Le gouvernement malien a annoncé qu’il n’a pas été en mesure de s’acquitter des sommes dues fin janvier sur le marché financier sous-régional. Le pays est sous lourdes sanctions de la CEDEAO et de l’UEMOA depuis le 9 janvier dernier. Dr Yves Ekoué Amaïzo, économiste spécialisé en stratégie et directeur d’Afrocentricity, un groupe de réflexion et d’action, estime sur Africa Radio que le Mali a plusieurs alternatives pour limiter les effets de ces sanctions sous-régionales.
Le Mali n’a pas été en mesure d’honorer ses engagements financiers sous régionaux de janvier 2022. Quelles sont les conséquences à court et moyen terme pour le Mali ?
Il faut d’abord préciser les choses. Le Mali est dans une zone économique monétaire qu’on appelle la zone Franc. Ce qui veut dire que la banque du Mali doit déposer une partie de son argent auprès de la Banque centrale des State de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) qui se trouve à Dakar. Cette banque centrale elle-même gère cette monnaie Franc CFA et, paradoxalement, beaucoup de gens ne le savent pas, mais quand le Mali veut convertir le Franc CFA contre une devise, l’euro, le yuan, le dollar, il a besoin de l’autorisation du trésor français.
C’est très important de comprendre cela car c’est ce qui va permettre de comprendre la réponse sur le court et moyen terme. L’argent du Mali est déposé au niveau de cette banque centrale. Et sur cet argent, en tout cas d’après nos calculs (selon les chiffres qui ont été mis à disposition), le Mali ne devrait pas avoir de problème sur 6-8 (six à huit) mois à peu près de réserve internationale.
D’autant plus que les autorités ont elles-mêmes expliqué qu’elles ont les liquidités nécessaires pour s’acquitter de ses dettes….
Absolument juste. C’est ce que je vous dis. D’après nos calculs, nous avons 6-8 mois sans problème pour le Mali sans compter qu’il y a d’autres réserves qui auraient pu permettre de rallonger la période. Donc cet argent appartient au Mali. S’il ne peut pas payer à court terme, ce n’est pas un problème malien c’est un problème de la Banque centrale qui a refusé de laisser l’argent du Mali sortir pour aller payer les différents prêts, le poids de crédit qu’il doit payer…
Oui, argent retenu par la Banque centrale en application aux sanctions de la CEDEAO et de l’UEMOA….
Absolument. Maintenant qu’on parle d’application de sanctions, on a un problème. Parce que nulle part il n’est prévu de faire une obstruction notamment dans les cas d’urgence comme celle actuelle du Mali. C’est pour ça que les autorités du pays disent d’ailleurs que c’est illégal. À partir de ce moment, vous avez les conséquences qui font que le Mali ne pourra pas honorer tel ou tel engagement. Mais attention, l’argent appartient bien au Mali. Donc si la Banque centrale insiste dans cette illégalité, il faudrait faire un procès. Et on se demande encore devant quelle justice, puisque tout est suspendu, est-ce que le Mali peut même aller devant la cour de justice de la CEDEAO ?
Mais très clairement à court terme, qu’est-ce que ce refus de déblocage des fonds qui lui appartiennent implique pour le Mali ?
Si les fonds appartiennent au Mali et qu’ils sont bloqués, le pays a le choix. Il explique à un autre partenaire que la France puisque c’est le fond du problème. Expliquer à un autre partenaire qu’il a de l’argent en dépôt qui lui appartient et qui est bloqué. Si le partenaire étranger autre que la France lui fait confiance, il lui fait crédit tout simplement.
Donc de ce point de vue, il faut dire que le Mali peut être surpris mais ça m’étonnerait. Vous, vous essayez de me faire dire qu’il va subir tel ou tel effet. C’est vrai, mais on subit les effets si on ne fait rien. Le Mali ne va pas dormir.
Vous voulez dire que ce blocage des fonds maliens par la Banque centrale n’aura pas avoir de conséquences majeures si le gouvernement réagit vite ?
Absolument. Ce qui va se passer, c’est que le Mali va chercher à trouver d’autres partenaires. Pensez à la Chine, à la Russie, à la Turquie et à la plupart des pays arabes. Parce que le Mali, on n’oublie pas, est un pays musulman. Il est frère des autres pays musulmans. Et dans ce cas, on va lui mettre de l’argent à disposition à un ‘’taux zéro’’, ou un taux vraiment modique. C’est-à-dire que le Mali va trouver plusieurs alternatives.
Le Mali, c’est un État, et c’est tout cet État qui est engagé. Vous connaissez la dette des États-Unis ? La France est à 115 % de dettes et pourtant personne ne remet en cause sa crédibilité. Donc sur la crédibilité, je pense qu’il n’y aura aucun effet parce que c’est un État qui s’engage, et il va trouver un moyen pour honorer ses engagements. Ça peut aller plus loin, ça peut aller jusqu’au début de la sortie du Franc CFA. Je rappelle que la Mauritanie est sortie du Franc CFA.
Vous estimez que cette crise pourrait aussi être une opportunité pour le Mali de quitter la zone Francs CFA ?
C’est ça justement. Mais je ne parle pas d’opportunité de sortie, mais de levier. C’est-à-dire que le résultat de la crise va être l’effet contraire. Nous ne sommes pas dans la situation ivoirienne où Monsieur Gbagbo n’avait pas anticipé ou signé d’accord ni avec la Russie ni avec l’Afrique du Sud qui lui a donné une aide militaire à l’époque. Nous sommes dans une nouvelle situation où le Mali a anticipé ce que fait la France. Il a donc des accords militaires avec la Russie et d’autres pays.
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