Le mercredi 3 mai 2017, la communauté internationale a célébré la Journée mondiale de la Liberté de la Presse. Au Mali, l’événement a été marqué, surtout à la Maison de la Presse, six jours durant, par des conférences-débats en plus d’activités diverses. Le tout sous le thème : «journalistes et hommes de médias, devoirs et responsabilité en période de crise». Cette célébration intervient dans un contexte marqué par la floraison des journaux, des radios et des télévisions privées. Ces dernières, qui pour la plupart émettent sans autorisation. De nos jours, tout le monde s’accorde à reconnaitre que la Presse malienne dans son ensemble reste confrontée à plusieurs maux comme le manque de professionnalisme et de moyens. Ce qui l’empêche de jouer pleinement son rôle de quatrième pouvoir. D’où la nécessité de sa réformation.
Au Mali, et dans la plupart des pays africains, les conditions de vie et de travail des hommes de médias laissent à désirer. Rappelons que les défis auxquels sont confrontés les médias, surtout privés sont nombreux mais, ont trait principalement à l’aspect économique. Ces difficultés économiques ont pour noms, le manque de ressources financières, matérielles, logistiques et humaines ainsi que de professionnalisme lié au manque de formation.
Etat des lieux de la presse malienne : une Presse à réformer
Selon le constat, ces contraintes économiques expliqueraient en grande partie les dérives et les violations de l’éthique et de la déontologie. Idem pour les radios et les télévisions privées qui sont confrontées aussi à un problème économique et financière. Et selon cet observateur de la scène médiatique malien, «l’espoir suscité par la presse écrite privée dans les années 1990, avant et pendant la Révolution de Mars 1991, s’est estompé depuis quelques années. Les titres à la UNE des journaux sont plus attractives que les contenus, les analyses sont rares et ont cédé la place aux atteintes à l’honneur et à la dignité des citoyens. Les opinions personnelles des journalistes ont remplacé l’information. Les violations répétées de l’éthique et de la déontologie ont fini par discréditer la presse et le non-respect de la confraternité est monnaie-courante ». Cependant, reconnait-il «malgré ses lacunes, la presse écrite privée joue son rôle de 4ème pouvoir en dénonçant les abus, les violations des libertés et les tentatives de corruption tant politique qu’économique. Toute chose qui tend à faire éviter certaines dérives des pouvoirs publics».
Avec des journalistes pas ou mal formés et mal payés et qui ont «atterris » dans la presse pour la plupart d’entre eux, ils vivent dans des conditions de précarité totale. Ces journalistes, toujours sur le terrain respirent le plus souvent grâce aux organisateurs des séminaires, ateliers et autres rencontres par les per diem. Cette précarité économique et financière dans laquelle vit la presse malienne favorise toutes les formes de pression et de corruption du pouvoir économique et politique. Dans ces conditions, on voit que l’espoir né de la liberté de la presse depuis l’avènement de la démocratie s’est estompé très tôt au Mali. Car, plus de deux décennies après sa libéralisation, il règne un véritable désordre dans l’espace médiatique audiovisuel au Mali. Une mise en ordre du secteur est donc urgente et impérative, qui impliquera sans aucun doute des mesures rigoureuses qui doivent être prises.
Ainsi, pour M. Kassim Traoré, directeur de publication du journal « Le Reporter » «la presse malienne est à l’image de notre société. Tout le monde peut devenir journaliste et créer un journal sans contrôle. Et, les responsables des associations de presse sont devenues des businessmen. Ainsi, chaque jour on attend des affaires de sous entre des responsables de la presse et des structures». Pour lui, depuis 2012, il n’y a pas eu de formations pour la presse et les débutants sont laissés à eux-mêmes. «C’est au Mali que ceux qui n’ont aucun diplôme, sont promoteurs de journaux et de radios. Et, les organes de régulation ont peur de jouer leur rôle. Et c’est au Mali aussi que des directeurs de journaux deviennent des portes paroles du pouvoir. Et quand cela pète, on nous parle de confraternité» lance-t-il. D’où, dit-il, la nécessité de sa reforme.
Et au confrère, M. Hamidou N’Gatté, d’aborder dans le même sens et reconnait que «la presse malienne vit dans une précarité indescriptible, qui empêche tout espoir d’indépendance pour le moment. Il y a certes certains professionnels dans ce milieu, mais force est de reconnaitre que beaucoup manque de formation en la matière. Ce qui est primordiale pour pouvoir exceller et sortir de cette situation de « misère » de certains organes ou des journalistes, est que les responsables à tous les niveaux fassent en sorte que la presse malienne sorte de cette situation où n’importe qui se lève du jour au lendemain pour se réclamer journaliste ou créer un organe de presse. Que la convention collective soit mise en application. Il faut également mettre l’accent sur la formation des jeunes journalistes, et cultiver en eux l’esprit du respect de l’éthique et de la déontologie de ce noble métier, sans quoi les dérives ne cesseront jamais. Que chacun y mette du sien afin que nous puissions voir une presse indépendante, juste et surtout épanouie».
En outre, il faut souligner la volonté des plus hautes autorités du pays à dépénaliser les délits de presse. C’est ce qu’a indiqué le ministre Arouna Modibo Touré, dans son intervention d’ouverture de la semaine de la Liberté de la presse le mercredi 3 mai 2017 à la Maison de la Presse. En substance, selon lui, désormais aucun journaliste n’ira en prison pour ses écrits ou dits. Mais, ajoute-t-il, le journaliste aura à payer des amendes pécuniaires.
Historique de la journée mondiale de la Liberté de la Presse
Faut-il le rappeler, la Journée mondiale de la liberté de presse a été instaurée par l’Assemblée générale des Nations Unies en décembre 1993 après la tenue du Séminaire pour le développement d’une presse africaine indépendante et pluraliste. Ce séminaire, qui s’est déroulé à Windhoek en Namibie en 1991, a conduit à l’adoption de la Déclaration de Windhoek sur la promotion de médias indépendants et pluralistes. En effet, la Déclaration de Windhoek exigeait l’établissement, le maintien et la promotion d’une presse pluraliste, libre et indépendante et mettait l’accent sur l’importance d’une presse libre pour le développement et la préservation de la démocratie au sein d’un État, ainsi que pour le développement économique. La Journée mondiale de la liberté de presse est célébrée le 3 mai de chaque année, date à laquelle la Déclaration de Windhoek a été adoptée.
Même si l’on célèbre depuis 1993 la Journée mondiale de la liberté de presse, celle-ci s’enracine encore plus loin dans l’histoire des Nations-Unies. En effet, il est stipulé, dans l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 que : «tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »
Aujourd’hui, dans le monde entier, la date du 3 mai est devenue l’occasion d’informer le public à propos des violations du droit à la liberté d’expression et le moment de se rappeler que plusieurs journalistes risquent la mort ou la prison en transmettant la nouvelle aux gens.
Ainsi, selon l’UNESCO, la Journée mondiale de la liberté de presse est aussi un moment d’action, qui favorise et permet de mettre sur pied des initiatives qui visent la défense de la liberté de la presse. C’est une journée d’évaluation, afin de dresser le portrait de la liberté de la presse à travers le monde. Cette date rappelle aux États le respect des engagements qu’ils ont pris envers la liberté de la presse et alerte le public à accroître la sensibilisation à la cause de la liberté de la presse. Pour les hommes de médias, cette date est une journée de réflexion, pour stimuler le débat parmi les professionnels des médias sur les problèmes qui touchent la liberté de la presse et l’éthique professionnelle. Elle constitue aussi une commémoration en mémoire des journalistes qui ont perdu la vie pendant qu’ils exerçaient leur profession.
La date du 3 mai est aussi l’occasion d’appuyer les médias qui sont victimes de mesures qui entravent la liberté de la presse ou qui visent à l’abolir. La liberté de la presse est considérée comme une pierre angulaire des droits de la personne et comme une assurance que les autres droits seront respectés. Elle favorise la transparence et une bonne gouvernance et représente, pour la société, la garantie que régnera une véritable justice. La liberté de la presse est le pont qui relie la compréhension et le savoir.
En somme, pour une Presse malienne professionnelle et responsable, il faut la mise en œuvre de la Convention collective, élaborée depuis 2009, qui propose un cadre réglementaire et moral à l’action du journaliste, dont elle fixe les modalités de travail. Bien que signée par la grande majorité des patrons de presse, cette Convention n’est à ce jour quasiment pas mise en application. L’École de journalisme dont on attend incessamment l’ouverture officielle, viendra renforcer l’offre de formation au métier de journaliste.
Il faut aussi que la Haute Autorité de la communication, en collaboration avec les associations de Presse fasse asseoir plus de professionnalisme et plus de responsabilité dans le secteur.
Dieudonné Tembely
tembely@journalinfosept.com