutenant qu’il a parachevé l’œuvre du M5 RFP, il constitue le CNSP sans les amis de Mahmoud Dicko. C’est que le M5 RFP a péché par faute d’organisation politique à la base, d’unité d’action et de prévision. Le commun des mortels pouvait imaginer le scenario du putsch pour couronner les manifestations de rue, et envisager dans des prospectives, un plan d’actions en conséquence pour ne pas se laisser filer la victoire comme l’air entre les doigts. Contrairement au Comité de coordination des associations et organisations démocratique de 1991, qui a reçu à la Bourse du Travail, la visite des militaires du Conseil de Réconciliation nationale (CNR), avant de former avec eux le Comité de Transition pour le Salut du peuple (CTSP), le M5 RFP verra les militaires de la 25ème heure se retrancher dans le camp Soundiata de Kati, avec comme butin l’arrière petit fils de l’Empereur du Mandé.
Non contents de ne pas composer avec le M5 RFP, le CNSP s’est fendu un acte fondamental qui fait de son président, le Colonel Assimi Goïta, le chef de l’Etat (thèse du putsch qui explose tardivement comme un pétard mouillé). Ainsi, on se retrouve avec un CNSP écartelé entre l’ancienne majorité et l’ancienne opposition et jouant les deux, à la recherche d’une légitimité, que la classe politique divisée, comme la société civile, risquent de lui offrir sur un plateau d’argent. Le mieux ou l’idéal pour les Maliens ne serait-il pas de faire table rase des divergences subjectives de la petite semaine, de se fixer comme seul tableau de bord, le Mali et l’intérêt général des Maliens ? C’est à ce prix que les principes républicains dont le pouvoir aux civils, pourra s’imposer sans peine, pour une société démocratique et solidaire !
B. Daou