Les hommes politiques se sont-ils tant discrédités, ou n’ont-ils pas de programme pour convaincre l’électorat, au point de remettre leur sort entre les mains des chefs religieux ? Tous les candidats à l’élection présidentielle font la cour à ces religieux, à telle enseigne que ces derniers se croient désormais faiseurs de roi. Mahmoud Dicko, Bouyé de Nioro et Ousmane Madani Haidara ne courent-ils pas le risque de se déconsidérer à force de faire le jeu des hommes politiques ? En réalité, peuvent-ils faire gagner un candidat ?
L’affaiblissement de la classe politique a propulsé au-devant de la scène les leaders religieux qui font tourner en rond tous les candidats, déclarés ou non, à la présidentielle de 29 juillet 2018. Auréolés de la victoire d’IBK en 2013, après avoir pris fait et cause pour lui, les leaders religieux se disent aujourd’hui incontournables pour l’élection du président de la République, au point d’avoir réduit à leur plus simple expression les acteurs politiques maliens. Aucun candidat ne peut se fier à son programme pour convaincre le peuple ; tous préfèrent avoir le soutien du Chérif de Nioro (Bouyé), du Chérif de Bamako (Haidara) et du Raïs du Haut Conseil Islamique (Dicko) pour charmer les électeurs.
En guise de rappel, le Président de la République avait lui-même donné le ton en 2013 en allant confier son sort aux leaders religieux. Pour ce faire, ne l’avait-on pas entendu psalmodier laborieusement, en véritable profane, quelques versets du coran ? Son attitude envers son parti, le RPM, que certains assimilent à un mépris, tient en grande partie au fait qu’il pense qu’il doit beaucoup plus sa victoire aux leaders religieux qu’au RPM. Aujourd’hui, en froid avec ses soutiens et avec un bilan en deçà des attentes de la majorité des Maliens, IBK se fait beaucoup de souci pour sa réélection. Quant à son challenger historique, Soumaila Cissé, il semble prendre le relais d’IBK en courtisant à son tour les leaders religieux. Il multiplie les bonnes actions en leur endroit, ne rate aucun événement social et religieux les concernant, et pense ainsi avoir déjà gagné leur confiance. A ces deux acteurs politiques nous pouvons ajouter Moussa Mara, qui d’ailleurs, depuis fort longtemps, tourne de mosquée en mosquée pour la prière du vendredi, afin de sympathiser avec la notabilité religieuse. Quid d’Aliou Boubacar Diallo, qui d’ailleurs est allé tenir la conférence nationale d’investiture à Nioro du Sahel, le fief du Chérif Amédy Haidara alias Bouyé. On dit d’ailleurs d’Aliou Boubacar Diallo qu’il est un fervent musulman, à la limite un mystique ? Que pèsent réellement ces leaders religieux en termes de poids électoral ? Ils ont certes leurs nombreux adeptes, jouissent également d’une certaine respectabilité et sont à la tête d’organisations qu’elles soient du Haut Conseil Islamique, ou de la puissante confrérie hamaliste ou même d’Ansardine internationale. Mais, il est difficile d’admettre qu’ils puissent faire gagner un candidat à la présidentielle. Aucun imam ne peut prétendre que tous ceux qui prient derrière lui n’ont d’autres choix que de voter pour le candidat adoubé par leur confrérie. En Afrique, une élection présidentielle se gagne sur la base d’une forte adhésion des citoyens à une personne et sur la confiance des bailleurs de fonds et même de la communauté internationale.
Tout comme les autres leaders d’opinion, ceux de la religion musulmane, font aussi des calculs pour regarder la direction du vent et agir en conséquence. Donc, autant les acteurs politiques doivent avoir une vision et un programme prenant en compte les préoccupations de l’ensemble des Maliens, autant les leaders religieux doivent s’éloigner de l’aire de jeu politique pour ne pas subir le même jugement que leurs « coéquipiers».
Youssouf Sissoko