L’avenir politique du Mali est au cœur de la rentrée des associations qui composent la communauté des Maliens de France, estimée à quelque 200 000 personnes.
Les Maliens de France veulent aussi faire entendre leur voix. Samedi 5 septembre, ce qui aurait dû être une classique séance de rentrée du Conseil national de la jeunesse malienne de France (CNJMF) s’est rapidement mué en un échange sur la situation politique de l’« autre » pays, celui dont l’auditoire a commencé par chanter l’hymne national. Si le débat a porté sur les projets de l’année 2020-2021 de cette association de la diaspora, il a aussi bifurqué sur le visage de la transition dont rêve ce pays de 20 millions d’habitants et, surtout, ses quelque 200 000 émigrés installés en France.
Et sur ce point, à Paris comme à Bamako, le consensus reste difficile à trouver. Prenant la parole tôt dans le débat, le président de l’Association des étudiants maliens d’Ile-de-France (AEMIF), Bréhima Sidibé, a posé le cadre et repris des positions qu’on entend aussi entre les murs de terre crue de Bamako. Pour lui, il n’y a pas à s’offusquer du maintien des militaires à la tête du pays durant trois ans. « Nous avons au Mali un manque de confiance de la population dans la classe politique actuelle, a-t-il expliqué. Si les élections ont lieu dans neuf ou douze mois, qui pourra-t-on choisir puisque tous manquent de crédibilité ? » a-t-il interrogé, concluant son intervention par le fait qu’à ses yeux « trois années, c’est le temps qu’une nouvelle génération émerge, plus soucieuse du bien du peuple ».
Depuis le 18 août et la prise du pouvoir à Bamako par une junte militaire, l’idée d’une transition de trois années, période durant laquelle les militaires garderaient le pouvoir en préparant leur succession, a été évoquée par la junte et reprises par quelques autres voix. Ce temps devant être mis à contribution « pour revoir les fondements de l’Etat malien ».
« Travailler ensemble »
Reste que, sur la durée idéale de cette transition et l’identité de ceux qui doivent la prendre en main, les avis divergent dans les deux capitales. Pour Aïssata Sidibé, la présidente de l’Association des étudiants maliens de France (Adem), cette période devrait être menée à la fois par un civil – qui serait en quelque sorte le président – et un militaire qui assurerait une fonction de premier ministre. La jeune femme imagine assez bien que ce « duo » dispose de trois ans pour réviser la Constitution. Un laps de temps nécessaire à ses yeux « pour que ce texte reflète nos réalités », que le Code électoral soit repensé et les listes électorales remises à jour.
Chaque intervention, fût-elle à l’opposé de la précédente, a été dûment applaudie samedi. Le vice-président du CNJMF, Adama Gassama, estime que le temps de la transition ne doit pas s’éterniser. Lui n’a pas oublié l’épisode du coup d’Etat de 1968 qui avait mis au pouvoir le militaire Moussa Traoré. « Les anciens disent qu’il est arrivé pour six jours et a duré vingt-trois ans », a-t-il poursuivi humour. Cette leçon de l’histoire lui a d’ailleurs permis d’expliquer pourquoi les élections doivent être rapidement organisées. « Un délai d’un an, c’est largement suffisant, assure-t-il. L’important reste de savoir qui va diriger le pays. »
Adama Gassama n’est pas le seul à faire part de ses exigences sur l’identité du futur chef de l’Etat… C’est aussi le cas Mariétou Diallo, la présidente du Conseil supérieur de la diaspora malienne de France, qui ne souhaite pas voir un militaire diriger la transition. Elle estime en aparté au Monde Afrique qu’une telle situation, « ça nous régresse ». Pour elle, la clé est facile à trouver et il suffirait que les autorités laissent enfin la place à la jeune génération pour avancer. Ce qui n’est pas antinomique avec la vision d’Aboubakar Anne, chargé du numérique au Haut Conseil des Maliens de France, pour qui l’avenir est dans l’union des forces internes et externes du pays. Le Mali a « beaucoup de défis à relever. Nous avons l’obligation de travailler ensemble. Croyez d’abord en vous-même » et demandez-vous « quel citoyen vous voulez être pour votre pays », a-t-elle martelé.
Dans cette salle d’un centre d’affaires d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), où les intervenants ont su s’écouter patiemment malgré les désaccords, un point fait l’unanimité. Tous semblent en effet souhaiter activement participer au changement politique de leur pays. Et pourquoi pas y retourner un jour pour y travailler et y vivre.
Cet horizon en ligne de mire, Oumar Diarra, 28 ans, étudiant en informatique, voudrait que la terre de ses ancêtres profite de la crise pour se réformer en profondeur et mettre fin au « piston » qui empêche « le retour au pays des Maliens de l’extérieur ». « Je suis pour un système de quota pour les jeunes de la diaspora pour qu’ils aient un emploi au pays, argue-t-il, micro en main. Nous avons tous envie de rentrer nous installer aux côtés de nos familles, mais c’est quasi impossible, parce qu’il y a des réseaux en place et que, si tu ne connais personne, il reste très difficile d’entreprendre. Il faut corriger ce problème. »
« Un homme de valeur »
Plusieurs intervenants ont pourtant rappelé combien la diaspora contribue à financer le pays. Selon la Banque mondiale, Bamako décroche la neuvième place des pays d’Afrique recevant le plus d’argent de sa diaspora, et la troisième place des pays francophones avec 900 millions de dollars (812 millions d’euros) en 2018, soit 6,7 % du PIB national. Les transferts de fonds des Maliens expatriés sont même supérieurs à l’aide publique au développement.
De quoi appuyer le texte qui sera lu à l’extérieur par le président du Conseil national de la jeunesse malienne de France (CNJMF), Mahamadou Cissé, lors du tournage d’un clip de soutien destiné à ses compatriotes au Mali : « Ce pays est à moi, ce pays est à toi (…). Personne ne posera les pierres de l’édifice du Mali à notre place. »
« Nous avons clairement notre mot à dire », avait d’ailleurs clamé Hatou Niakaté, secrétaire générale du CNJMF. Et pour exister davantage, peser politiquement, elle comme d’autres ont rappelé une nouvelle fois, samedi, que leur pays devrait se doter de « députés de la diaspora ».
Tout cela, le conseiller culturel de l’ambassade du Mali, Souleymane Diarra, en a pris bonne note, sans rien manquer des interventions. En revanche, sur les choix, il est resté très diplomate, rappelant que peu importe que le dirigeant soit un « civil ou un militaire », il doit être avant tout « un homme de valeur ».