Ségou la vitrine du Mali de demain
Et puis tant d’attentes différentes, tant de besoins urgents à résorber. A l’instar déjà, à la sortie de Bamako, vers le poste de Yirimadio, du radieux désordre des lieux. Entrelacs de sacs en plastique jetés à terre – on n’est pas tout de même pas à Kigali l’orgueilleuse-de peaux de bananes ou d’orange ; violences vocales de vendeurs à la criée vendant en nature et en quantité, la même chose : mêmes fruits, mêmes sachets d’eau, mêmes cacahuètes.
Et l’insouciance des revendeurs de cartes téléphoniques qui bondissent à dix sur la vitre qui s’ouvre, comme si le mobile de leur périlleuse activité était moins de faire des profits que d’exercer leurs muscles. Eléments permanents du capharnaüm, ils sont là les petits mendiants qui commencent par le coran mais finiront clochards, imams ou le plus souvent charlatans. Sans compter les vendeurs de cassettes et qui sont tous, comme les revendeurs de cartes, la partie immergée de l’iceberg prolétarisé qu’est devenue la jadis opulente Région de Mopti en quelques décennies. Enfin, on ne peut pas oublier ce sans quoi le décor n’est jamais celui des « barrages routiers » : des cars aux pneus usés sagement arrêtés alors qu’ils filent à cent à l’heure sans craindre ce qu’il est convenu d’appeler les forces de sécurité, la fausse lenteur des gendarmes ou policiers qui n’hésitent pas à héberger dans leur poches à eux des ressources qui ne feraient pourtant aucun mal au Trésor public. Mais personne ne souhaite s’attarder à ces endroits. Ségou est encore loin qu’il faut atteindre avant Léré, notre destination.
Avec l’important jalon de Fana, à mi-chemin du District et de la capitale des Balanzans et vestige s’il en est, de la Cmdt, de ce que furent ses forces et ses faiblesses, ses menaces et ses promesses. Le tout sur une RN17 goudronnée certes mais trouée de nids de poules, infestée de virages et manifestement d’offre modeste face à une demande sans cesse croissante. Vivement donc le projet de route expresse dont le président Touré a déjà donné le coup de pioche, l’une des nombreuses réalisations qui le singulariseront, à juste titre.
En attendant, juste une petite question : Comment peut-on passer sur cette route détériorée pour aller inaugurer d’autres dans le même pays ? Pourquoi, de petits tronçons mal en point qui peuvent être réparés par n’importe quelle petite subdivision de travaux publics restent-ils des années en l’état ? Pourquoi, est-on aussi prompt à réparer les routes en Ethiopie plus qu’au Mali, par exemple ? Petite question mais grosse réponse : la différence réside dans ce qu’un homme d’esprit censé intrigué par la mauvaise foi dans notre pays appelle l’infrastructure immatérielle.
Et là on peut tout mettre : les process, les processus, l’intégrité, le civisme, l’amour de son travail, l’estime de soi, la fierté et autres vertus. Mais passons, Konobougou n’est plus très loin et c’est déjà la Région de Ségou. Que de pastèque ! Un des plus gros producteurs nationaux de ce précieux fruit dont Modibo Kéita était revenu avec quelques semences de son voyage chinois vit dans cette localité. Il en plante plusieurs hectares et récolte quelques millions de francs. Ceux qui ont eu l’honneur d’être des amis de Jacques Moineau auront toujours un petit pincement de cœur en passant devant cette ville.
Le défunt activiste du développement du Mali y avait sa belle famille et Fanta l’épouse y avait servi à manger à tant d’hôtes. Puis Ségou : pas ses mythes et ses mystères, ses fétiches et ses rois prompts à la guerre, mais la ville boostée dans sa croissance par les investissements structurant de la Can 2002, ce rêve fou qui fit plébisciter le Mali, que nous devons certes à l’enthousiasme contagieux d’un Alpha Oumar Konaré que les radars locaux ne signalent plus mais aussi à la baraka incorruptible des vieux pays. Markala, le barrage qui faillit ne jamais voir le jour. Un éminent agronome m’avait confié, en effet, que l’administrateur français convaincu de l’irréalisme de ses ambitions était sur le point d’abandonner le projet Office du Niger. Non pas que la terre manquait mais que la principale contrainte était l’eau, quelles que soient les précautions prises en amont.
Le Mali indépendant aurait-il, le cas échéant, pu réaliser ce projet qui reste l’épine dorsale de notre ambition de devenir une puissance agricole? On ne sait pas. Ce qu’on sait en revanche, c’est que Dioro, Niono lui doivent leur relative prospérité. Car la différence est nette à vue d’œil entre ces localités et d’autres dans des zones moins fortunées. En dépit des arbitrages à faire. Dont certains ont été faits : tel que le projet de route Bamako-Tombouctou entamé et tel que la sécurisation foncière des exploitants de Alatona, une grande première et sans doute le modèle qui s’impose pour la paix demain.
Restent évidemment trois points en suspens : ce que va devenir le projet libyen pour lequel Saif El Islam était venu chez nous, avec les fastes et les pouvoirs d’un Etat qu’il a désormais perdu. Ensuite, comment arbitrera t-on entre les cultures de contre-saison qui font vivre les producteurs moyens et la canne à sucre sur laquelle l’agro-industrie a jeté son dévolu ? Enfin, quel sera demain le sort de l’aval – le Mema-Farimaké- un des réservoirs du bétail national, lorsque tous les projets agricoles auront vu le jour ? Des questions que l’on ne peut éviter, le long de la route, même quand Niono est loin dans le rétroviseur et que Nampala pointe à l’horizon.
A suivre dans notre édition de demain
Adam Thiam
Le Républicain 19/10/2011