L’école malienne a depuis longtemps connu des périodes troubles.
Elle était plongée dans une crise sempiternelle avec des assemblées générales intempestives de l’AEEM, le boycott des cours et des examens par les élèves, les blocages de notes par les enseignants, avec son corolaire des années scolaires et universitaires tronquées ou blanches, des programmes scolaires pas ou mal exécutés.
D’où la qualité peu enviable des produits de l’école malienne.
La période 1992-2002, c’est-à-dire le règne de l’ADEMA-PASJ, a eu sa part de tensions scolaires, qui souvent se sont transformées en crises politiques aigues, auxquelles il fallait apporter des réponses.
Dans les lignes qui suivent, nous revenons pour vous, et à la demande de nos très nombreux lecteurs sur un autre pan du bilan de l’ADEMA fait par sa Commission politique, à savoir les crises scolaires sous Alpha et leur gestion par l’enseignant-président.
Le Mémorandum de l’AEEM
La crise scolaire qui prend ses racines dans la gestion calamiteuse de l’Education sous la dictature militaire a atteint son point culminant le 5 avril 1993.
Elle a menacé les fondements de la République et de la Démocratie, tant les actions violentes organisées par l’AEEM étaient importantes.
Au lendemain des événements du 26 Mars 1991 et sous le régime de la Transition, les élèves et étudiants avaient regroupé leurs doléances et revendications dans un document appelé Mémorandum de l’AEEM et qui fut accepté par les autorités de l’époque.
Le mémorandum demandait entre autres l’augmentation de 75% des bourses et accessoires de bourses à partir de 1992 alors que dans le budget de 1991 les dépenses de salaire et de bourses absorbaient déjà 90% des crédits budgétaires, le rétablissement des bourses dans les établissements d’enseignement secondaire, technique et professionnels à des taux revus à la hausse et la réouverture des internats partout où les structures d’accueil existaient, c’est-à-dire dans les cinq lycées, à l’EHEP, à l’ENMP, à l’IPR de Katibougou.
Bien sûr d’autres problèmes tels que la faiblesse des équipements scolaires, le manque d’enseignants étaient soulignés.
Pour faire face à cette situation, la 3ème République, conformément à sa politique de dialogue et de concertation, a initié des rencontres avec tous les partenaires de l’Ecole et à tous les niveaux, directions nationales, enseignants, associations d’élèves et d’étudiants, parents d’élèves, syndicats, administration scolaire, etc.
C’est une véritable dynamique partenariale qui a été mise en œuvre. En août et septembre 1992, successivement ont eu lieu une réunion technique préparatoire de la rentrée scolaire 1992-93, une session extraordinaire du Conseil Supérieur de l’Éducation et de la Culture et un Conseil interministériel spécial sur la rentrée, présidé par le Chef de l’Etat le 19 septembre 1992.
A l’issue de ces concertations, les décisions suivantes ont été prises: Augmentation de 75% des bourses internes et du complément de bourse accordé aux étudiants à l’extérieur.
– Augmentation de 100%des frais de correction des épreuves d’examen pour compter de juin 1993.
– Orientation de tous les bacheliers admis à la session de juin 1992, y compris les candidats libres.
– Adoption du décret sur la hiérarchisation dans l’enseignement supérieur.
– Attribution de 500 lots à usage d’habitation au corps enseignant.
– Adoption de nouveaux critères d’attribution de bourses basés sur la performance, la scolarité, l’âge et le statut social de l’étudiant.
– Adoption du principe de l’ouverture des inspections de l’enseignement fondamental à
Kidal et Niafunké.
– Suppression de la première partie du baccalauréat.
– La non ouverture des internats pour manque de moyens.
Ces mesures qui montraient clairement l’engagement des autorités de la troisième
République à prendre en compte les doléances des élèves et étudiants, n’ont cependant pas permis d’amener le climat de paix et de sécurité recherché.
L’approfondissement de la crise
En effet, constatant que les points de revendication contenus dans son mémorandum avaient été quasi intégralement satisfaits, l’AEEM a formulé de nouvelles revendications.
Celles-ci concernaient:
– la suppression des cotisations aux coopératives et l’interdiction faite aux autorités scolaires de renvoyer un élève qui n’aurait pas payé sa cotisation ;
– l’augmentation des indemnités de stage;
– la mise en place de passerelles permettant le passage automatique entre, d’une part, le CAP et le BT et, d’autre part, entre le BT et la licence;
– le paiement aux élèves et étudiants du volet » soins médicaux » de l’enveloppe des bourses, volet géré par l’administration scolaire;
– la réintégration des exclus de l’ENI (Ecole Nationale d’Ingénieurs);
– l’octroi de la bourse au secondaire sur la base de 12 de moyenne de classe au lieu de 12 de moyenne d’examen
– le rejet des décrets numéro 187 et 188 du 5 juin 1992 fixant le régime des bourses de l’enseignement normal, de l’enseignement secondaire général, technique et professionnels ainsi que le taux des bourses nationales par les écoles socio professionnelles qui s’estimaient spoliées de l’intégralité de leur dû.
Il faut ajouter à ces revendications, le climat de mécontentement des candidats libres qui le 3 novembre 1992, avaient assiégé le Ministère de l’Education nationale pour réclamer des bourses auxquelles ils n’avaient pas droit ou même pour protester contre leur orientation dans des écoles de formation de maîtres. Les actes de vandalisme auxquels ils se sont livrés ont amené les forces de l’ordre à les disperser à coup de grenades lacrymogènes.
C’est dans ce climat que le jeudi 12 novembre, les élèves des medersas ont perturbé la circulation à Bamako pour exiger que les résolutions du séminaire sur les medersas, organisé du 3 au 8 août 1992 par le Ministère chargé de l’Education, soient appliquées de façon diligente. Le 3 décembre 1992, les élèves des écoles socio- professionnelles assiègent la Primature, saccagent les édifices publics. Le 15 février 1993, les élèves de l’IPR de Katibougou saccagent les locaux et les équipements de leur institut en créant une situation de vive tension à Katibougou. Le 16 février, le mouvement de l’IPR de Katibougou s’étend à la ville de Koulikoro où le gouvernorat et la résidence du gouverneur sont incendiés. Le 17 février, l’IPR de Katibougou est fermé jusqu’à nouvel ordre et 3 élèves de cet Institut sont définitivement exclus et 18 autres sont temporairement exclus avec suspension de bourses. Le 23 février, les Elèves et Etudiants attaquent le Ministère de l’Education Nationale, bloquent les deux ponts de Bamako, brûlent des pneus en plusieurs endroits de la capitale dont l’activité est ainsi paralysée. Cette crise, qui durera tout le mois de mars, a atteint son point culminant le 5 avril 1993 avec la grande casse que Bamako a connue ce jour. Il était évident que la crise n’était plus une crise scolaire. Elle était devenue une crise politique à laquelle il fallait donner des réponses politiques. La réponse a été la démission le 9 avril 1993 du gouvernement de Younoussi Touré qui a été remplacé par Maître Abdoulaye Sékou Sow comme Premier Ministre le 12 avril et l’entrée dans le nouveau gouvernement de deux nouveaux partis, le RDP et le CNID Faso Yiriwaton qui se réclamaient ouvertement de l’opposition. Ainsi l’ADEMA, qui avait prôné la gestion consensuelle des Institutions avec la mise en place d’un Pacte Républicain ouvert à tous les partis politiques républicains, venait de franchir une nouvelle étape avec l’ouverture du gouvernement à l’opposition parlementaire. Sur ce plan, l’ADEMA ira encore plus loin en faisant élire sur ses propres listes des députes de l’Opposition lors des élections législatives de 1997. C’était inédit dans l’histoire politique mondiale. Le gouvernement d’Abdoulaye Sékou Sow, formé le 14 avril 1993, a reçu du président de la République un mandat en 21 points parmi lesquels:
– Ramener la paix sociale et la sécurité dans un Etat de droit (point 1)
– Restaurer l’autorité de l’Etat dans le respect de nos lois et règlements (point 2)
– Restaurer la confiance en installant un dialogue permanent entre le gouvernement, les différents partenaires sociaux, la Société Civile et les partis politiques (point 3).
– Gérer de façon consensuelle les grands problèmes de la Nation notamment: les problèmes de l’école malienne, de l’armée, de la décentralisation, des grandes questions de politique externe et de l’environnement (point 7). Comme on le constate, la crise scolaire tient une place importante dans les missions confiées au gouvernement du 14 avril 1993. Malheureusement, le Premier Ministre Abdoulaye Sékou Sow démissionne le 2 février 1994. Il revenait donc au gouvernement d’Ibrahim Boubacar Kéita de reprendre le flambeau.
La fermeté dans le dialogue et la concertation
Entre temps, la crise scolaire s’était approfondie et les établissements scolaires avaient été fermés le 15 février 1994 jusqu’à nouvel ordre. Les dirigeants de l’AEEM sont arrêtés, jugés et condamnés devant les tribunaux en septembre 1994. La restauration de l’autorité de l’Etat était en marche.
L’usage de la violence ne sera plus toléré.
La fermeté était revenue, sans pour autant affaiblir la disponibilité pour le dialogue et la concertation si chers à l’ADEMA PASJ.
C’est pourquoi, malgré la mesure de fermeté mise en œuvre, le Président de la République a accordé, grâce à son attachement aux vertus du dialogue et de la concertation, l’amnistie aux jeunes dirigeants de l’AEEM.
La paix sociale était revenue, les cours se sont déroulés dans la paix et la sérénité sur toute l’étendue du territoire national.
L’AEEM a tenu en juillet 1995 son congrès dans la transparence, renouvelé ses instances, posé ses revendications syndicales et déclaré à travers son secrétaire général d’alors, Zarawana, que « le Mouvement estudiantin ne sera plus jamais l’instrument des mercenaires de la politique ».
Des propos dont le sens profond ne devrait pas échapper…
La crise scolaire a été exemplaire.
La façon dont elle a été gérée par le pouvoir ADEMA a été aussi exemplaire.
Des stratégies de l’ADEMA dans la gestion des crises : Ecoute, dialogue, concertation, mais aussi fermeté et action
Le climat scolaire ainsi apaisé, l’ADEMA pouvait commencer à mettre en œuvre sa politique éducative avec la construction de nouvelles écoles, de nouvelles salles de classe, les équipements scolaires, le recrutement des maîtres, la valorisation des revenus des enseignants notamment à travers la hiérarchisation, la formation des maîtres, la création de l’Université, etc.
Ce qui a été fait dans ce domaine est impressionnant, mais toujours insuffisant.
Il faut faire encore plus, il faut continuer l’effort, les efforts au niveau de l’Ecole malienne.
Dieudonné Tembely
Tembely@journalinfosept.com
Source : Commission politique de l’ADEMA
Source:Infosept 24/06/2016.