La Journée mondiale de la liberté de la presse a été célébrée lundi dernier (3 mai 2021) dans le monde.
Au Mali, c’est une semaine de célébration qui est maintenant ancrée dans les traditions.
C’est en tout cas une belle opportunité pour les journalistes de se remettre en question dans l’exercice de leur profession ;
de partager avec les lecteurs, auditeurs et téléspectateurs les difficultés du métier, les préoccupations ;
de dénoncer aussi les tares et de mettre en évidence les défis liés à l’émergence d’une presse réellement professionnelle.
«L’information comme bien public» !
Tel est le thème de la célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse.
Selon la Directrice générale de l’Unesco, Mme Audrey Azoulay, il s’agit de mettre en évidence «la valeur incontestable d’une information vérifiée et fiable».
C’est aussi une manière d’attirer «l’attention sur le rôle essentiel que jouent les journalistes libres et professionnels dans la production et la diffusion de ces informations, luttant contre les fausses informations et autres contenus».
Ce thème découle donc de la volonté de l’Unesco de mettre en évidence trois impératifs qui sont aussi autant de défis à relever pour ce secteur dont la vitalité est un atout de consolidation de la démocratie.
Il s’agit de l’adoption des mesures pour assurer la viabilité économique des médias d’information ;
l’élaboration des mécanismes pour assurer la transparence des sociétés Internet ;
et créer les conditions du renforcement de l’éducation aux médias et à l’information afin de permettre au public de reconnaître et de valoriser (ainsi que de le défendre et de l’exiger) le journalisme en tant qu’élément essentiel de l’information qui est aussi un bien public.
Ces trois défis qui sont surtout ceux de la presse malienne dont la viabilité économique n’a jamais été aussi incertaine.
Avec la raréfaction de la publicité et l’étroitesse du lectorat, la presse traditionnelle est condamnée à une mort certaine ou exposée à la manipulation des politiciens qui sont d’ailleurs les grands bailleurs de fonds des médias dans notre pays.
A la veille notamment des élections.
La multiplication des sources d’information instantanée (par la magie des TIC) n’est qu’un facteur d’aggravation des difficultés de la presse traditionnelle dans un pays où même les annonces sont attribuées en fonction de la tête du client, du soutien du média ou non au régime en place, ou selon le degré de nuisance de l’organe.
Une presse qui se meurt dans une indifférence presque générale
Avec des marges publicitaires qui se rétrécissent considérablement pour les «médias sérieux» et une chute vertigineuse des ventes, les publications ne sont plus économiquement rentables. Elles l’ont d’ailleurs rarement été.
En réalité, la rentabilité économique est minimisée par l’exploitation politicienne qui est par exemple faite des organes de presse.
Cette journée mondiale de la liberté de la presse est célébrée en tout cas au moment où la presse malienne se meurt dans l’indifférence générale et par la faute de nous tous.
Sans assise financière solide, les journalistes sont abandonnés à eux-mêmes, donc exposés à toutes les tentations de violation de l’éthique et de la déontologie pour avoir les moyens de survie de leurs familles.
Les journalistes sont aujourd’hui indexés comme les boucs émissaires d’une société en déclin moral.
Ceux qui dénoncent la médiocrité dans ce milieu, sont malheureusement ceux qui ne font absolument rien pour aider les vrais professionnels à vivre de leurs plumes, de leurs micros ou de leurs caméras.
Comme presque dans tous les secteurs, notre société n’a de yeux, du respect et de l’estime que pour ceux qui ne s’embarrassent d’aucune rigueur morale et professionnelle pour exercer ce métier, ceux qui savent aboyer et mordre où cela peut faire mal.
Ne sont respectés et adulés comme journalistes que ceux qui font peur parce que n’hésitant pas à utiliser les méthodes peu orthodoxes (mendicité, chantage, menace sur les ondes ou dans les colonnes, diffamation…) pour parvenir à leurs fins.
Ce sont eux qui font aujourd’hui la pluie et le beau temps du métier alors que les professionnels soucieux de l’image du métier broient du noir.
Naturellement qu’ils sont souvent tentés de faire comme les autres afin de subvenir aux besoins des leurs.
A qui la faute ?
Les regards se tournent généralement vers l’Etat que les faîtières accusent (à tort ou à raison) de ne presque rien faire pour assurer l’émergence d’une presse responsable.
Cela fait des décennies qu’elles exigent l’indexation de l’aide à la presse au budget national.
Mais, est-ce que cela est de nos jours une garantie suffisante pour nous tirer de la misère, du dénuement des organes ?
En réalité combien de médias privés investissent réellement cette aide dans l’amélioration des conditions de vie et de travail des journalistes ?
L’indispensable coup de pied dans la fourmilière
Ces mêmes faîtières se sont rarement illustrées par une gestion transparente et équitable de l’aide reçue du gouvernement ou d’autres partenaires.
La preuve est que la grande majorité des patrons en savent pour toujours quel usage a été fait des fonds destinés à la presse afin de l’aider à minimiser l’impact des mesures préventives du Covid-19.
On peut donc aisément constater que l’aide financière ou matérielle de l’Etat n’est pas forcément une prime à l’excellence et au professionnalisme puisqu’elle profite peu aux médias.
Et cela sans doute parce que le gouvernement n’est pas très regardant sur l’usage fait de ces aides consenties juste pour se soulager la conscience, pour ne pas «avoir la presse sur le dos».
On peut aussi reprocher aux pouvoirs publics leur manque de courage voir d’audace pour réorganiser ce secteur pourtant vital à l’épanouissement démocratique du pays.
Il faut une volonté politique forte pour donner un coup de pied salvateur dans la fourmilière.
Il faut revoir surtout les conditions d’exercice du métier aujourd’hui ouvert à tous les aventuriers et à tous les opportunistes.
Puisque le manteau de journaliste est une clé passe-partout pouvant ouvrir toutes les portes, tout le monde le porte.
Et ceux qui se revendiquent journalistes à tout bout de champ sont généralement ceux qui ne remplissent aucune condition (professionnelle et morale) de son exercice.
L’Etat doit non seulement strictement réglementer les nouveaux médias, mais aussi revoir les conditions de création des organes traditionnels tout en veillant au respect de la typologie.
Il est temps de sortir de ce laxisme qui aujourd’hui fait que, au niveau de la presse écrite par exemple, les feuilles de choux se multiplient aux dépens de la qualité et du professionnalisme.
Qui sont derrière les journaux occasionnellement créés et qui sont souvent animés par des gens qui ignorent tout de la collecte et du traitement de l’information et qui ne peuvent même pas écrire un paragraphe correct ?
Un 4e pouvoir fragilisé par les difficultés financières l’exposant à toutes les manipulations
Les médias doivent logiquement constituer le «quatrième pouvoir» dans une vraie démocratie et doivent agir en conséquence en garde-fous contre les pratiques et attitudes anti-démocratiques.
Certes sans la liberté de la presse il n’y a pas de démocratie.
Mais, cela suppose aussi un exercice responsable de cette liberté.
A défaut, elle fait de la presse l’une des graves menaces pour cette même démocratie.
Et c’est à cela que nous assistons malheureusement dans notre pays où il n’est pas rare de voir des médias s’alliés avec le plus offrant au mépris de l’éthique et de la déontologie.
Et il est clair que des politiciens et des opérateurs économiques voire des personnes fortunées dans divers domaines profite de la fragilité financière des organes et de la misère de leurs animateurs pour s’accaparer du secteur.
Une prise d’otage qui ouvre la porte à tous les abus, à toutes les dérives faisant du professionnalisme et de l’indépendance des illusions.
Comme le dit Yves Charles Zarka (Démocratie et pouvoir médiatique), «dans les sociétés démocratiques, les médias sont devenus le lieu de luttes féroces d’influence et de pouvoir dont certains des enjeux principaux sont l’emprise sur l’espace public, le contrôle des productions et, en définitive, la confiscation des libertés».
Il est clair que c’est la volonté du bailleur qui l’emporte face aux considérations professionnelles.
Entre se battre pour le respect des valeurs, au risque de se faire virer, et fermer les yeux sur le viol permanent des principes du métier, le choix est évident dans un contexte de crise socioéconomique.
Il est utopique aujourd’hui de vouloir refonder le Mali en occultant la médiocrité ambiante dans laquelle se trouve la presse nationale. Dans leur état actuel, les médias font partie des causes qui ont plongé notre pays dans l’impasse dans laquelle il est embourbé depuis plus d’une décennie.
Le pluralisme et l’indépendance des médias sont des indicateurs de la santé démocratique d’une société.
Mais, cette indépendante vitale est sans doute liée au mode de financement.
D’où l’impérieuse nécessité pour le pouvoir public de réfléchir avec les professionnels du secteur pour dégager des modes de financement garantissant l’indépendance et le professionnalisme des médias.
L’élaboration et l’application d’une Convention collective seraient déjà un bond décisif dans ce sens !
Moussa Bolly