Vivre à Gao est de plus en plus dangereux, surtout quand l’on jouit d’une certaine aura ou d’une certaine influence sur les forces vives de la ville voire de la région.
Les assassinats ciblés s’y multiplient depuis 2012.
Le dernier en date est celui d’Abdoulaye Kaba Koné abattu mardi dernier chez lui devant sa femme et ses enfants. Des assassinats qui suscitent de nombreuses interrogations.
Dans la nuit du lundi au mardi (8 au 9 février 2021), notre frère Abdoulaye Kaba Koné (frère aîné de notre confrère et ancien président de la Maison de la presse du Mali, Makan Koné) a été abattu par des individus armés chez lui vers 4h du matin devant sa femme et ses enfants. Cette nouvelle victime de l’insécurité à Gao n’était pas un inconnu dans la «Cité des Askia».
Ablo, comme on l’appelait affectueusement, était «très apprécié et surtout notamment engagé auprès des jeunes de la Cité des Askia». Ainsi, a témoigné un jeune leader de la ville, «Abdoulaye Kaba Koné était un homme qui dit ce qu’il pense même si cela devait lui coûter la vie.
J’ai été témoin à plusieurs reprises de ses bagarres avec certains éléments du MNLA en 2012 pour ses prises de positions sous l’occupation de Gao».
Un franc parler qui gênait énormément les vautours dans l’ombre au moment où la région de Gao est au cœur de toutes les convoitises car perçue comme un verrou solide pour bloquer le projet de l’Etat de l’Azawad. Et finalement, son engament lui a coûté la vie. Son assassinat est loin d’être un cas isolé dans cette ville carrefour.
La Coalition «Songhoy Chaawara Batoo» a d’ailleurs profité de cette malheureuse occasion pour rappeler certaines victimes de 2012 à nos jours comme Idrissa Oumorou (enseignant syndicaliste), Abdoulaye Oumar Maïga alias «Abdoulaye Opitain» (opérateur économique), Hama Hiya (opérateur économique), Aly Sissoko (directeur adjoint de la BNDA), Colonel Soumaré (coordinateur régional du MOC), Hassan Tall… «La liste est non exhaustive», assure la coalition qui a aussi volontairement oublié ceux qui ont échappé à leurs bourreaux par réflexe ou par la chance.
L’assassinat du Sénateur (Jeune chambre internationale-JCI) Abdoulaye Kaba Koné, personnalité de l’année 2009 à Gao et promoteur du GIE Kabala Services «rallonge la longue liste macabre d’assassinats ciblés de vaillants opérateurs économiques, n’a d’autre dessein que de décimer la population, terroriser les gens et faire fuir les paisibles citoyens sur leurs terres.
Et au pire, faire taire toute opposition», constate amèrement «Songhoy Chaawara Batoo». «C’est seulement à Gao en pleine ville, que des escadrons de la mort sèment la terreur en kidnappant des personnes, tuant des innocents sans que les auteurs ne soient inquiétés, arrêtés ou jugés…», dénonce-t-elle. Et de s’interroger : A qui profite le crime ? La coalition n’hésite pas à dénoncer une «épuration ethnique qui ne dit pas son nom à travers ces assassinats ciblés».
Difficile de contester cette thèse quand on regarde la liste des victimes.
Si certains pensent que cette grande insécurité est liée au fait que Gao est une ville Carrefour où prolifèrent différents trafics (une situation sans doute aggravée par la multiplication des sites d’orpaillage dans la zone), le profil des cibles donne à réfléchir. Dans la plupart des cas, il s’agit des personnes qui se distinguent par leur leadership, donc très influentes et disposées à tous les sacrifices quand il s’agit de défendre Gao et la République.
Imposer la terreur pour briser la résistance à l’avènement de l’Azawad ?
Tout se passe comme si ces assassinats sont planifiés par des forces invisibles (pour le moment) pour priver la ville et la région de ses leaders, des boucliers sans lesquels elles ne seraient plus ce verrou qui pose tant de problèmes à ceux qui ne cessent de planifier la scission du Mali, la sécession du septentrion.
D’ailleurs certains interlocuteurs n’hésitent pas à dire aujourd’hui qu’une liste de personnes à éliminer physiquement à Gao circulerait dans certains milieux.
Gao, à travers sa jeunesse engagée et ses braves amazones, a toujours été une rebelle fidèle à la République du Mali. Les Gaois n’ont jamais adhéré à un quelconque projet de scission de la République, de dislocation de la nation malienne.
Mais, curieusement, le processus de paix est en train de se faire aux dépens de cette région discriminée par l’accord pour la paix et la réconciliation nationale.
«Gao est la grande perdante de la régionalisation. Sans être communautariste, je pense que les songhoys sont aussi les grands perdants du nouveau découpage administratif et du processus de paix.
Les arabes et les touaregs ont réussi à transformer des villages inexistants en communes et cercles afin d’avoir des régions et mieux bénéficier de la régionalisation.
Et les songhoys ont perdu leur terroir jusqu’au bord du fleuve», nous confiait récemment un intellectuel de la région.
Selon des témoignages, craignant pour leur vie, beaucoup d’opérateurs économiques ferment boutiques.
N’empêche qu’il en faut visiblement pour briser la résistance de Gao. Ceux que cela dérange le savent et seraient aussi les responsables de ces assassinats planifiés.
D’où l’urgence pour les autorités régionales et nationales de revoir la stratégie de sécurisation de Gao parce que ce qui s’y passe est inacceptable.
Sinon, tôt ou tard, l’indifférence ou l’incapacité des responsables du pays à sécuriser la région de Gao et la Cité des Askia va une nouvelle fois pousser les forces vives à prendre leurs responsabilités pour se protéger comme en 2012 sous l’occupation du MNLA et du Mujao.
Gao mérite mieux de la République que d’être livrée à une horde d’assassins au service de desseins sombres !
Hamady Tamba