Cheick Diallo se définit en toute humilité comme un citoyen malien. Si de nombreux talents africains émigrent en Occident en quête de célébrité, il a fait lui le chemin inverse. En effet, après avoir vécu une trentaine d’années en Europe, il a décidé de s’installer au bercail en 2014 avec sa notoriété internationale acquise dans l’architecture et le design. Mais, il est avant tout un patriote très préoccupé par la situation que le Mali traverse depuis 2012. Nous nous sommes entretenus avec lui pour baliser les pistes de sortie de cette crise.
«Le pays est en train de sombrer et cela me fait mal. La situation actuelle me fend le cœur», répond Cheick Diallo quand on lui demande son avis sur la situation actuelle du pays. Il ne se dérobe jamais quand il s’agit de parler de la patrie, de la crise actuelle et des pistes pouvant aboutir au bout du tunnel. «Je ne sais comment nous nous sommes retrouvés enfermés dans ce cercle infernal, vicieux avec une liberté de plus en plus restreinte», poursuit l’architecte-designer.
«Ma femme est Européenne. Elle n’a pas hésité à me suivre quand j’ai décidé de venir m’installer ici. Et elle espérait pourvoir faire le tour du Mali pour mieux connaître ce pays, ses habitants, sa diversité culturelle et artistique… Hélas, elle est confinée entre Bamako, Siby et Koulikoro depuis quatre ans», déplore-t-il avec beaucoup de tristesse dans la voix.
«Cette recrudescence de la violence, de l’insécurité… C’est quelque chose qu’on n’imaginait pas à ce niveau. Mais, nous étions conscients de la situation du pays et nous sommes venus nous installer en connaissance de cause en se disant que nous ne valons pas mieux que les Maliens qui vivent quotidiennement cette situation. Nous ne comptons donc pas quitter le navire, même s’il tangue dangereusement, parce que nous sommes déterminés à accomplir notre devoir de citoyens jusqu’au bout», insiste l’artiste créateur.
Dans cet imbroglio malien, Cheick Diallo se fait surtout des soucis pour les enfants. «Nos enfants sont mal formés. Et pourtant, nous avons le potentiel et énormément de talents. Mais quand on compare nos enfants, nos jeunes avec ceux de certains de nos pays voisins, on se rend vite compte que les nôtres n’ont pas le niveau parce que l’Ecole a failli. Cela est un grand danger qui menace notre société. Avec un pays qui est déjà à presque 80 % d’analphabètes, cela laisse la place aux fléaux, aux maux dans une société qui a plutôt besoin de s’épanouir par la culture», craint Cheick.
Malheureusement, déplore le talent engagé, «nous nous enlisons chaque jour davantage dans l’acculturation voulue pour nous maintenir dans cette forme de domination qui doit faire peur car compromettant l’avenir de nos enfants, donc du pays».
Pour Cheick, le salut est dans l’éducation. Mais, souhaite-t-il, «que chacun commence à balayer devant sa porte. C’est le début du changement souhaité. C’est facile de jeter la pierre à l’autre, d’indexer ou d’accuser l’Etat de faire ceci ou de ne pas faire cela. En tant que père et chef de famille, la première chose à faire, c’est de mettre de l’ordre chez soi, savoir se regarder dignement dans la glace et dire : moi, quel que soit le prix à payer, je fais de la dignité le principe de base dans ma famille, ce que je ne veux pas voir de mauvais ailleurs, je ne le tolérerais pas chez moi. Ça commence là».
A son avis, «on ne peut pas confier l’éducation de sa famille à d’autres. Et surtout que l’Ecole a changé pour ne plus être ce creuset de valeurs. Tout comme la rue et la communauté ne nous aident plus à éduquer nos enfants».
Et de conseiller que, souvent, «il faut s’arrêter et se demander : par où on a péché ? Cette introspection permet de poser le jalon de la nouvelle voie qu’on aimerait voir sa famille, surtout les enfants, prendre». De l’avis de l’artiste-designer, l’éducation dont le Mali a besoin aujourd’hui pour se relever ne concerne pas que les enfants et les jeunes, mais les adultes aussi.
Et surtout, insiste-t-il, «dans ce pays il faut qu’on apprenne à se dire une chose : la vérité !». Et cela d’autant plus que dans notre pays, s’offusque l’architecte-designer, «nous sommes en train de créer une nouvelle vertu de la délinquance. Et cela au point que ceux qui sont sincères et honnêtes sont frustrés car marginalisés, stigmatisés. Et cette délinquance est clinquante, visible et insolente qu’on a l’impression que c’est la seule voie de la réussite».
Heureusement que, reconnaît l’icône du design mondial, il y a «des citoyens qui savent dire non. Et j’espère toujours être l’un de ceux qui dirons mourons débout les armes à la main vivons et sans jamais baisser le regard parce que souhaitant être irréprochables aux yeux des générations futures». Inch Allah !
Moussa Bolly